Parole de témoin
« Il y a ici un très fort rejet du Président et de cette ‘élite parisianiste’ donneuse de leçons. »
Élu député en 2017 après avoir battu le numéro 2 du Front National, Christophe Arend a été durant cinq ans un témoin privilégié de la vie politique française. Pour dokdoc, il jette un regard sans concession sur la présidence Macron, revient sur la montée en force du vote Le Pen et évoque sa relation avec Wolfgang Schäuble.
dokdoc : M. Arend, vous faisiez partie de ces marcheurs qui, venant de la société civile, ont contribué en 2017 la victoire d’Emmanuel Macron. Quelles raisons vous ont à l’époque poussé à abandonner vous métier chirurgien-dentiste et à vous lancer dans la politique ?
Christophe Arend : en fait, j’ai adhéré à ce qu’on appelle la grande marche dès le mois d’avril 2016 parce que je trouvais l’idée intéressante : faire un état des lieux du pays. À partir d’août, les choses ont commencé à se structurer. Il y a eu aussi une réelle adhésion à cette idée de fond incarnée par Emmanuel Macron : arrêter de s’opposer systématiquement et prendre ce qu’il y a de bon dans la globalité du spectre politique.
dokdoc : et c’est là que vous avez songé à devenir député ?
Arend : au départ, je ne souhaitais pas être député. Les choses se sont en fait accélérées au dernier moment : j’ai été le tout dernier à être investi parce que pendant longtemps, La République En Marche ne voulait mettre personne face à Florian Philippot, le numéro deux du Front National, candidat dans ma circonscription (ndlr : la 6ème de Moselle).
dokdoc : au mois de juin 2017, vous êtes élu député avec 56,96% de voix. Quelles ont été les forces de votre campagne ? Et qu’est-ce qui vous a permis de battre un poids lourd du parti de Marine Le Pen ?
Arend : deux choses. La première, c’est qu’avec Florian Philippot, il y a eu une vraie campagne, il est allé avec moi au débat radio diffusé en direct sur France Bleu et les réseaux sociaux. J’ai fait par ailleurs une campagne active de terrain, lui était quotidiennement sur les grandes chaînes de télé. Je fermais tous les jours mon cabinet à quatorze heures et j’enfilais ensuite mon costume de candidats pour aller serrer des mains, discuter. Et la seconde : je n’ai jamais appelé au front républicain parce que je sais que, chez-moi, les élus locaux ne revendiquent pas d’étiquette, ou très rarement. S’unir contre quelqu’un vous permet certes de gagner, mais ça ne dit toujours pas au citoyen quelle politique vous allez ensuite appliquer.
dokdoc : c’est donc cette forte présence sur le terrain qui, dans votre cas, a été déterminante.
Arend : oui, et ça m’amène à faire la transition avec 2022. J’ai accepté pendant mon mandat de prendre des charges supplémentaires et de faire du franco-allemand. Cette charge ou plutôt cette surcharge du franco-allemand a fait que j’ai été moins présent dans ma circonscription. J’y ai consacré un tiers de mon temps. Ça a été préjudiciable à mon ancrage local qui plus est parce qu’en parallèle, j’ai dû démissionner de tous mes mandats. Pendant ce temps, le RN a continué à être de toutes les fêtes locales, à serrer les mains. En 2022, ce n’était plus du tout la même campagne. Mon concurrent (ndlr : Kévin Pfeffer) n’a plus eu besoin de rentrer dans le combat politique, il était ancré.
dokdoc : alors que pourtant, vous avez beaucoup fait durant la pandémie : on vous a souvent vu en première ligne. C’est une chose qui a dû marquer les populations.
Arend : les universitaires ont retenu ça, Paris et Berlin ont retenu ça, mais les citoyens n’ont pas retenu ça. Les citoyens ont retenu que nous ne sommes pas parvenus à empêcher la fermeture des frontières. Ils ont retenu qu’il y a de nouveau eu des tensions entre Français et Allemand. Ils ont retenu que nous ne sommes pas parvenus à empêcher le phénomène de double imposition sur le chômage partiel. Certains ont vu que je me battais mais beaucoup ont vu que ce que Florian Philippot disait dans son livre « Frexit » (2018) s’est réalisé : vous verrez qu’en cas de crise sérieuse, la première réaction des Allemands sera de fermer les frontières, de se replier sur eux. Et c’est précisément ce qui a eu lieu.
dokdoc : je pense également à votre engagement au sein de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (AFPA).
Arend : cette Assemblée, et ça n’engage que moi, on voit bien qu’aujourd’hui elle est moins productive : le Comité de Coopération transfrontalière est en situation de blocage, le Forum pour l’avenir patine – contrairement au Fonds citoyen qui fonctionne très bien et que je considère, dans son engagement pour les sociétés civiles, comme un moteur du futur. On m’a bien plus imputé les difficultés que les réalisations. Regardez le traité d’Aix-la-Chapelle et la clause d’expérimentation contenue dans l’article 13 : cinq ans après, on a zéro application dans le droit allemand et une dans le droit français, la loi 3DS qui permet d’utiliser les infrastructures médicales du pays voisin dans le cadre de projets de territoire. Et ensuite, les citoyens ont retenu que Français et Allemands n’arrivent pas à s’entendre sur la défense, sur la politique étrangère. Pour beaucoup, l’amitié franco-allemande représente quelque chose qui ne marche pas.
dokdoc : pourquoi les zones frontalières votent-elles tant pour le RN ?
