« Monsieur Geisel, que pense le BSW des relations franco-allemandes ? « 

« Monsieur Geisel, que pense le BSW des relations franco-allemandes ? « 
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  • Publiéoctobre 14, 2024

Maire de Düsseldorf de 2014 à 2020, Thomas Geisel a longtemps été membre du SPD. Il fait aujourd’hui partie de l’Alliance Sahra Wagenknecht. Nous avons discuté avec lui des relations franco-allemandes et de la guerre contre l’Ukraine.

dokdoc : Monsieur Geisel, le 5 juillet 2019, l’ambassadrice de France en Allemagne vous a remis les insignes de chevalier dans l’ordre national du Mérite. Dans son discours, l’ambassadrice a souligné votre engagement en faveur de l’amitié franco-allemande et a déclaré :  » en tant que maire, vous avez résolument contribué à rapprocher votre ville, vos citoyens de la France  » (NDLR : Toulouse, ville avec laquelle Düsseldorf est jumelée depuis 2003). Que signifiait cette distinction pour vous à l’époque ? Et aujourd’hui ?

Geisel : cette distinction a été quelque chose de très important pour moi. J’ai été décoré en ma qualité de maire de Düsseldorf. Historiquement, la ville a toujours entretenu des relations particulières avec la France. Je rappelle que c’est à Düsseldorf que Napoléon a été accueilli avec enthousiasme. Düsseldorf est fière d’être appelée le Petit Paris. C’est aussi ce qui nous lie à la France et c’est précisément pour cette raison que j’ai fait venir le Tour de France en 2017. Le Tour, ça n’a pas seulement été un événement sportif qui a permis à la capitale du Land de briller. Ça a été aussi un événement qui nous a permis de célébrer l’amitié franco-allemande et en particulier l’amitié entre Düsseldorf et la France.

dokdoc : et qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Le grand départ à Düsseldorf, 29.06.2024 (Copyright : Wikimedia)

Geisel : Le Grand Départ a montré que Düsseldorf avait les moyens d’organiser des événements de ce calibre, avec professionnalisme, enthousiasme et une forte participation de la société. Et cela a également permis à Düsseldorf de consolider son image de métropole du sport mais aussi de métropole culturelle. Je me permets de rappeler que le soir du contre-la-montre individuel, le groupe Kraftwerk a joué son album  » Tour de France  » dans le Hofgarten. Je suis certain que sans le succès du Grand Départ, nous n’aurions pas été retenus pour accueillir l’Euro en 2024. Dans la foulée, nous avons fait venir les Invictus Games (2023), les grands jeux des mutilés de guerre.

dokdoc : vous avez été maire pendant six ans. Aujourd’hui, vous siégez au Parlement européen. Quels sont vos objectifs, les vôtres et ceux de votre parti ?

Geisel : dans son manifeste, notre parti s’est engagé à militer en faveur de quatre grands principes : la justice sociale, le principe de rationalité économique, la liberté et la paix. Actuellement, la paix est le thème qui rencontre le plus large écho. Concrètement, cela signifie : nous avons toujours condamné sans équivoque la guerre d’agression contre l’Ukraine. Elle est contraire au droit international et rien ne la justifie. Mais nous sommes d’avis qu’il est nécessaire de réfléchir à la façon dont elle pourrait se terminer. Continuer à fournir des armes ne fera qu’aggraver la situation. Plutôt que de faire de la Russie l’ennemi principal de l’Europe, nous devrions renouer avec les idées et visions qui ont permis la réunification de l’Allemagne et la chute du Rideau de fer, à savoir l’idée d’une  » grande maison européenne  » telle que voulue en son temps par Michael Gorbatchev, ou d’un système de sécurité collective impliquant la Russie. Maintenant, on voit bien que la guerre déclenchée par Poutine va encore durer. Mais je dis aussi : un jour, Poutine appartiendra au passé ; la Russie restera notre voisin et reviendra peut-être notre partenaire, du moins je l’espère : nos liens historiques, culturels et économiques l’imposent. C’est pourquoi nous devons tout faire pour que la diplomatie reprenne le dessus. La France et l’Allemagne ont un rôle clé à jouer : l’histoire montre qu’à chaque fois que les deux pays ont été unis, la paix et la détente en Europe et dans le monde y ont gagné.

