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Covid-19 en France et en Allemagne

À Rome, fais comme les Romains

Mariella Hutt

Les « fêtes Covid » ont lieu des deux côtés du Rhin. Photo non contractuelle, © Alexey Lesik, Shutterstock

31 décembre 2020

La France et l’Allemagne sont en proie à une grave crise sanitaire que les deux pays gèrent différemment. L’expert Peter Franklin explique pourquoi.

Le 12 mars, vers 20h30. Je suis installée avec mes camarades et professeurs français devant un écran d’ordinateur dans le couloir de notre université, à Strasbourg. Le président Emmanuel Macron annonce que toutes les universités en France seront fermées à partir de lundi. Des acclamations de mes camarades de classe, des soupirs de mes intervenants – et moi, l’unique Allemande dans la classe, semble être la seule qui soit surprise par la nouvelle.

« Une telle chose serait impossible en Allemagne », déclare le professeur Peter Franklin à propos de l’annonce faite par M. Macron. Peter Franklin est expert en gestion et communication interculturelle à l’établissement supérieur Hochschule für Technik, Wirtschaft und Gestaltung à Constance, dans le sud de l’Allemagne. Au début, il est surpris de la même manière par la déclaration du président. En mars, il est invité à une conférence en France, mais l’événement n’a pas lieu en raison de la crise sanitaire.

Peter Franklin

« J’ai été déconcerté lorsque l’annulation est arrivée et que le collègue a fait référence au discours du Président Emmanuel Macron », dit-il. En Allemagne, une telle décision n’est pas déclarée par le chancelier, mais incombe normalement aux universités elles-mêmes. En principe, les discours télévisés des chanceliers sont inhabituels en Allemagne. Angela Merkel a – quelques jours après le discours de M. Macron – fait dans le cadre de la pandémie usage de cette forme de communication pour la première fois au cours de son mandat de près de 15 ans. « Elle était sérieuse, sobre, objective et pourtant le discours était en quelque sorte émotionnel. Il a impressionné de nombreux Allemands », analyse le scientifique. Ce qui surprend les Allemands est pourtant normal, dans la culture française. « En France, le pouvoir est plutôt concentré, en Allemagne, il est plutôt réparti. Le président est très important en France et a beaucoup d’influence. Il est plus puissant qu’Angela Merkel », explique-t-il.

Règles et autorité

« Je veux en profiter pour passer beaucoup de temps avec mes amis ici à Strasbourg et prendre des vacances », a dit ma colocataire française après l’annonce de la fermeture des universités. Et tandis que mes amis en Allemagne discutaient si cela ne serait pas trop dangereux de se rencontrer le week-end, mon colocataire a confirmé : « Notre fête de colocation du samedi aura bien lieu ».

Je ne comprenais pas pourquoi les Français étaient si détendus par rapport à la situation actuelle. Eux, ils souriaient à leur tour aux Allemands qui étaient si stricts quant au respect de toutes les directives recommandées. « Au début de la pandémie en particulier, il y avait beaucoup d’incertitude, il fallait la maîtriser », explique M. Franklin. Les deux cultures ont adopté des approches différentes pour amener la population à adhérer aux mesures. « Les structures dépendent de la culture. Les structures et les mesures résultent de valeurs influencées par la culture. Vous mettez en pratique ce que vous avez comme valeur », explique l’expert. « La norme culturelle allemande, dit-il, est axée sur les règles, ce qui réduit l’incertitude perçue : Il y a beaucoup de règles, mais moins d’autorité. En Chine, en revanche, le gouvernement ne s’appuie que sur l’autorité », et « en France, il y a une combinaison d’autorité et de règles afin que la population agisse dans l’intérêt du groupe », dit monsieur Franklin.

L’armée française contrôle si le confinement à Strasbourg est respecté. © JethroT, Shutterstock

Les Allemands s’en tiendraient essentiellement aux règles, « même si maintenant, tout n’est pas pris aussi sérieusement et sans sens critique qu’au début de la pandémie », souligne-t-il. En Allemagne, les règles ont une fonction émotionnelle et de contrôle de comportement. Des études quantitatives ont montré que la France, contrairement à son voisin, a un plus grand besoin d’éviter l’insécurité et il y a donc plus de règles qu’en Allemagne. « Les Français, en revanche, sont plus souples sur ces règles, car il n’y a pas de contrôle social dans la population. Il y a plutôt le contrôle par une personne d’autorité », continue le scientifique.

