Les grandes questions de notre temps :
Fin de vie et assistance au suicide en Allemagne : quels débats ?

En Allemagne, la fin de vie et l’assistance au suicide suscitent des débats passionnés : entre droit, éthique et autodétermination, quelles sont les limites et perspectives légales ?
En Allemagne, il n’y a pas de textes réglementant les actes médicaux en fin de vie. Seule la validité et le caractère obligatoire des directives anticipées (Patientenverfügungen) sont réglés par cadre juridique du droit dit de tutelle. L’homicide à la demande de la victime est punissable bien que cette disposition n’ait pas été adoptée dans le contexte d’une réflexion sur la médecine de fin de vie. En réalité, cette interdiction figurait déjà dans le Code pénal du Reich de 1871 (Reichsstrafgesetzbuch).
L’euthanasie depuis 1945
Comme dans tous les pays développés, l’euthanasie a fait et fait aujourd’hui encore l’objet de débats controversés. On peut distinguer différentes périodes dans la manière dont ces discussions ont été menées depuis la Seconde Guerre mondiale.
La période allant de 1945 à 1970 a été marquée par le silence entourant les crimes nazis. Les historiens parlent d’un « silence communicatif ». Dans de nombreux domaines (politique et société), y compris dans le domaine médical, les crimes commis sous le national-socialisme restèrent d’abord tabous. La déclaration d’un juriste qui, lors d’une conférence en 1947, demanda que l’on ne parle plus jamais de l’euthanasie en est sans doute l’illustration la plus emblématique. Cette phase prit fin en 1970.

Les progrès rapides de la médecine, notamment dans le domaine des soins intensifs, confrontèrent alors la société allemande à la question de la prolongation de la vie. Les défis auxquels la médecine devait faire face rencontrèrent une société qui, comme dans bien d’autres pays, était de plus en plus marquée par le sceau de l’individualisme et l’importance accordée à la liberté de choix. Les questions relatives à l’euthanasie sont depuis lors discutées avec une intensité variable dans l’espace public, les médias, les milieux académiques ainsi que les cercles médicaux. À cet endroit, il convient de pas sous-estimer le rôle des instances représentatives de la profession médicale. Par ses prises de position éthiques, celles-ci ont exercé une influence déterminante sur les débats de société et, par-là, transformé la pratique médicale. On mentionnera à ce titre le document intitulé « Principes de l’Ordre fédéral des médecins concernant l’accompagnement médical en fin de vie ».
Publié d’abord sous forme de projet, il a donné lieu ensuite à un large débat public et permis à l’opinion de faire valoir ses arguments. De nombreux aspects ont pu être ainsi discutés en profondeur lors de congrès scientifique, dans la presse de qualité, les débats télévisés. Le document a été adopté en 1998, puis consolidé et enfin confirmé en 2011.
Terminologie et éthique médicale
Le texte est marqué par une utilisation claire des termes qui provoquent souvent de la confusion dans les débats nationaux et internationaux. Cela concerne principalement la distinction entre « aide active » et « aide passive à mourir ». L’expression « aide passive à mourir » a toutefois été jugée inapproprié et n’est aujourd’hui plus utilisée. Le corps médical suit ainsi les débats bioéthiques et les recommandations formulées notamment par un groupe de travail de médecins européens spécialisés en soins palliatifs : ce dernier voyait en effet dans l’expression un paradoxe. Car compte tenu des progrès réalisés par la médecine palliative, soignants et médecins ne restent pas passifs, même lorsqu’une prolongation de la vie n’est plus recherchée. Dans le document, on parle donc plus justement de « modification de l’objectif thérapeutique », passant de l’objectif de prolongation de la vie à celui exclusif du soulagement des symptômes chez les patients atteints de maladies avancées et à pronostic défavorable.

