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Racisme et héritage colonial

Iconoclasmes outre-Rhin

Séverine Maillot et Ortwin Ziemer

La statue équestre de Guillaume II, vandalisée à Cologne en juin 2020 – le dernier Empereur allemand (1888-1918) avait cherché et trouvé « une place au soleil » en Afrique. © picture alliance / Geisler-Fotopress

25 août 2020

La mort violente de l’Afro-Américain George Floyd fin mai 2020 à Minneapolis ainsi que le mouvement « Black Lives Matter » revigoré ont déclenché un débat sur le racisme et l’héritage colonial dans le monde entier. En Allemagne, sa réception est différente.

Les raisons sont à la fois d’ordre historique, socio-économique et sociétal. En France, comme au moins partiellement aux Etats-Unis, le débat a essentiellement eu pour toile de fond, l’histoire coloniale et le lourd héritage de l’esclavage. Etant donné que l’histoire de l’Allemagne comme puissance coloniale s’est arrêtée abruptement et nettement plus tôt – à l’issue de la Première Guerre mondiale – et que la plupart des Afro-Allemands ont d’autres pays d’origines que leurs homologues français, la discussion en Allemagne s’est plus largement focalisée sur la question du racisme dans la société contemporaine – même s’il y a eu des points de convergence avec la France, comme la problématique du comportement raciste de certains membres des forces de l’ordre. Le débat allemand a également tourné, comme en France, autour de l’attitude à adopter envers des monuments ou autres traces du passé – comme les noms de rues par exemple – critiqués par une partie de l’opinion publique.

Cibles de reproches

Cette controverse a largement atteint l’Allemagne et laissé une trace bien visible dans les médias. Des actions iconoclastes contre des statues ou autres monuments datant de l’époque coloniale et plus largement du passé restent, pour l’instant, plutôt rares, même si, par exemple, deux statues du chancelier Otto von Bismarck (1815-1898), fondateur du Second Empire allemand, ont été taguées à la mi-juin à Hambourg-Altona et à la mi-juillet à Berlin.

Ces statues ont davantage été les cibles des reproches à l’encontre du colonialisme que du racisme – deux causes de mécontentement peu différenciées. Une inscription « Decolonize Berlin » a été retrouvée sur le socle du mémorial national berlinois de Bismarck dans le Tiergarten. Pourtant, au cours de son long mandat (1871-1890), Bismarck a effectué un véritable changement de paradigmes en matière de politique coloniale en s’interrogeant sur l’opportunité ou non pour l’Allemagne de conquérir des colonies. Initialement opposé à la fondation d’un tel empire, à l’acquisition d’une « place au soleil », il ne changea d’avis que nettement plus tard dans le contexte de la Conférence de Berlin (1884/1885).

« Decolonize Berlin » : le mémorial de Bismarck en juillet 2020 dans la capitale allemande, © picture alliance / Sven Braun / dpa

Cependant un e-mail, non identifié mais signé du même slogan et reçu par la Deutsche Presse-Agentur, s’insurge contre le fait que la capitale allemande continue, selon les auteurs du mail, à « honorer des colonialistes et des racistes par le biais de monuments et de noms de rue, pratique contre laquelle il faut résister. »

La rue des sarrasins

Ces dernières semaines, dans la capitale allemande, le débat s’est plus particulièrement articulé autour du nom d’une rue et d’une station de métro situées dans l’arrondissement de Berlin-Mitte et baptisées toutes les deux « Mohrenstraße ». Si la connotation du terme « Mohr » (sarrasin) est ressentie comme péjorative, voire raciste au moins depuis les années 1960, le débat sur d’éventuels changements de noms s’est largement intensifié et accéléré suite au meurtre de George Floyd. La BVG (Berliner Verkehrsgesellschaft), l’équivalent berlinois de la RATP, affiche sa volonté de rebaptiser la station de métro au plus tard d’ici la fin de l’année – après un débat public.

Si la station de métro porte ce nom seulement depuis la réunification, celui de la rue est beaucoup plus ancien et remonte effectivement à un contexte colonial car il s’agissait d’honorer ainsi au début du 18e siècle la mémoire d’une tentative prussienne, finalement avortée, de coloniser en 1682/83 une partie du Ghana actuel. Le chef de l’expédition, l’officier et explorateur prussien Otto Friedrich von der Groeben, avait à l’époque ramené à Berlin des serviteurs et esclaves ghanéens qui avaient été logés dans ce quartier.