Alors que quelques jours plus tard, 30 personnes dansaient ensemble dans le salon de ma colocation, les restaurants et les bars fermaient quelques mètres plus loin. Le lendemain matin, l’ambiance de fête dans l’appartement s’était rapidement évaporée. Il y a eu des rumeurs de confinement, les frontières devaient fermer. J’ai fait ma valise et je suis rentrée en Allemagne, ma colocataire est allée dans le sud chez sa famille et mon colocataire est resté seul dans l’appartement.

Peu de temps après, le confinement complet a été instauré en France. En Allemagne, cependant, il n’y avait que des restrictions locales, comme en Bavière ou dans la ville de Fribourg. Mes amis français, qui m’avaient souri quelques jours et semaines auparavant, ont soudain suivi strictement toutes les règles : remplir l’attestation de déplacement, mettre le masque quand on fait des courses et parfois dans les lieux publics, garder ses distances, se laver soigneusement les mains et ne pas faire la fête.

Restrictions en Bavière : la place Marienplatz à Munich était presque vide en mars. © Rico Markus, Shutterstock

« Les cultures peuvent changer – lentement. Même les Français, par ailleurs épris de liberté, les gilets jaunes protestataires et les travailleurs en grève peuvent soudain respecter les règles. Ils ont compris que cela doit maintenant être dans l’intérêt du groupe. Les règlements et aussi les déclarations du président Emmanuel Macron ont convaincu les Français ». Pendant la crise, les Allemands ont eu la confirmation de l’importance que revêt pour eux « l’ordre allemand », car il réduit l’insécurité perçue. « Le système de formation allemand est très orienté vers la technique, une grande importance est accordée à la reconnaissance, l’analyse et la résolution des problèmes. On peut également le constater dans la lutte contre la pandémie. L’optimisation des structures et des processus fait partie des points forts des Allemands », explique l’expert.

Gestion de la crise

Mes amis en France ont également de plus en plus salué la manière dont la pandémie a été traitée dans le pays voisin : « L’Allemagne gère beaucoup mieux la crise », ont-ils souligné. Pendant que les Allemands regardaient avec admiration la gestion de la crise en Corée du Sud ou à Taïwan, les Français regardaient l’Allemagne avec admiration. En mai, lorsque j’ai pu profiter de la chaleur du début de l’été à l’extérieur, en petits groupes avec des amis, mes camarades de classe ont passé leur temps au bureau et ont utilisé chaque seconde libre pour notre projet universitaire – parce qu’ils n’avaient rien d’autre à faire de toute façon. Je n’avais même pas besoin de les voir pour savoir qu’ils étaient envieux.

« On admire toujours les pays où les choses se passent mieux. En Allemagne, la gestion de la crise sanitaire a beaucoup mieux fonctionné que dans d’autres pays », explique l’expert à propos de la situation des Français en ajoutant : « L’Allemagne est simplement le pays voisin, plus proche des Français que la région asiatique ». Jusqu’à présent, l’Allemagne s’en est relativement bien sortie. Les raisons sont multiples, comme le respect des règles, le contrôle interne et l’infrastructure médicale. Mais il y a encore des pays où la crise a été mieux gérée, comme en Corée du Sud ou à Taïwan. Des pays qui ont souvent été admirés par la population allemande : Une application mobile d’alerte pour limiter la propagation du coronavirus a été introduite très tôt, il y a eu beaucoup de tests dès le début et les taux d’infection étaient relativement faibles.

En juillet, le port d’un masque dans les lieux publics était seulement recommandé. Mais depuis le 29 août il est obligatoire dans presque tout Strasbourg. © Lia Seisdici, Shutterstock

Les leçons de la pandémie

En Allemagne et en France également, l’incidence des infections a diminué en juin et juillet. Lorsque les frontières se sont rouvertes, je suis retournée dans ma colocation française. Dès que je suis arrivée, mes colocataires m’ont annoncé : « Ce soir, il y aura une fête dans la coloc avec 20 à 30 personnes ». Même si personnellement je n’ai pas apprécié, je n’ai pas vraiment été étonnée. Car en Allemagne aussi, on entend de plus en plus parler de fêtes dites « Corona » : des fêtes sans gestes barrières.

« Les Allemands et les Français se comportent de la même manière. Ils ont remarqué qu’ils ont besoin de ces fêtes et des contacts sociaux même s’ils sont souvent incompatibles avec l’apparition d’une infection. Chacun veut retrouver un peu de liberté et a besoin des autres. Les contacts sociaux sont importants », analyse l’expert.  « La société et la culture sont une entité dynamique et apprenante. Ils apprennent de l’expérience et adaptent les valeurs, les normes et les pratiques », résume M. Franklin qui estime donc qu’un nouveau confinement dans les deux pays serait difficile à instaurer.

La chronologie de la pandémie de Covid-19 en Allemagne

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