dokdoc : en matière de politique européenne, le BSW et le Rassemblement National partagent de nombreuses convictions, du moins à première vue. Les deux partis ont par exemple adopté le principe du  » moins faire, pour mieux faire  » et plaident en faveur d’une Europe des États souverains reposant sur une coopération équilibrée plutôt que sur  » centralisation  » supranationale. Pourquoi avez-vous, votre collègue Fabio de Masi et vous-même, exclu dès le départ de former un groupe parlementaire avec Marine Le Pen et Jordan Bardella ?

Geisel : Nous sommes effectivement en faveur d’une Europe des États souverains, mais nous ne sommes pas nationalistes. Le nationalisme est l’un des plus grands fléaux de notre époque. Nous n’invoquons pas la nation, et c’est ce qui nous différencie du Rassemblement national et, plus encore, de l’AfD. L’AfD est un parti dont l’idéologie est très clairement völkisch-nationaliste. C’est la raison pour laquelle on peut dire que nous nous situons à des années-lumière de ce parti. Il est tout à fait correct d’affirmer que les États ont des intérêts nationaux et qu’il est légitime de chercher à les faire valoir et, dans le cas d’un conflit, de travailler à un compromis. Mais dès lors que ces questions prennent une tournure nationaliste ou qu’elles sont  » absolutisées « , alors, pour nous, c’est fini.

Thomas Geisel, 18.09.2024 (Copyright : European Union 2024 – Source EP)

dokdoc : Dans un article publié sur votre blog le 31 janvier dernier, vous avez écrit la chose suivante :  » Il serait à ce titre raisonnable, d’un point de vue allemand et européen, de faire dépendre toutes les aides à l’Ukraine, y compris les éventuelles livraisons d’armes, d’une condition : à savoir que l’Ukraine accepte une proposition de paix présentée par l’Europe – de préférence (…) l’Allemagne, la France, l’Italie et la Pologne – et qui soit suffisamment acceptable pour la Russie, pour avoir des chances d’aboutir « . A quoi pensez-vous très concrètement ?

Geisel : Mon point de vue est le suivant : nous devrions subordonner les livraisons d’armes à l’Ukraine à la condition que la Russie ne soit pas prête à s’engager dans des négociations. Une solution acceptable par des deux parties devra être conforme au droit international et s’engager sur les points suivants : l’annexion de la Crimée, qui est contraire au droit international, pourrait être résolue dans le cadre d’un référendum sous contrôle international. Ses habitants devraient décider eux-mêmes à quel pays ils veulent appartenir. S’agissant du Donbass, il faudrait viser une  » solution Tyrol du Sud  » : la plupart des habitants du Donbass sont Russes. Ils devraient faire partie de l’Ukraine mais bénéficier d’une large autonomie culturelle et politique au sein d’une fédération. L’Ukraine est un État multiethnique de  » facture classique « . Au lieu de vouloir  » ukrainiser  » l’ensemble du territoire national, il conviendrait de respecter la diversité linguistique et culturelle de ce pays dans le cadre d’une autonomie fédérale partielle. Cette structure devrait être garantie par la communauté internationale. Son maintien adjoint à une garantie constitutionnelle devrait être par exemple une condition préalable à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE.

dokdoc : Pensez-vous que l’Ukraine accepterait pareil scénario ?

Geisel : on entend souvent dire que la Russie ne veut de toute façon pas négocier. J’ai mené de nombreuses négociations au cours de ma vie et j’ai pu constater une chose : vous ne savez si l’autre partie est prête à négocier qu’à partir du moment où vous lui avez fait une offre acceptable. C’est la raison pour laquelle nous devrions exiger un cessez-le-feu immédiat et proposer des négociations de paix sans conditions préalables. Et si maintenant on considère la situation des deux parties, il y a de fortes chances que la Russie accepte d’ouvrir des négociations, pour une raison : cette guerre est pour elle un véritable fiasco. D’une part, parce qu’elle n’est pas parvenue à conquérir l’Ukraine comme elle l’espérait initialement, d’autre part, parce qu’elle s’accroche à cette perspective depuis deux ans et demi maintenant. Pire encore : la Finlande et la Suède sont désormais membres de l’OTAN, ce qui resserre encore un peu plus  » l’étau  » autour du pays. Je pense que pour toutes ces raisons il est très probable que la Russie accepte une offre de négociation sérieuse et lui permette de sauver la face.

