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Quel rôle pour la France et l’Allemagne en Europe ?

Vous avez dit leadership ? Une voix de Grèce

George N. Tzogopoulos

Copyright: Depositphotos

4 juin 2024

Dans l’épisode 9 de notre cycle « Vous avez dit leadership ? », George N. Tzogopoulos rend compte de la perspective grecque. Sa thèse : une étroite coordination entre la France et l’Allemagne reste un paramètre central dans un monde en plein affolement. Une réforme du vote à l’unanimité n’est toutefois pas souhaitable : l’UE continuera à avancer si et seulement si tous les États membres travaillent dans la même direction.

La Grèce a souvent été au centre de l’attention européenne et ce, pour de multiples raisons. La crise des dettes souveraines a eu par exemple un fort impact sur la politique économique européenne. Le risque que le pays quitte la zone euro était alors réel, ce qui au final, n’aurait pas manqué de déclencher un effet domino. Durant cette période particulièrement difficile pour l’économie grecque, l’UE, et plus particulièrement l’Allemagne et la France, ont joué un rôle central. Et même si les différents gouvernements grecs étaient contre les mesures d’austérité qui leur avaient été imposées, ils savaient que les prêts de l’UE et du Fonds monétaire international étaient le seul moyen d’éviter un défaut de paiement. Sans la détermination de la chancelière Angela Merkel et du président Nicolas Sarkozy, la Grèce n’aurait probablement pas pu rester dans la zone euro.

Crise et discipline budgétaire

Du fait de la situation financière du pays, Athènes n’avait pas les moyens d’exercer quelconque influence sur les débats de l’époque et servit de test à la politique d’assainissement imposée par l’UE et le FMI. Contrairement à ce qu’avait souhaité le Premier ministre George Papandreou en 2011, il n’y eut pas de mutualisation de la dette européenne via l’émission d’euro-obligations. Le président François Hollande avait certes signalé qu’il n’y était pas opposé mais Angela Merkel n’avait pas apprécié. Pour cette dernière, le plus important était avant tout la discipline budgétaire. Elle était convaincue que c’était là la seule façon pour l’économie grecque de retrouver son autonomie à moyen et long terme. C’est ce qui explique que les relations germano-grecques ont ensuite été particulièrement tendues. La France, elle, ne remettait pas en question l’importance de la discipline budgétaire ; elle montra toutefois plus d’empathie pour la situation des Grecs. Les relations bilatérales connurent une nette amélioration dans la foulée.

Le défi de l’immigration

Copyright: George N. Tzogopoulos

Les développements en Grèce eurent également un impact sur la politique migratoire de l’UE. Du fait de sa situation géographique, le pays dut supporter un énorme fardeau pendant la crise des réfugiés (2015). En coopération avec Angela Merkel et François Hollande, le Premier ministre Alexis Tsipras mit en place un programme de réinstallation pour les réfugiés arrivés depuis la Turquie afin qu’ils soient répartis dans différents États membres. La France et l’Allemagne avaient deux approches différentes mais il était évident que la Grèce avait un rôle central à jouer si l’on voulait mettre fin à l’immigration illégale. L’accord UE-Turquie du 18 mars 2016, soutenu par Berlin plus que par Paris, fut à ce titre un franc succès.

En matière de politique étrangère, la Grèce s’est toujours efforcée d’influencer la politique européenne dans le sens de ses positions. Les relations avec la Turquie ont été au cœur de ses préoccupations. Du point de vue grec, l’UE doit faire dépendre son partenariat avec la Turquie de la politique que celle-ci pratique en mer Égée et en Méditerranée orientale, ainsi que de sa position sur la question chypriote. À cet endroit, la Grèce compte davantage sur le leadership français qu’allemand. En 2021, Athènes et Paris ont d’ailleurs signé un accord de défense bilatéral visant à assurer la stabilité en Méditerranée orientale. Athènes est du reste convaincue que Berlin privilégie ses intérêts économiques avec Ankara et ce faisant néglige la question sécuritaire.

La règle de l’unanimité doit rester

Dans l’ensemble, on peut dire que la Grèce est favorable à la politique d’approfondissement de l’UE. Pendant la pandémie du COVID, elle a par exemple soutenu la mise en place du plan de relance européen. La Grèce pratiqua une politique similaire après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En mars 2022, le Premier ministre Mitsotakis se dit favorable à ce que l’UE négocie avec des fournisseurs de gaz alternatifs, ce qui revenait au final à la laisser agir de la même manière que durant la pandémie.

Du fait de la situation géopolitique, la Grèce se concentre aujourd’hui avant tout sur les questions de sécurité. En juin 2022, elle a convenu d’un accord d’échange avec l’Allemagne pour la livraison d’armes à l’Ukraine : la Grèce a fourni des chars BMP-1 et a reçu en échange le véhicule blindé de combat d’infanterie Marder. Il n’en reste que la Grèce attend de la France et de l’Allemagne qu’elles jouent un rôle de premier plan dans la protection des intérêts de l’Europe. C’est la seule façon pour Athènes de donner sens au concept d’autonomie stratégique : une coopération franco-allemande harmonieuse est à cet égard indispensable. Athènes ne renoncera jamais à son droit de veto si ses intérêts nationaux (qui vont au-delà de la Turquie et concernent également ses relations avec l’Albanie et la Macédoine du Nord) ne sont pas garantis. De son point de vue, l’UE peut continuer à avancer sans pour autant avoir à modifier la règle de l’unanimité.

Enfin, la Grèce attend la France et de l’Allemagne qu’elles travaillent à empêcher la désindustrialisation de l’Europe. Les efforts qu’elle entreprend pour sauver son industrie sont au cœur des discussions européennes sur la future législation énergétique. Sans synergie franco-allemande, l’UE aura toutes les difficultés – Athènes en est convaincue – à protéger ses industries, à répondre au défi du changement climatique ainsi qu’aux dangers d’un monde en plein affolement.

L’auteur

George N. Tzogopoulos est chercheur à l’Institut européen de Nice (Cife) et à l’Université Démocrite de Thrace. Il coopère également avec le Centre d’études stratégiques Begin Sadat (BESA) ainsi qu’avec la Fondation hellénique pour la politique européenne et étrangère (ELIAMEP).

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