Quel rôle pour la France et l’Allemagne en Europe ?
Vous avez dit leadership ? Une voix des Pays-Bas
Dans l’épisode 8 de notre cycle « Vous avez dit leadership ? », René Cuperus rend compte de la perspective néerlandaise. Il explique : la France et l’Allemagne continueront à assumer le rôle de moteur de l’UE, la question est surtout de savoir combien d’essence il reste dans le réservoir.
Du point de vue néerlandais, c’est une évidence : le moteur franco-allemand a déjà mieux fonctionné que ce n’est le cas actuellement. Il a été dit et répété à l’envi qu’entre Olaf Scholz et Emmanuel Macron, le contact passait mal, la faute probablement aux difficultés auxquelles ils sont confrontés au plan intérieur.
Pour l’Allemagne la guerre en Ukraine a marqué la fin d’une époque. Nombre de certitudes et évidences ont été subitement remises en question. On le voit : la coalition « feu tricolore » a du mal à rester soudée, le chancelier à sortir de son « habit traditionnel ». La France aussi est en proie à de fortes turbulences politiques, à la division et la polarisation. Marine Le Pen est dans les starting-blocks ; aux élections européennes, son parti devrait selon toute vraisemblance atteindre un très bon score. Un mandat européen clair et sans équivoque est nécessaire au niveau national pour pouvoir être écouté à Bruxelles. Or, tel n’est actuellement et ne sera a priori pas le cas, ni en France, ni en Allemagne : il en résulte que le moteur franco-allemand ne fonctionne plus qu’à rythme réduit.
Des structures différentes
Dans son second discours de la Sorbonne, Macron a plaidé pour une Europe géopolitique forte, capable de contrebalancer la Chine, la Russie et les États-Unis, et a prévenu, sur un ton quelque peu dramatique : si nous ne le faisons pas, « l’Europe pourrait mourir ». L’Allemagne n’y a aucune réponse, du moins de façon substantielle.
Les deux pays ont des structures étatiques très différentes. La France est un pays fortement hiérarchisé, un État centralisé où le président dispose de pouvoirs étendus et d’une large marge de manœuvre. L’Allemagne, en revanche, a une organisation fédérale. Scholz est certes chancelier mais il n’a pas la toute-puissance du président français. Il doit s’accorder avec sa coalition ; les Länder ont également souvent leur mot à dire. L’Allemagne ne peut pas parler d’une voix forte en Europe aussi facilement que ne le fait la France.
Des idées et de l’argent
Il n’en reste que la coopération franco-allemande demeure essentielle pour l’UE. Le secret de cet axe réside peut-être aussi dans le fait que la France représente plus ou moins le sud de l’Europe, l’Allemagne le nord. La logique est la suivante : si la France et l’Allemagne parviennent à se mettre d’accord, alors le Nord et le Sud sont plus ou moins « réconciliés ». Ce n’est qu’à ce moment-là que Bruxelles est en mesure d’avancer. Un pays comme les Pays-Bas peut par exemple accepter les propositions allemandes, tandis que des pays comme l’Espagne ou l’Italie se retrouvent dans les positions françaises.
Pour dire les choses plus simplement, les idées et visions viennent de France, l’argent d’Allemagne, pays où la Banque centrale européenne a son siège (et ce n’est pas un hasard). L’Allemagne est traditionnellement vue comme le géant économique de l’Europe, la France comme la partie politique et militaro-stratégique du bloc moteur.
À son propre avantage ?
Dans un petit pays comme les Pays-Bas, on craint parfois que le moteur franco-allemand n’ait que pour ambition que de satisfaire ses propres intérêts. C’est une question compliquée. Certains fonds européens sont certainement alloués de façon disproportionnée. On entend par ailleurs souvent dire que de nombreux Allemands occupent des postes influents au sein de l’administration européenne. Ce n’est pas pour rien si la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, joue en tant qu’Allemande et membre de la CDU, un rôle à ce point important. La procédure de recrutement que les fonctionnaires néerlandais doivent suivre pour obtenir un poste dans l’administration européenne est fortement inspirée du système éducatif français. Les Français le connaissent bien, y sont habitués et s’en sortent souvent très bien, alors que les Néerlandais ont souvent du mal à y faire face.
Parfois, les grands pays ont un peu trop de pouvoir (ils sont souvent épargnés lorsqu’ils enfreignent les règles budgétaires), mais il arrive parfois aussi qu’ils aient peu de voix au chapitre. L’Allemagne, par exemple, ne dispose que d’un siège à la Banque centrale européenne alors même que c’est elle qui contribue le plus au budget de l’Union. Si l’UE venait maintenant à accueillir les pays des Balkans occidentaux sans se réformer, alors ces derniers auraient sept commissaires et se retrouveraient face à un commissaire français et un commissaire allemand. Dans un tel scénario, les grands pays ne disposeraient pas de pouvoirs proportionnels à leur taille. Il est essentiel de ne pas le perdre de vue. Le soutien que France et Allemagne apportent au projet européen ne doit pas être sous-estimé, de même que la voix des petits pays doit être écoutée et respectée.
Ce que les petits pays peuvent faire
Quoi qu’il en soit et quelle que soit la situation, la France et l’Allemagne resteront le moteur, la force motrice de l’Europe. La question est surtout de savoir combien d’essence il reste dans le réservoir. Qui est au volant ? Est-ce que les choses vontassez vite ? Il est important que les petits pays soient forces de proposition et qu’ils parviennent à être écoutés. Mais la France et l’Allemagne sont et resteront le pivot autour duquel l’Europe doit articuler sa force géopolitique dans un monde qui a perdu sa boussole.
L’auteur
René Cuperus est actuellement Senior Research Fellow « EU & Global Affairs » au Clingendael Institute, l’institut néerlandais des relations internationales. Ses articles portent sur la géopolitique, l’élargissement et la réforme de l’UE, la montée du populisme et l’érosion des partis traditions. Il est également chercheur invité à l’Institut allemand de l’université d’Amsterdam. René Cuperus siège aussi au conseil d’administration de la Commission atlantique néerlandaise.