Après les élections
„Nous ne pouvons pas nous permettre de faire du surplace en Europe“

Après les élections „Nous ne pouvons pas nous permettre de faire du surplace en Europe“
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  • VeröffentlichtJuli 12, 2024

Sandra Weeser est députée au Bundestag allemand depuis 2017 et une fervente défenseure de la coopération franco-allemande au niveau parlementaire. Nous avons discuté avec elle des élections législatives en France, de la montée des extrémistes et de « l’art » de former des coalitions.

dokdoc : Madame Weeser, vous êtes Franco-Allemande et connaissez très bien les deux pays. Ces dernières années, on a souvent eu l’impression que la France et l’Allemagne sont, comme l’a dit Bruno Le Maire, « des amis qui ne parviennent pas à se comprendre » ? Voyez-vous les choses de la même manière ?

Sandra Weeser : « des amis qui ne parviennent pas à se comprendre », me semble un peu fort. Sur le fond, nous sommes effectivement très différents, par exemple sur le plan culturel, même si je pense que les Allemands ont toujours eu une certaine admiration pour le mode de vie des Français. Mais dire qu’on ne peut pas être de bons amis, je le nierais – et mes amis en France certainement aussi.

dokdoc : c’est pour ainsi dire l’étage inférieur. Qu’en est-il au niveau politique ?

Weeser : au niveau gouvernemental, nous travaillons étroitement l’un avec l’autre et ce, depuis longtemps. On ne parle souvent que Scholz, Macron et de leur tempérament assez différent. Mais entre les assemblées et ministères, les choses se passent très bien, sans dérapage. Et si en plus, on est en mesure de comprendre la culture de l’autre, alors cela fonctionne encore mieux. (Elle rit)

dokdoc : l’élection a eu lieu voilà près d’une semaine. Soulagement ou désillusion ?

Sandra Weeser à l’Assemblée nationale, 22 janvier 2023 (Copyright: Tristan Unkelbach/Maurice Kubitschek)

Weeser : les deux. D‘abord soulagée car contrairement à ce que beaucoup d’observateurs avaient annoncé les jours précédant l’élection, le RN est passé largement à côté de la majorité absolue. Mais je suis en même temps choqué par le score du Nouveau Front Populaire (NFP), avec LFI comme force principale et Mélenchon comme personnalité de premier plan – Mélenchon est clairement antisémite, il est contre l’UE et l’OTAN. S’il venait à être nommé Premier ministre, il n’apporterait rien de bon à l’Allemagne et à l’Europe. Il faut donc espérer que l’on parvienne à rassembler les autres partis, à l’exception des extrêmes, des socialistes aux républicains, et que l’on réussisse ensuite à mettre sur pied un gouvernement opérationnel. Mais ce sera compliqué car les Français n’ont pas l’expérience que d’autres ont en Europe en matière de coalition.

dokdoc : le RN a obtenu plus de 10 millions de voix, soit 3 millions de plus que le NFP, et est néanmoins arrivé en troisième position. Dans la foulée, Marine Le Pen a déclaré : « La marée monte. Elle n’est pas montée assez haut cette fois-ci, mais elle continue à monter et, par conséquent, notre victoire n’est que différée ». Selon vous, le RN pourrait-il profiter de l’instabilité vers laquelle la France se dirige ?

Weeser : Cela pourrait devenir très dangereux si les Français avaient l’impression que le nouveau gouvernement ne parvient pas à régler leurs problèmes ou à tirer les leçons de l’élection.

dokdoc : la dissolution de l’Assemblée par Emmanuel Macron a fait l’objet de nombreuses critiques. Peu après, vous vous êtes, vous aussi, demandé dans les médias sociaux : « Macron est-il un ‘pyromane’ ou y a-t-il une stratégie derrière la dissolution de l’Assemblée nationale ? » Quelle est votre position aujourd’hui ? La France avait-elle besoin de cette crise pour entrer de plain-pied dans le XXIe siècle ?

Weeser : des choses qui ne sont pas possibles à un moment peuvent le devenir sous la pression des événements. Nous l’avons vu en Allemagne. Depuis le début de la guerre contre l’Ukraine et, plus tard, de l’offensive du Hamas contre Israël, beaucoup de choses ont bougé en matière de défense, ce qui n’aurait pas été imaginable auparavant. Et le fait que cela a été possible précisément avec les Verts et le SPD tient presque du miracle.

dokdoc : nous parlions à l’instant de la possible formation d’une « coalition » en France. Comment les choses se passent-t-elles ? Quels conseils pourriez-vous donner à la France ?

