Des « Gaulois réfractaires » ?
La contestation traduite en BD
16 mai 2023
L’opposition à la réforme des retraites en France a été marquée par de nombreuses manifestations. Certains, notamment à l’étranger, y ont vu un trait de caractère de Français rouspéteurs. Qui n’hésitent pas à clamer leur mécontentement dans la rue. Une idée reçue ?
Il arrive de temps à autre qu’au sommet de l’État les dirigeants succombent à la tentation du cliché. Ainsi Nicolas Sarkozy, auquel il a été reproché en 2016 d’avoir clamé un peu trop fort que « dès que l’on devient Français, nos ancêtres sont Gaulois ». Et en 2018, devant la reine du Danemark, Emmanuel Macron, peu connu pour ses interventions humoristiques, avait mis Astérix à l’honneur en comparant ses compatriotes à des « Gaulois réfractaires au changement », traduisant au passage son admiration pour le modèle des Danois, « peuple luthérien ». Le chef de l’État avait ensuite tenté de corriger le tir en Finlande et expliqué : « Je les aime, ces tribus gauloises, j’aime ce que nous sommes ». Donc, pas de doute : nos ancêtres seraient bien les Gaulois, alors que l’Histoire de France montre et démontre que les Français sont en fait la somme de toutes les influences vécues depuis des siècles au fil des invasions, des incursions, des mariages princiers et royaux et des modes.
L’historien royaliste Jacques Bainville, auteur d’une Histoire de France en 1924, soulignait, pour sa part, que c’est à la conquête romaine que nous devons d’être ce que nous sommes, une conquête favorisée par la division, la jalousie et les rivalités des tribus gauloises : « La guerre civile, le grand vice gaulois, livra le pays aux Romains. Un gouvernement informe, instable, une organisation politique primitive, balancée entre la démocratie et l’oligarchie ; ainsi furent rendus vains les efforts de la Gaule pour défendre son indépendance. »
Les idées reçues collent à la peau des Français et des Allemands. Emmanuel Macron avait évoqué un « trait d’humour » pour répondre aux critiques, mais il n’était pas allé jusqu’à parler de « gauloiserie » – définie dans le Larousse comme le « caractère de ce qui est libre et licencieux ; plaisanterie vive, libre ». Le Dictionnaire de l’Académie française de 1932 ajoutait : « Inspiré par l’esprit gaulois ».
Les Goths et la Gaule
Dans la bande dessinée – du moins en France, les Gaulois sont aux Français ce que les Goths sont aux Allemands. Avec tous les anachronismes que cela comporte : les invasions barbares ont en réalité eu lieu quatre siècles après Jules César et l’alphabet latin gothique, utilisé dans les phylactères des personnages censés représenter les Goths (les bulles de la bande dessinée si on préfère, c’est moins pédant), ne date que de la fin du Moyen Âge. Dans son ouvrage Le livre d’Astérix le Gaulois, paru en 1999, le blogueur Olivier Andrieu cite cette confession d’Uderzo : « La caricature des Goths, donc des Allemands, est finalement assez sympa par rapport à celle dont on avait l’habitude à cette époque, la Seconde Guerre mondiale n’étant pas si éloignée que ça à la sortie de cet album » (en 1967). Mais quoi de plus tentant de faire un rapprochement entre la division des Wisigoths et des Ostrogoths avec celle des Allemands de l’Ouest et de l’Est en 1949.
On passera sur le fait que les Goths n’habitaient pas sur le territoire de l’actuelle Allemagne, sur le casque à pointe que l’on doit aux Prussiens du XIXe siècle et sur le pas de l’oie des soldats goths (« copié » sur les défilés des soldats de la Wehrmacht, puis de l’Allemagne de l’Est) pour traduire l’autorité et la discipline des Allemands. Et il conviendrait de revenir sur le destin de ce royaume wisigoth (Regnum visigothorum), qui a existé pendant près de trois siècles de 418 à 720, sur un territoire allant de la Loire jusqu’aux Pyrénées, et Toulouse avec pour capitale. Réduit à un marquisat sur les terres du seul Languedoc et d’une partie de la Provence, il laissera la place à Narbonne de 507 à 531, puis Barcelone jusqu’en 542 et Tolède jusqu’à 711. Le royaume sera alors conquis par les musulmans qui feront de Narbonne, à nouveau, leur capitale. Avec la péninsule ibérique (Hispanie), il comptera environ 9 millions d’habitants sur une surface d’environ 600 000 km². Pendant plus de deux siècles, les Wisigoths, repliés au sud des Pyrénées, seront donc associés surtout à la péninsule ibérique. Ils sont considérés comme les fondateurs de l’Espagne.
