Wir schaffen das:
Que reste-t-il du pari d’Angela Merkel en Allemagne de l’Est ?

Wir schaffen das: Que reste-t-il du pari d’Angela Merkel en Allemagne de l’Est ?
  • Publiéoctobre 1, 2025
Réfugiés syriens à la frontière austro-hongroise en direction de l’Allemagne, 6 septembre 2015 (Copyright : Wikimedia Commons)
Réfugiés syriens à la frontière austro-hongroise en direction de l’Allemagne, 6 septembre 2015 (Copyright : Wikimedia Commons)

Dix ans après l’arrivée de milliers de réfugiés, dokdoc a voulu savoir comment l’Allemagne de l’Est avait vécu les évènements. Un éclairage essentiel pour comprendre comment mémoire de la réunification, fractures territoriales et enjeux migratoires s’entremêlent encore aujourd’hui.

 

dokdoc : Monsieur Kollmorgen, il y a dix ans, Angela Merkel prononçait cette phrase, devenue depuis célèbre : « Nous y arriverons ». Quel bilan tirez-vous dix ans plus tard ? L’Allemagne a-t-elle gagné son pari ?

 

Raj Kollmorgen : Cela dépend fortement des critères retenus ainsi que de la position de la personne qui porte ce jugement. D’un côté, on peut effectivement affirmer que le pari a été tenu. L’Allemagne n’a pas connu de crise existentielle majeure et une part considérable des réfugiés arrivés depuis 2015 est désormais intégrée et active sur le marché du travail. De l’autre côté, l’évolution sociopolitique et les résultats électoraux des dix dernières années montrent que les partis opposés à l’« immigration de masse » ont considérablement gagné en importance. Il est évident qu’un phénomène de cette ampleur, d’autant plus concentré sur une période relativement courte, ne peut se dérouler sans problèmes sociaux, tensions et conflits. Le fait est que les flux migratoires de ces dix dernières années ont accentué le sentiment d’aliénation qu’une partie importante de la population éprouve vis-à-vis des institutions démocratiques et de leurs élites.

 

dokdoc : Vous dites que beaucoup de réfugiés ont trouvé un emploi. Comment expliquez-vous alors les tensions dont vous parliez à l’instant ?

 

Kollmorgen: Il y a, d’un côté, ceux qui voient la question de l’immigration de manière positive – c’est surtout le cas des jeunes évoluant dans des contextes urbains et multiculturels. Ils disent que de nombreux problèmes en apparence liés à la question de l’immigration, comme la question des loyers élevés, la pénurie de logements dans les grandes villes ou bien encore la qualité de l’enseignement, existaient déjà auparavant et qu’ils relèvent plutôt d’un échec des politiques publiques. Mais il y a aussi ceux qui se sentent non seulement dépassés par la présence d’étrangers et par le multiculturalisme, mais qui invoquent également des statistiques montrant, pour certains types de délits, une part disproportionnée de jeunes hommes célibataires issus de l’immigration.

 

dokdoc : Et si maintenant nous nous tournons vers l’Allemagne de l’Est, comment les réfugiés ont-ils été répartis à leur arrivée et quelles en ont été les conséquences ?

 

Kollmorgen : La clé de répartition de Königstein a permis de réguler la manière dont les choses se sont déroulées, les critères déterminants étant les recettes fiscales et le nombre d’habitants par Bundesland. Les Länder de l’Est n’ont donc été ni favorisés ni désavantagés. Il n’en reste pas moins que l’Allemagne de l’Est est plus rurale que l’Allemagne de l’Ouest. En dehors de Berlin, il n’existe pas véritablement d’autre zone métropolitaine aussi densément peuplée. Dans les grandes métropoles, les immigrés passent souvent inaperçus et peuvent s’intégrer plus facilement. En revanche, dans les régions rurales, cela est différent. À cela s’ajoute le fait qu’avant 2015, la part des personnes d’origine étrangère y était très faible, de l’ordre de 2 à 3%.

 

dokdoc : Et comment les gens ont-ils perçu ces changements ?

 

Kollmorgen : Pour les populations des régions rurales périphériques, majoritairement plus âgées et largement homogènes, cette vague d’immigration a souvent constitué un choc culturel. Le phénomène a été accentué par la présence de familles plus jeunes, voire d’adolescents. On peut presque parler d’une explosion de la pluralité ethnique, démographique et culturelle. C’est sur ce terrain que des mouvements de protestation ont pu rapidement prospérer.

 

dokdoc : On se souvient de ces images de la gare centrale de Munich montrant l’enthousiasme avec lequel les réfugiés étaient accueillis. On sait aujourd’hui que ce n’était pas le cas partout. Comment les populations de l’Allemagne de l’Est ont-elles réagi ?

 

Kollmorgen : À côté des grandes villes comme Potsdam ou Dresde, de nombreuses autres initiatives émanant de la société civile ont vu le jour dans le reste de l’Allemagne de l’Est, dans les régions plus rurales notamment. Dans ma ville natale, Görlitz, par exemple, des groupes de soutien accueillaient les réfugiés directement à la gare, fournissaient des jouets aux enfants, des couvertures et offraient du thé. L’Est n’a donc en aucun cas été uniquement marqué par une attitude de rejet. Là aussi, il y a eu des marques de solidarité spontanée, comme cela a été le cas dans les villes de l’Ouest, bien que dans une mesure différente. Il n’en reste pas moins qu’à l’époque, de nombreux habitants de l’Est se considéraient déjà comme économiquement faibles et politiquement désavantagés, ce qui suscita finalement un sentiment d’injustice.