Pour ce qui est de la question, âprement débattue dans de nombreux pays, de l’obligation de recourir à une alimentation artificielle en fin de vie, le document adopte une position très claire : l’administration artificielle de liquides et de calories (par sondes ou perfusions) est souvent considérée comme un fardeau par les patients en fin de vie et peut également prolonger le processus de mort. Le dilemme est résolu de manière élégante : il concilie l’intuition profondément ancrée, sur le plan anthropologique, de nourrir et d’hydrater les malades, avec la volonté d’éviter une prolongation pénible de la vie. Cela est rendu possible par une formulation stipulant une obligation de satisfaire les sensations subjectives de faim et de soif. Il n’existe donc pas d’obligation absolue de recourir à une perfusion ou à une alimentation artificielle.
Parallèlement, le document précise que toutes les mesures doivent respecter la volonté des personnes concernées. Dans la loi sur les directives anticipées, le caractère contraignant des dispositions préalablement rédigées par le patient est juridiquement établi. Il s’est avéré par la suite que les limitations thérapeutiques en fin de vie sont devenues une pratique courante. Dans la majorité des établissements médicaux, des comités et conseils d’éthique ont été mis en place dans le but d’intervenir à titre consultatif dans les situations délicates. Ils peuvent être saisis par les patients, les proches ou les membres des équipes soignantes.
Il n’en reste que les débats sur une libéralisation des mesures visant à provoquer la mort ne sont pas terminés. Ils doivent être examinés dans le contexte de la Loi fondamentale.
Suicide et assistance au suicide
En réaction à l’activité de certaines organisations d’aide au suicide, notamment en Suisse, où l’assistance au suicide n’est pas réglementée et constitue une pratique répandue et tolérée, une loi a été adoptée en 2015 interdisant l’assistance au suicide à titre professionnel. L’assistance au suicide dans des cas d’implication existentielle (par des proches, des médecins traitants, etc.) n’était jusqu’à ce moment pas expressément punie. La loi est restée en vigueur pendant cinq ans. Suite aux recours déposés par des organisations d’aide au suicide et des particuliers, la Cour constitutionnelle fédérale l’a déclarée incompatible avec la Loi fondamentale.
Dans le jugement, il est expressément souligné que l’assistance au suicide est licite même lorsque la maladie n’est pas en phase terminale. Il s’agit là d’une différence fondamentale par rapport à la réglementation en vigueur, aux Pays-Bas par exemple, où les médecins doivent attester l’existence d’un état de souffrance insupportable. En se référant au droit à l’autodétermination, le tribunal a ainsi ouvert la voie à une pratique beaucoup plus large. Selon les critiques, ce droit est mis en avant de manière excessive : il est en effet question d’« autodétermination autonome », comme s’il pouvait exister une autodétermination qui ne le serait pas. La situation juridique prévalant en Allemagne est désormais comparable à celle de la Suisse ou du Canada. Sans surprise, le nombre de suicides assistés a nettement augmenté depuis ce jugement.
Débats éthiques et position médicale
Cette évolution confirme les craintes éthiques que les médecins nourrissent depuis longtemps. L’expérience d’autres pays montre en effet que l’offre organisée et commerciale d’assistance au suicide constitue un facteur favorisant le passage à l’acte. Des pratiques qui encouragent le suicide sont contraires à l’éthique médicale. C’est la dimension répétitive et institutionnalisée de ces actes qui conduit le corps médical à rejeter le suicide comme contraire à l’éthique. Dans une prise de position du Congrès des médecins allemands (Deutscher Ärztetag), la Chambre fédérale des médecins (Bundesärztekammer) a affirmé que l’assistance au suicide ne relève pas de la pratique médicale. Ce refus est en conformité avec les positions éthiques de l’Association médicale mondiale.
Il est tentant de voir dans la motivation de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du mois de février 2020 une ouverture vers l’euthanasie active. Cette interprétation reste toutefois controversée parmi les juristes. À la suite de la décision relative à l’assistance au suicide, certains réclament l’abolition de l’interdiction de l’homicide à la demande. En revanche, la haute juridiction a pris soin de ne pas étendre par analogie la dépénalisation à l’homicide sur demande.
Toutes les tentatives de réglementer l’assistance au suicide par d’autres moyens ont échoué. Trois projets de loi n’ont pas obtenu de majorité au Bundestag. Les députés se sont seulement mis d’accord sur l’adoption d’une loi visant à promouvoir et garantir les soins palliatifs.
Une loi spécifique ?
Ces débats doivent être envisagés dans le contexte d’une offre de soins palliatifs globalement bien structurée, notamment en ce qui concerne le financement des équipes spécialisées en soins palliatifs ambulatoires. Parallèlement, le Bundestag a appelé le gouvernement à promouvoir la prévention du suicide.
Les avis divergent quant à la question de savoir si une réglementation spécifique de l’assistance au suicide et de l’euthanasie est nécessaire ou plutôt préjudiciable. Les critiques font valoir qu’en raison de l’établissement nécessaire de critères, toute réglementation tend à normaliser l’acte. Dans l’arrêt ci-dessus mentionné, le tribunal souligne que le suicide ne doit pas devenir la norme.
Compte tenu de l’attention portée par le Bundestag aux grandes crises géopolitiques qui secouent le monde, il est difficile de prévoir si une loi spécifique sera adoptée prochainement en Allemagne.
Ce texte fait écho à l’article de François Blot publié le 3 juin 2025 dans notre revue.
Dans notre série « Les grandes questions de notre temps », des experts français et allemands analysent les grands enjeux de nos sociétés contemporaines.
L’auteur

Stephan Sahm est médecin, spécialiste du traitement des maladies tumorales et praticien en médecine palliative. Il enseigne l’éthique médicale et est professeur à l’Institut d’histoire et d’éthique de la médecine de l’Université de Francfort. Il a participé en tant qu’expert à des auditions du Bundestag, notamment sur la réglementation de l’assistance au suicide. Stephan Sahm est également auteur d’ouvrages et de nombreux articles et contributions consacrés à l’éthique médicale. Il publie par ailleurs dans le supplément culturel ainsi que dans le cahier « Nature et sciences » de la Frankfurter Allgemeine Zeitung.