Weeser : j’ai participé par trois fois à des négociations en vue de former une coalition, deux en Rhénanie-Palatinat et une au niveau fédéral. Cela s’est traduit par trois accords de coalition « feu tricolore », une première en Allemagne. On pourrait par exemple essayer de prendre quatre ou cinq projets sur lesquels on est en mesure de s’accorder et travailler ensuite à leur mise en œuvre. Il faut absolument essayer car nous ne pouvons pas nous permettre de faire du surplace en Europe.

dokdoc : l’Europe vit de l’amitié franco-allemande. Nous savons que pendant un certain temps, la France ne pourra plus jouer le rôle qu’elle est a joué depuis 2017. Que va-t-il alors se passer ? L’Allemagne peut-elle prendre les commandes ?

Weeser : je pense que le chancelier Olaf Scholz, la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock ou le ministre de la Défense Boris Pistorius peuvent tout à fait jouer ce rôle. Nous avons des projets communs qui fonctionnent bien, par exemple l’initiative franco-allemande pour la réduction de la bureaucratie au niveau européen, un projet dont les Libéraux ont été pour une large part le fer de lance. Je ne vois pas pourquoi il faudrait tout à coup tirer le frein à main. Je suis également confiante quant à l’évolution de nos projets d’armement communs (SCAF et MGCS) : y mettre un terme serait une catastrophe, notamment parce que de nombreuses entreprises ont pris des engagements sur le long terme. Je copréside le groupe de travail « Politique étrangère et de sécurité » de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) avec Sabine Thillaye : elle aussi a été réélue et, avec un peu de chance, nous pourrons poursuivre notre travail dans les mêmes conditions.

dokdoc : de nombreux observateurs et analystes estiment que l’Allemagne n’a pas assez soutenu Emmanuel Macron. Partagez-vous ce point de vue ? Un engagement plus ferme de l’Allemagne en faveur de la coopération franco-allemande aurait-il pu « stabiliser » le président dans son pays ? Je ne parle pas des discours ou autres prises de position publiques – ils n’ont pas manqué – mais de propositions concrètes sur la manière de faire avancer l’Europe.

Weeser : Angela Merkel et Olaf Scholz ne sont pas de grands francophiles. Moi aussi, j’aurais parfois aimé qu’ils agissent de façon plus résolue. Mais Scholz est Scholz, il est très technocratique. Servir un sandwich au poisson au président lors de la réunion gouvernementale de Hambourg (9 octobre 2023) partait peut-être d’une bonne intention, mais n’était pas forcément du meilleur goût. Il nous manque peut-être parfois un peu de tact.

Olaf Scholz et Emmanuel Macron à Hambourg, 9 octobre 2023 (Copyright: Imago)

dokdoc : lors de la visite d’Etat, je me suis souvent demandé quel Macron les Allemands avaient acclamé…

Weeser : je pense qu’ils ont applaudi l’Européen, le visionnaire, Macron le charismatique, celui qui sait exactement où il veut emmener l’Europe. Finalement, Macron représente un peu ce que les Allemands souhaiteraient trouver chez Scholz.

dokdoc : la France entre dans une période chaotique avec des gouvernements plus ou stables, des drames et peut-être de nouvelles élections. Quel rôle l’AFPA peut-elle jouer durant cette période ? Comment envisagez-vous la coopération avec les députés RN et Insoumis ?

Weeser : maintenir les canaux de communication ouverts, éviter de donner des leçons, mais parler de nos expériences. La formation d’un gouvernement « feu tricolore » n’a pas été facile et pose aujourd’hui encore de nombreux défis, c’est précisément ce type d’expérience qui pourrait être utile à la France. Et pour répondre à votre deuxième question : nous avions déjà un député RN dans mon groupe de travail – il ne s’est pas fait remarquer par des propos extrémistes. Maintenant, il faut voir parce qu’il y en aura beaucoup plus. Mais cela aussi fait partie de la démocratie. Si quelqu’un est élu démocratiquement, alors il faut faire l’effort de le supporter, même si ses propos ne correspondent pas forcément à votre opinion. Il faut apprendre à s’entendre.

Interview : Landry Charrier

Notre invitée

Sandra Weeser (Copyright: Tristan Unkelbach/Maurice Kubitschek)

Sandra Weeser, 54 ans, est députée fédérale pour les Libéraux du FDP dans la circonscription de Neuwied/Rhénanie-Palatinat depuis 2017. Depuis 2019, elle possède également la nationalité française. Diplômée en gestion d’entreprise, Sandra Weeser a travaillé aux Etats-Unis, en France et en Allemagne. Parallèlement, elle s’engage depuis 2006 au niveau local et régional pour les libéraux. Sandra Weeser est présidente de la commission du logement, de l’urbanisme, de la construction et des collectivités locales au Bundestag et membre du bureau de l’Assemblée parlementaire franco-allemande.

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