De la Septimanie à la Gothie
La Septimanie, partie de la Gaule restée wisigothe après la conquête de l’Aquitaine par Clovis en 507, recouvrait la quasi-totalité des départements de l’ancienne région Languedoc-Roussillon (Aude, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales et une partie de la Lozère). Elle semble devoir son nom au chiffre 7, allusion au souvenir des Septimans, ces vétérans wisigoths de la septième légion romaine qui ont fondé Béziers en l’an 49. Le nom de la Septimanie, que les Goths appelaient plutôt Gallia ou Provincia Galliae, évoque aussi les sept évêchés de la province narbonnaise (Narbonne, Toulouse, Nîmes, Agde, Lodève, Uzès et Béziers). Elle changera de nom après la conquête des Francs en 759 qui la nommeront la Gothie, autrement dit le pays des Goths.
Une adaptation trop libre
Cependant, ce n’est pas cette réalité historique qui avait incité une maison d’édition de livres pour enfants en 1967 à renoncer à acquérir les droits de traduction des albums d’Astérix. L’éditeur pensait qu’une telle BD ne marcherait jamais auprès du public allemand. Et de fait, alors qu’Astérix n’était pas encore une vedette auprès des lecteurs français, la maison d’édition Kauka proposera une adaptation très libre de l’œuvre originale. Trop libre. C’est en effet toute la parodie de la société française qui avait été transformée en parodie de la société allemande de cette époque. À l’instar de Tintin et Milou (qui connaissent en Allemagne le succès sous le nom de Tim et Strupi, ou encore Achille Talon rebaptisé Enzian, nom allemand de la gentiane), Astérix et Obélix étaient alors devenus des Germains, Siggi et Babarras, évoluant dans une Germanie occidentale occupée par les Romains. Et les dessins représentant la Gaule avaient été remplacés par des cartes de Bonnhalla. Considérée comme trop allemande, et surtout comme trop politique, la version « germaine » a été abandonnée au profit d’une traduction plus littérale fournie deux ans plus tard par la maison d’édition Epaha, très fidèle à l’original français.
Astérix, Obélix et Idéfix ont perdu leur accent, mais y ont gagné en notoriété. Seules véritables concessions aux traducteurs : de nombreux habitants du célèbre village gaulois ont reçu des noms de baptême germanisés, qui se sont imposés auprès du public : le druide Panoramix s’appelle Miraculix dans sa version allemande, Assurancetourix est devenu Majestix et Agecanonix mérite bien son nom de Methusalix.
Caligula vs. Covid
Parfois, les auteurs devancent l’actualité : l’album Astérix et la Transatlantique, paru en 2017, mettait en scène un conducteur de char romain répondant au nom de Coronavirus, trois ans donc avant l’épidémie. Dans sa version allemande, sortie le même jour, le dessin est identique dans les deux versions, mais le mystérieux concurrent des Gaulois au visage caché par un masque, est appelé Caligarius, par analogie au troisième empereur romain.
Pourtant c’est sous le surnom de Caligula, dont le nom de naissance était en fait Caius Julius Caesar Augustus… Germanicus, qu’il s’imposera dans le récit historique, un surnom que la présidente du groupe parlementaire de La France Insoumise a choisi, en plein débat sur la réforme des retraites au mois de mars 2023, pour filer la métaphore à la tribune de l’Assemblée Nationale. On attribue généralement au fils de Germanicus la célèbre citation « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ! » (« Oderint, dum metuant »). Une comparaison qui n’a pas fait rire tout le monde.
L’auteur
Licencié d’allemand à l’université de sa ville natale Orléans en 1969, Gérard Foussier a découvert sa passion pour les relations franco-allemandes grâce au jumelage avec Münster en Westphalie. Après une formation de journaliste au quotidien Westfälische Nachrichten, il a travaillé pendant trois décennies à la radio allemande Deutsche Welle à Cologne puis à Bonn, avant d’être élu en 2005 président du Bureau International de Liaison et de Documentation. Rédacteur en chef de la revue bilingue Dokumente/Documents pendant 13 ans, il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages. Son dernier livre, Allemanderies, est sorti en janvier 2023. Il détient la double nationalité et est détenteur de l’Ordre du Mérite allemand (Bundesverdienstkreuz).
Pour aller plus loin
Gérard Foussier : Allemanderies – les origines « barbares » de la France. Édition Vérone, Paris 2023
Je souhaitais apporter la même rectification. Vous m’avez devancée ! C’est une erreur pardonnable qui permet en outre de détecter les lecteurs qui ne se contentent pas d’une lecture en diagonale… 😉
Assurancetourix est devenu Troubadix dans la version allemande, et Majestix s’est imposé pour le chef Abraracourcix. Une fidèle lectrice d’Astérix