Quel rôle pour la France et l’Allemagne en Europe ?
Vous avez dit leadership ? Une voix de République tchèque
La gouvernance de l’UE devient de plus en plus confuse. Les schémas qui avaient longtemps prévalu semblent aujourd’hui dépassés. Cela vaut en premier lieu pour la relation franco-allemande, symbole par excellence du leadership en Europe. Mais cela concerne également d’autres États membres de l’UE, y compris ceux d’Europe centrale, et la façon dont ils se positionnent face aux grands leaders européens.
Les relations entre le République tchèque et l’Allemagne sont depuis la fondation du pays en 1993 le pivot de la politique étrangère et l’élément central des relations bilatérales tchèques. Pour Prague, l’Allemagne est un partenaire privilégié aussi bien sur le plan géographique que culturel, et ce, malgré les moments douloureux du passé. Les deux pays sont également très liés du point de vue économique (c’est pourquoi la République tchèque est à ce point exposée à la conjoncture allemande).
Le niveau européen du partenariat germano-tchèque est longtemps apparu comme le prolongement naturel des relations bilatérales. Avant l’entrée de la République tchèque dans l’UE, la coopération avec l’Allemagne était déjà très intense aux niveaux politique, économique et culturel. Après l’adhésion, il était évident que l’étape suivante consisterait à accepter le lea-dership allemand, même si cela reflétait davantage le caractère privilégié des relations bilatérales qu’un ralliement à la vision allemande de l’Europe. Il s’avéra toutefois rapidement que les deux pays n’avaient pas de vision commune quant à l’avenir de l’UE, aussi bien sur les dossiers thématiques que sur le plan ins-titutionnel. .
Méfiance et différences
Les relations entre le République tchèque et la France se développèrent de manière différente. La relation bilatérale (asymétrique) eut certes ses moments de gloire au XXe siècle, mais dans les années 1990, les deux pays empruntèrent des voies différentes, es-sentiellement pour des raisons géographiques. Ils s’éloignèrent politiquement l’un de l’autre, aussi parce qu’ils n’avaient plus de grands projets communs (à l’exception d’une approche similaire en matière d’énergie nucléaire, approche que Paris poussait dans le cadre de l’achèvement des centrales nucléaires tchèques). Mais surtout, France et République tchèque semblaient ne pas se comprendre. Cette distance déboucha sur une méfiance qui atteignit son paroxysme en 2008 lorsque Nicolas Sarkozy remis ouvertement en question la capacité de la République tchèque à assurer la présidence de l’UE (après la France).
Un nouveau leadership ?
L’agression russe contre l’Ukraine mit à mal les idées qui avaient cours en matière de leadership européen : en cela aussi, on peut dire qu’elle marqua un véritable tournant. En Europe centrale, elle entraîna une mobilisation massive, et ce, à tous les ni-veaux. Celle-ci s’accompagna d’une volonté marquée de jouer un rôle international de premier plan. De nombreux pays d’Europe centrale, y compris la République tchèque, furent dé-çus par le manque de leadership endossé par la France et l’Allemagne : pour beau-coup, leur premières réactions et déclarations furent trop lentes et trop prudentes. Les développements ultérieurs permirent aux États d’Europe centrale de faire valoir leur expertise ainsi que leur approche du conflit.
La France, en particulier, a souvent surpris positivement la République tchèque, ce qui laisse dorénavant entrevoir la possibilité de dépasser les stéréotypes mutuels et d’améliorer les relations bilatérales. On mentionnera à cet égard l’attitude plus active de Paris dans le conflit, son sou-tien à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine, de même que celui qu’elle a apporté à l’initiative tchèque visant à mutualiser l’achat de munitions hors d’Europe (février 2024). Au-delà de leurs conséquences pratiques, ces démarches ont une forte valeur symbolique quant à la manière dont la France est aujourd’hui perçue en Europe.
De manière plus générale, Prague a désormais le sentiment que la voix des pays d’Europe centrale est devenue plus forte et qu’elle est entendue à Bruxelles, Berlin et Paris (abstraction faite des ennuis avec et des tendances antidémocratiques de certains membres du groupe de Visegrád). Qu’Emmanuel Macron cherche maintenant à se rapprocher d’eux ne signifie toute-fois pas qu’ils partagent sa vision de l’Europe. Cela signifie simplement qu’il y a plus d’espace pour de nouvelles coalitions, par-delà les partenariats naturels.
Et maintenant ?
Quelles conclusions en tirer ? Les évolutions récentes ont mis au jour de nombreuses divergences internes entre les États membres de l’Union de même que la nécessité absolue de rendre la nouvelle gouvernance de l’UE plus collective : ce qui implique également de com-prendre les approches en cours, y compris celles des États d’Europe centrale. La gouvernance de l’UE – et son acceptation par les autres membres du club – de-vient de plus en plus complexe : elle est plus axée sur des questions spécifiques, elle est moins régionale, moins traditionnelle mais aussi moins dépendante des relations bilatérales antérieures.
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L’auteure
Eliška Tomalová est directrice du département d’études européennes de la Faculté des sciences sociales de l’Université Charles à Prague, et directrice de programme du master conjoint Erasmus Mundus European Politics and Society. Ses recherches portent sur les différentes formes et stratégies de la pratique diplomatique (diplomatie publique, diplomatie culturelle, diplomatie scientifique) et sur les relations interculturelles. En juillet 2022, Eliška Tomalová a été décorée des Palmes académiques pour son engagement en faveur des relations franco-tchèques.