Le foot par-delà les frontières
Pour toujours et à jamais
En Allemagne, aucun club de supporters n’est aussi francophile que le Supporters Club 95 du 1. FC Saarbrücken. Meiko Palm, ancien délégué des supporters du FCS, et Boris « Schelle » Schellenberg, fondateur de l’Amitié des supporters, en ont parlé à Paul Niklas Langer. Regard sur une amitié peu connue du grand public.
Tout a commencé en 1998 avec le déplacement de quelques ultras du club de supporters du 1. FC Saarbrücken, le Supporters Club 95, à l’occasion d’un match de l’AS Nancy. Parmi eux, Boris « Schelle » Schellenberg : « Les supporters de Nancy étaient étonnés de voir tout à coup apparaître dans le bloc quatre supporters avec des écharpes bleues et noires ». « On a regardé le match, bu une bière et échangé nos numéros de téléphone », explique Boris. S’ensuit une invitation pour le match suivant à Nancy. Les ultras de Nancy, de leur côté, effectuent leur première visite officielle au Ludwigspark en août 1998, à l’occasion d’un match de coupe d’Allemagne contre le Borussia Dortmund. Depuis, c’est devenu une tradition, les ultras des deux clubs sont liés par une solide amitié. L’un des premiers grands moments en commun a été sans aucun doute le déplacement de 70 supporters du FCS avec les ultras de Nancy pour un match contre l’AS Saint-Étienne.
Aujourd’hui, entre 15 et 50 supporters de l’ASN assistent régulièrement aux matchs du SFC. « La question n’est pas de savoir s’ils sont là, mais combien ils sont », raconte « Schelle ». Certains assistent même aux matchs du Borussia Neunkirchen, un club de sixième division situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Sarrebruck. Lors de la demi-finale de la Coupe d’Allemagne contre le FC Kaiserslautern, le 2 avril dernier, 50 Nancéiens et 15 supporters de l’OGC-Nice (!) étaient présents dans le bloc de Sarrebruck pour les soutenir. « Après le match, nous avons fait notre deuil ensemble », se souvient « Schelle ».
De multiples amitiés
« Pour les matchs à domicile de l’AS Nancy, nous avons toujours au moins une voiture remplie de Sarrebruckois », poursuit « Schelle ». « Et plus l’adversaire est attractif, et plus ils sont nombreux », c’est notamment le cas lors des derbys contre le rival messin. Ainsi, lors de la récente confrontation entre les équipes de jeunes A du FC Metz et de l’AS Nancy, 15 Sarrebruckois étaient présents aux côtés des supporters de Nancy – avec un grand drapeau bleu et noir.
« Schelle » le repète: « cette amitié est exceptionnelle ». Les fans échangent quotidiennement et s’invitent réciproquement à des mariages et fêtes d’anniversaire. « Il y a même eu des histoires d’amour entre des supporters de Sarrebruck et de Nancy », ajoute Palm. Les tournois organisés chaque année entre les équipes de supporters constituent toujours un moment fort. Le plus gros problème est toutefois la barrière de la langue. C’est pourquoi les supporters nancéens et sarrebruckois souhaitent que « le français soit mieux enseigné en Sarre et que l’allemand le soit mieux en Lorraine ».
« Au Ludwigspark, l’amitié entre supporters n’est pas seulement appréciée dans le virage, elle l’est dans tout le stade », souligne Palm. L’ADN franco-allemand des supporters de Sarrebruck ne passe pas inaperçu : les encouragements se font au son de « Nancy, Sarrebruck, allez ! » et de « Ost-, Ost-, Ostfrankreich ». Les drapeaux français et nancéiens flottent dans le bloc. Et quand il s’agit de se dire bonjour : la bise est de rigueur.
Le dernier match amical : en 2020
Mais pourquoi les supporters de Sarrebruck sont-ils à ce point francophiles ? « Notre proximité avec la frontière et notre histoire nous distinguent des autres supporters allemands », répond « Schelle ». Il ne faut pas oublier que le FCS a joué en deuxième division française en 1948/49. Un match contre Alemannia Aachen dans les années 90 a été déterminant. « Les supporters adverses brandissaient une bannière sur laquelle on pouvait lire ‘Français en sac à dos’ », se souvient Palm. Les supporters de Sarrebruck ne l’ont pas pris comme une insulte. « Nous avons alors tendu la main aux Français dans le virage », raconte Palm. En 2005, la Ostkurve du stade du FCS a même été baptisée « Virage est ».
Malgré les liens entre supporters, les matchs amicaux entre l’ASN et le FCS restent rares, essentiellement parce que les deux clubs ont souvent évolué dans des divisions différentes. Grâce à l’engagement de l’ancien directeur général du FCS, David Fischer, un match a pu être organisé en août 2020. Depuis, il n’y a pas eu d’autre rencontre, même si les deux équipes évoluent aujourd’hui en troisième division. « Un nouveau match amical serait formidable. Pour les supporters des deux pays, ce serait un nouveau moment fort », déclare Schellenberg.
Une amitié peu connue
Les ultras de Sarrebruck sont parfois critiqués pour des actions telles que celles menées lors du match de Coupe d’Allemagne contre Eintracht Francfort, le 6 décembre 2023 : une banderole sur laquelle était écrit « Nique la police » avait alors été brandie dans le stade. Interrogés sur la participation éventuelle d’ultras de Nancy, « Schelle » et Palm sont catégoriques : ils n’ont rien à voir avec cela. L’amitié entre supporters est « tout à fait positive » et les ultras de Nancy ont toujours un bon comportement lorsqu’ils viennent au Ludwigspark. Et pour ce qui est de l’utilisation d’engins pyrotechniques, interdite dans les stades mais qui s’est pourtant déjà produite lors de chorégraphies communes avec les ultras de Nancy, « Schelle » affirme que ce « ne sont pas des cas isolés en Allemagne. » « Les supporters ont l’amour du sport et l’amitié franco-allemande en commun », mais contrairement aux coopérations dans le domaine économique ou culturel par exemple, cet exemple d’amitié franco-allemande, très active, reste pu connue en Sarre.
Cet article a été publié en langue allemande dans l’édition du 6 mai 2024 de la Saarbrücker Zeitung : 1. FC Saarbrücken: Wie die Fan-Freundschaft zu Nancy entstand (saarbruecker-zeitung.de)
L’auteur
Paul Langer est étudiant en études franco-allemandes : communication et coopération transfrontalières aux universités de la Sarre et de Lorraine (cursus binational de l’Université franco-allemande). Parallèlement à ses études, il est journaliste de presse écrite et animateur indépendant pour différents médias et institutions sarroises. Il travaille principalement sur des sujets franco-allemands en lien avec la politique, la société et le sport.