 

dokdoc : Y a-t-il des raisons historiques à cela ?

 

Kollmorgen : Oui, cela s’inscrivait dans la continuité de ce que les Allemands de l’Est avaient vécu au moment de la Réunification. Les pertes matérielles, la dévaluation des qualifications professionnelles et le chômage de masse avaient marqué de leur empreinte la vie de nombreux habitants, réduits, tel était du moins leur ressenti, à des « citoyens de seconde classe ». L’arrivée massive de réfugiés a accentué ce sentiment et généré une forme de rejet : « Notre quotidien est une nouvelle fois bouleversé alors que nous ne le voulons pas. Nos ressources nous sont à nouveau retirées, nous sommes expropriés. Des personnes inconnues arrivent à nouveau chez nous, elles perçoivent des revenus sans avoir besoin de travailler. Et en plus, il faudrait que nous soyons solidaires avec elles. Mais qui fait preuve de solidarité envers nous ? » Ces sentiments ont conduit aux manifestations bien connues et aux nouveaux mouvements de protestation comme Pegida. Elles continuent aujourd’hui encore d’alimenter les succès électoraux de l’AfD.

 

Manifestation du mouvement PEGIDA, Dresde, 3 octobre 2016 (Copyright : Wikimedia Commons)
Manifestation du mouvement PEGIDA, Dresde, 3 octobre 2016 (Copyright : Wikimedia Commons)

 

dokdoc : Si maintenant nous faisons le bilan en matière d’intégration, qu’est-ce qui a bien et qu’est-ce qui a moins bien fonctionné ?

 

Kollmorgen : En août dernier, le Mitteldeutscher Rundfunk a mené une vaste enquête auprès de 24.000 Allemands vivant de Thuringe, de Saxe et de Saxe-Anhalt. Deux données sont dans ce contexte particulièrement intéressantes. Premièrement : environ 90% des personnes interrogées déclarent, s’agissant de 2015, que l’Allemagne n’a pas gagné son pari (« wir haben es nicht geschafft »). En Allemagne de l’Ouest, les résultats ne sont pas du tout les mêmes. L’enquête montre également que les Allemands de l’Est appréhendent la question de l’immigration de manière beaucoup plus positive dès lors que les migrants sont parvenus à s’intégrer. La question migratoire demeure toutefois problématique pour nombre d’entre eux. Trois quarts des sondés estiment qu’à l’Est, il n’existe pas de véritable “culture de l’accueil”. Près des deux tiers se disent opposés au regroupement familial des bénéficiaires de la protection subsidiaire. Ces réticences sont en partie nourries par le sentiment très répandu que l’État a perdu le contrôle de la situation.

 

dokdoc : Nous savons que, dans des situations de fortes tensions politiques, l’horizon temporel des décideurs est particulièrement limité. Angela Merkel a-t-elle été victime des événements ?

 

Kollmorgen : Nous avons tous été victimes des évènements. La situation était exceptionnelle : confrontée aux événements de Hongrie et à la détresse humaine, Angela Merkel a décidé d’ouvrir les frontières – guidée par une vision humaniste chrétienne et un sens des responsabilités largement inspiré par notre prospérité. Il est important de le comprendre. Merkel est une scientifique, elle a grandi en RDA, dans une famille protestante et, a évolué après 1989 dans une culture politique majoritairement ouest-allemande, entre CDU, SPD et Verts. Elle n’a donc pas de biographie « typiquement est-allemande ». Cela explique en grande partie pourquoi elle n’a pas évalué la situation de la même manière que la majorité des Allemands de l’Est.

 

Angela Merkel lors de la conférence Supporting Syria organisée à Londres, 4 février 2016 (Copyright : Wikimedia Commons
Angela Merkel lors de la conférence Supporting Syria organisée à Londres, 4 février 2016 (Copyright : Wikimedia Commons

 

dokdoc : Vous dites « elle n’a pas évalué la situation de la même manière ». Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui affirment qu’elle s’est trompée.

 

Kollmorgen : De nombreux responsables politiques partageaient à l’époque la même analyse ou ont pris, en 2015 et dans les années qui ont suivi des décisions qui se sont ensuite révélées problématiques. Les critiques ne visent donc ni Merkel personnellement, ni la décision qu’elle a prise à l’été 2015. On lui reproche surtout d’avoir prolongé l’ouverture des frontières sans que des solutions cohérentes n’aient été élaborées en parallèle au niveau européen ou que des politiques efficaces aient été mises en place aux frontières extérieures ou en matière de répartition des réfugiés. Par ailleurs, dans les domaines des services publics, du logement, du marché du travail et de l’intégration, les mesures pour accueillir et intégrer correctement plus de trois millions de réfugiés ont été trop limitées. Et c’est précisément pour ces raisons que le sujet continue d’alimenter le débat – et qu’il continuera vraisemblablement à le faire dans les prochaines années.

 

Interview : Landry Charrier

 

L’auteur

Raj Kollmorgen (Copyright : HS Zittau/Görlitz)
Raj Kollmorgen (Copyright : HS Zittau/Görlitz)

Raj Kollmorgen est professeur de sociologie et de gestion du changement social à la Hochschule Zittau/Görlitz et directeur de l’Institut pour la transformation, le logement et le développement social de l’espace (TRAWOS) qui y est rattaché. Depuis de nombreuses années, il mène des recherches et publie sur l’Allemagne de l’Est, la réunification allemande ainsi que sur le développement de la démocratie, le populisme politique et le radicalisme. 

 

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