Comédie stand-up:
Beaucoup de choses à noter, rien à redire
« Bonjour Madame Merkel » : La pièce de et avec Anna Fournier se joue jusqu’au 4 janvier au Théâtre de la Pépinière à Paris. Martina Meister y a assisté pour nous. Elle nous en parle.
On peut juger la carrière politique d’Angela Merkel et sa longue présence à la tête de l’Allemagne comme on le souhaite, mais la plupart des Allemands sont d’accord sur un point : Elle ne nous a pas souvent fait rire. De temps en temps, elle laissait entendre qu’elle avait de l’humour, mais il était souvent aussi sec que la Marche de Brandebourg. Bien sûr, le travail a fait que la chancelière n’était pas la reine de la bonne humeur de la République. On pouvait littéralement voir les coins de la bouche de Merkel s’étirer de plus en plus vers le bas et les sillons nasogéniens se creuser de plus en plus profondément dans son visage au cours de ses 16 années de mandat. Il n’y avait peut-être pas de quoi rire non plus.
En Allemagne, des artistes de cabaret se sont régulièrement attaqués à Angela Merkel. En 2017, le journaliste Konstantin Richter s’est cassé les dents sur elle avec son roman « Die Kanzlerin » (La chancelière). En 2019, « Angela I. », une pièce de théâtre de la Shakespeare Company de Brême, sans doute elle aussi plutôt ratée, a suivi. Tous étaient probablement beaucoup trop proches de leur objet, tous voulaient mettre beaucoup trop de choses dans leurs œuvres, faire le bilan, faire les comptes, mettre un point final.
Angela Merkel parle français
Le fait que ce soit une Française qui réussisse à enthousiasmer et à faire rire les spectateurs à Paris et en province avec une comédie de stand-up sur Merkel est surprenant au premier abord, plausible au second, et constitue en tout cas une performance de taille. L’auteur et comédienne Anna Fournier s’est fait remarquer en 2022 dans le Off du Festival d’Avignon avec son one-woman-show « Bonjour, Madame Merkel », qui a depuis fait le tour de France. Elle est maintenant de retour au théâtre de la Pépinière à Paris avec sa pièce Merkel jusqu’à début décembre, date à laquelle elle sera remplacée par sa collègue Candice Bouchet.
Pour les téléspectateurs allemands, un petit mode d’emploi ne peut pas faire de mal : Oubliez tout ce que vous avez toujours su sur Angela Merkel. Abordez cette soirée sans préjugés. Installez-vous confortablement dans votre fauteuil et laissez-vous surprendre. Car Angela Merkel parle français, avec un lourd accent allemand, elle laisse traîner les phrases, les sons sortent profondément de sa gorge, toute la prosodie est allemande.
Angela Merkel n’est pas non plus particulièrement âgée, pas même quarante ans. Elle n’est pas non plus en surpoids, sa veste rouge sans col est cintrée et ne s’enfonce pas. Il n’y a pas non plus de ressemblance frappante entre les générations. Pourtant, vous avez Angela Merkel devant vous, lorsque la Française se glisse sur scène dans la peau de l’ancienne chancelière allemande, pendant près d’une heure et demie. Avec cette pièce, Fournier a fait preuve d’un grand talent d’écriture et a en outre le don d’acteur de rappeler simplement la personnalité de la chancelière par des gestes, des mimiques et des postures.
D’abord la fille, ensuite la maman
Avec « Bonjour, Madame Merkel », Fournier ose le psychogramme d’une femme politique qui fut pendant des années la femme la plus puissante du monde. Elle évoque des images. Merkel avec Poutine. Merkel avec Obama. Merkel la plupart du temps comme seule femme au milieu d’un groupe d’hommes d’État. Ce faisant, elle dresse le portrait d’une femme qui ne s’est laissée impressionner par presque rien, sauf par le chien de Vladimir Poutine, et qui, rarement impartiale, a toujours fait passer la cause avant sa propre personne.