La Mohrenstraße à Berlin : son nom sera-t-il remplacé par « George-Floyd-Straße » ? © picture alliance / Kay Nietfeld / dpa

Une « colonie permanente Togo » à Berlin

Un autre stigmate du passé, plus ouvertement provocateur, avait été corrigé à Berlin dès 2014. Cette année-là, un ensemble de jardins ouvriers de Berlin-Wedding, dénommé « Dauerkolonie Togo » depuis 1939 dans le sillage du révisionnisme colonial colporté par la dictature nazie, avait pris le simple nom de « Kleingartenverein », l’un des équivalents allemands du terme d’« association des propriétaires de jardins ouvriers ». Deux ans plus tard, le Musée de l’Histoire allemande, situé sur la célèbre avenue Unter den Linden, allait consacrer une exposition critique au travail de mémoire berlinois et allemand sur le thème sensible de l’héritage du colonialisme. La manifestation intitulée « Le colonialisme allemand. Fragments du passé et du présent »  abordait également la perspective des colonisés, négligée jusque-là, et avait suscité un vif intérêt, quelque peu inattendu, auprès du public allemand, voire du monde entier.

Et pourtant, tout le monde n’est pas prêt à véritablement changer de regard. Dans le même quartier de Wedding, dont une partie est parfois surnommée « le quartier africain de Berlin », plusieurs rues portent toujours les noms de famille de protagonistes du colonialisme allemand. Mais ces dernières années, on a parfois eu recours à des homonymes sur les panneaux pour se référer à d’autres personnages historiques qui n’ont effectivement rien à voir avec le colonialisme.

Confronter et assumer le passé

Des associations antiracistes parlent pourtant d’une sorte de tromperie sur la marchandise, « Etikettenschwindel », et ont proposé de rebaptiser ces rues en les dédiant désormais aux victimes d’atrocités commises par le régime colonial allemand, en choisissant par exemple le nom de Maji-Maji-Allee , nom d’une révolte réprimée dans le sang par les troupes coloniales allemandes au début du 20e siècle en Afrique orientale allemande – une initiative qui a enfin abouti début 2020 malgré plusieurs recours juridiques.

Dans le même registre, au sujet  de la question du maintien, de la contextualisation pédagogique et explicative ou plutôt de l’abrogation pure et simple de certaines traces du passé, des idées novatrices ont été expérimentées en Allemagne depuis quelques années.

Ainsi, depuis avril 2016, le Musée de la Citadelle de Spandau, dans l’ouest berlinois, propose une exposition permanente intitulée « Dévoilés. Berlin et ses monuments ». On y retrouve nombre de statues érigées et plus tard déboulonnées lors des différents changements de régime. D’une manière interactive et numérique, le visiteur en découvre chaque fois les raisons et le contexte historique. Dans le quartier de Zehlendorf, une statue controversée intitulée « Hockende Negerin » (mot à mot « Négresse accroupie ») était visible dans la  Leuchtenburgstraße depuis le milieu des années 1980. Elle avait été créée dès les années 1920 par le sculpteur Arminius Hasemann, à partir de 1932 attaché culturel du parti hitlérien. Dans la nuit du 18 juin 2020, cette statue a été décapitée par des inconnus après que les Verts locaux avaient suggéré, en 2019, son transfert au Musée de la Citadelle de Spandau. Une idée d’abord reprise suite à sa décapitation, mais ensuite non retenue par le maire adjoint chargé des Affaires culturelles, arguant que cette statue ne correspond pas au concept pédagogique de l’exposition.

Luttes du présent

Si l’on constate souvent une nette volonté d’affronter et d’assumer le passé historique du pays avec courage et franchise et de s’opposer sans ambiguïté à toute forme de racisme, certains politiques continuent pourtant à faire preuve de frilosité. Ainsi, le ministre fédéral de l’Intérieur Horst Seehofer (CSU) continue à s’opposer à une étude ayant pour but d’évaluer d’éventuelles tendances racistes et d’extrême droite spécifiquement au sein de la police allemande. Il est pourtant prêt à donner son accord à des investigations dans ce sens ciblant toutes les forces de sécurité allemandes d’ici septembre 2020. Cette attitude continue à faire grincer les rouages de la grande coalition au pouvoir à Berlin. Les questions de mémoire et de lutte contre toutes les formes de discriminations sont loin de faire l’unanimité des deux côtés du Rhin.

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