Arend : il y a plusieurs choses. Il y a la situation particulière de ma circonscription, qui est celle avec le plus fort de chômage de toute la région du fait, notamment, de la désindustrialisation. L’après-mine n’a pas du tout été géré. Il y a aussi le sentiment que Paris se désintéresse totalement de nous. Et il y a le problème à proprement parler des frontières, des irritants du quotidien. Pourquoi notre école de musique à Petite-Rosselle ne peut-elle pas plus facilement accueillir des enfants de la ville d’en face ? La seule chose qu’on a réussi à faire après des années de combat, c’est la convention MOSAR qui permet aujourd’hui aux gens qui ont un grave accident de santé chez nous d’être soignés en Allemagne. Aujourd’hui, tu fais un infarctus ici, tu es en quinze minutes à l’hôpital, côté allemand, mais si tu devais être acheminé dans un hôpital de ta région, tu en aurais pour 45 minutes de transfert. On a commencé à discuter de cette convention en 1995, je l’ai faite signer en 2019 !
dokdoc : que reproche-t-on à Emmanuel Macron en Moselle ? Est-il aussi haï que les extrémistes le disent ?
Arend : chez-moi, on me dit : vous étiez un excellent député, mais le gars qui était sur la photo avec vous, on ne peut plus, on ne peut plus le voir. Pour quoi ? Parce que qu’il n’écoute pas. Il a souvent dit : on va faire des consultations mais il n’en est jamais rien sorti. Regardez la convention citoyenne sur le climat. Emmanuel Macron dit : je reprendrai tout sans rien modifier, sauf que la moitié des choses ne peut pas être mise en œuvre parce que soit ce n’est pas tenable sur le plan économique, soit c’est anticonstitutionnel. Et les gens ont retenu ça. Ensuite, ils ont retenu la phrase qu’il a prononcée à Marseille en juin 2023 : « Moi, je vous promets, je fais le tour du Vieux-Port ce soir avec vous, je suis sûr qu’il y a dix offres d’emploi ». Il a le droit de le dire mais il faut qu’il le fasse ensuite. Il a été mauvais dans la communication et on a aujourd’hui quelqu’un qui donne l’impression d’être assis tout en haut de la pyramide, qui regarde droit devant lui. Et forcément, quand on est assis tout en haut de la pyramide, on ne voit plus ce qui se passe à ses pieds. Il y a ici un très fort rejet du Président et de cette « élite parisianiste donneuse de leçons ».
dokdoc : l’Allemagne n’a-t-elle pas fait assez pour soutenir Emmanuel Macron ? L’a-t-elle laissé tomber comme on entend parfois dire ?
Arend : ce n’est pas l’Allemagne qui a perdu Emmanuel Macron. L’Allemagne m’a perdu partiellement, moi, en fermant les frontières.
dokdoc : et si on change de perspective : diriez-vous que le Président a trop bousculé l’Allemagne avec ses propositions à répétition ?
Arend : il y a de mon point deux grandes difficultés dans le franco-allemand. La première, c’est ce qu’on appelle la Dienstebene en Allemagne : chacun veut discuter avec le même niveau de compétence, mais je suis désolé, ça n’existe pas. Les deux pays sont totalement différents. Et la deuxième chose, c’est ce que j’appelle la réciprocité, c’est-à-dire que chacun attend de l’autre qu’il fasse le premier pas, mais aujourd’hui, plus personne ne veut faire le premier pas. Et quand au final, on arrive à faire un pas en même temps, on passe l’un à côté de l’autre.
dokdoc : vous avez travaillé avec Wolfgang Schäuble notamment au sein de l’AFPA : quel souvenir gardez-vous de lui ?
Arend : Wolfgang Schäuble ne m’a jamais jugé parce que je n’étais pas du sérail politique. Il m’a écouté, je l’ai écouté. Nous avons eu de très nombreux échanges privés. l m’appelait « mon ami Arend » – un grand honneur pour moi. Sans lui, nous, Andreas Jung et moi, n’aurions pas pu faire tout ce que nous avons pu faire avec l’AFPA. J’ai eu en outre l’honneur d’ouvrir sa dernière campagne électorale en 2021 et de l’accueillir à Stiring Wendel, dans ma circonscription l’année suivante, quand j’étais en campagne. Brigitte Klinkert et moi avons enfin été les deux seuls Français à être invités à ses obsèques. S’agissant du franco-allemand, Schäuble était pour moi un père spirituel.
dokdoc : de quoi la France et l’Allemagne ont-elles le plus urgemment besoin dans le contexte actuel ?
Arend : dans les deux pays, il y a une déconnexion entre la politique et ce que se passe sur le terrain. Il faut regarder les choses en face et réfléchir aux causes de la montée des extrêmes. Les deux pays ont besoin de médecine éthologique, pas de médecine symptomatologique.
Interview : Landry Charrier
Notre invité
Chirurgien-dentiste de formation, Christophe Arend a été élu député de la 6ème circonscription de Moselle en 2017. Durant son mandat, il a été président du Bureau exécutif de l’Assemblée parlementaire franco-allemande ainsi que du groupe d’amitié parlementaire France-Allemagne. Christophe Arend a également été corédacteur du traité d’Aix-la-Chapelle. De 2022 à 2024, il a notamment été Chef du service des relations franco-allemandes à la chancellerie de la Sarre.