Il y a quelque chose de rafraîchissant et de naïf dans le fait que tout soit passé en revue : la RDA, le foyer du pasteur, la scientifique, la chute du mur, le sur-père Helmut Kohl, l’ascension au sein de la CDU, le parricide, l’élection à la chancellerie, la chancellerie, les quatre mandats. Fournier retrace de manière divertissante et humaine le parcours de la « fille » à la « maman » et fait sentir à ses spectateurs qu’elle a du respect pour son personnage. « C’est une femme fascinante », dit Fournier dans une interview à la radio France Info, ajoutant qu' »elle a démontré que l’éthique était possible en politique. Elle était pragmatique, elle a changé d’avis ».
Poutine envahit l’Ukraine après le départ de Merkel
La crise migratoire occupe étonnamment peu de place dans ce portrait de Merkel, mais la politique d’austérité brutale à l’égard de la Grèce en occupe davantage. Ce qui est décisif dans le travail de Fournier, c’est qu’il ne cherche pas à dresser un bilan politique, ni à porter un jugement définitif. On assiste aux conflits internes de Merkel, on devine ses mérites, on sent ses erreurs, mais Fournier s’est glissée dans la peau et donc dans l’âme de son protagoniste. Elle ne veut pas faire le procès de l’ancienne chancelière et ne peut pas être plus autocritique que Merkel ne l’était dans sa propre autobiographie.
Dans « Bonjour, Madame Merkel », il n’est question que de l’intimité du politique. Fournier y applique le principe de la tragédie du XVIIe siècle : « Tout se passe dans l’antichambre, dans l’antichambre. Ce que l’on voit et entend, ce sont les discussions en off, l’intimité du politique que chacun ne peut qu’imaginer », explique l’auteur et comédienne.
Merkel n’est pas une fashionista
Que se sont dit Angela Merkel et Nicolas Sarkozy lors de leur promenade sur la plage de Deauville en octobre 2010 ? Que rapporte-t-elle à son mari, Joachim Sauer, après une rencontre avec Vladimir Poutine au cours de laquelle ce dernier a haussé le ton ? « Se met-elle parfois en colère ? », demande Fournier, « pourquoi semble-t-elle indifférente à tout ce qui a trait à son apparence ? Que se passe-t-il au fond d’elle lorsqu’elle prend une décision qui détermine le sort de millions de personnes ? » Mais à un moment de la pièce, Madame Merkel se demande si Poutine n’a pas attendu qu’elle quitte le pouvoir pour envahir l’Ukraine. « Est-ce que je porte une responsabilité », se demande-t-elle ? C’est aussi ainsi qu’elle fait se résumer en une seule pensée des enchevêtrements complexes. Avant cela, il y a eu la sortie du nucléaire, la dépendance aux sources d’énergie russes, le deal avec Nord Stream et, bien sûr, le « non » de Merkel lorsqu’il a été question d’une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
Charmeurs, agités, nounours et Jeanne d’Arc
C’est lorsque Fournier explique l’Allemagne et la France à ses compatriotes français, du point de vue de la chancelière, qu’elle fait le plus rire. La culture allemande de la coalition ? Ils ne peuvent pas comprendre, alors qu’ils votent tous les cinq ans pour un surplomb autoritaire dont le Parlement n’a qu’à approuver les décisions.
En quelques coups de pinceau, Fournier dresse les portraits des quatre présidents français que Merkel a connus en tant que chancelière : Jacques Chirac, le charmeur qui en avait fini avec la politique. Nicolas Sarkozy, le fébrile qui, lors de la crise des subprimes, a voulu la pousser à sauver les banques françaises. François Hollande, le nounours qui a bombardé la Syrie. Et enfin, le président en exercice, Emmanuel Macron, « l’incarnation de l’esprit populaire français romanesque », à propos duquel sa propre femme Brigitte dit : « J’ai parfois l’impression de vivre avec Jeanne d’Arc ». Merkel n’a pas beaucoup de goût pour ce genre d’eschatologie politique exagérée : » Ils sont sur la lune, ils ont complètement décollé, dit-elle en levant les yeux au ciel.
Elle explique également le verbe « merkeln » aux Français : Laisser pourrir une situation en ne prenant pas de décision. En bon français, laisser passer une affaire. Son jugement final sur l’amitié entre Paris et Berlin, sur le fameux moteur, sur le couple improbable est le suivant : « Je n’ai jamais compris la sacro-sainte relation franco-allemande ». Ce soupçon a en effet toujours existé. Il est bon que quelqu’un le dise aussi clairement.