dokdoc : au cours des derniers mois, Sahra Wagenknecht a vivement critiqué le chancelier pour sa politique à l’égard de la Russie. Il est pourtant à bien des égards beaucoup plus réservé qu’Emmanuel Macron, favorable à une logique dite du  » whatever it takes « . La politique du Président est-elle irresponsable ?

Geisel : Macron semble en effet vouloir donner l’impression que la France est le pays qui apporte le soutien le plus important à l’Ukraine. Mais si on y regarde d’un peu plus près, on se rend compte que ce n’est pas vrai. S’agissant des armes, la France ne fournit même pas un dixième de l’aide que l’Allemagne apporte à l’Ukraine. Mais la tâche de la France et de l’Allemagne ne peut pas être se surpasser mutuellement en matière d’aide militaire. Au contraire, il est dans leur intérêt, et dans l’intérêt de l’Europe, mettre un terme à cette guerre par la voie diplomatique.

dokdoc : que le BSW des relations franco-allemandes ? Le parti a-t-il un programme, un agenda franco-allemand ? Après tout, derrière la fondatrice du parti, Sahra Wagenknecht, il y a son mari, Oskar Lafontaine. En tant que Sarrois, ce dernier a toujours accordé une importance particulière aux relations franco-allemandes, pour des raisons historiques, mais aussi sur le plan personnel et politique.

Oskar Lafontaine à Eisenach, 19.08.2024 (Copyright : Wikimedia)

Geisel : le parti n’a pas encore d’agenda franco-allemand. Mais j’ai clairement indiqué, et le BSW sera certainement sur la même ligne, que nous sommes convaincus qu’une relation de confiance forte entre la France et l’Allemagne est l’épine dorsale de l’Europe. Sahra Wagenknecht vit en Sarre et passe beaucoup de temps de l’autre côté de la frontière. Pour elle, le lien avec le voisin n’est pas seulement politique et rationnel, il est aussi émotionnel.

dokdoc : vous êtes un passionné de marathon. La prochaine édition du Marathon de Paris aura lieu le 13 avril. Y participez-vous ?

Geisel : j’ai déjà couru à Paris en 2012 et, si je me souviens bien, je suis passé sous la barre des 3h30, l’un de mes meilleurs temps sur marathon. Le fait d’avoir couru le Marathon de Paris m’a d’ailleurs beaucoup aidé à faire venir le Grand Départ à Düsseldorf. Car ASO organise non pas seulement le Tour de France mais aussi le Marathon de Paris. Mais pour revenir à votre question : je vais probablement courir à Tokyo l’année prochaine. C’est le dernier des grands marathons qui manque encore à ma liste. Et après, je pense que ce sera fini. J’ai plus de 60 ans ; un semi-marathon est suffisamment long.

dokdoc : Monsieur Geisel, je vous remercie pour cette interview.

Notre invité

Thomas Geisel, 18.09.2024 (Copyright European Union 2024 – Source EP)

Thomas Geisel est né en 1963 à Ellwangen. Après avoir obtenu un Master of Arts in Government à l’université de Georgetown, il a passé son premier examen d’État en droit à Fribourg (1990). Il est ensuite retourné aux États-Unis pour passer un master en administration publique à la Harvard Kennedy School. Deux ans plus tard, il a obtenu son deuxième examen d’État en droit à la Cour d’appel de Berlin. En 1990, il a été conseiller du groupe parlementaire du SPD à la Chambre du peuple de la RDA, puis conseiller personnel du directeur fédéral du SPD. De 1994 à 1998, il a été chef de département pour la restructuration des sites chimiques d’Allemagne centrale au sein de la BvS, l’organisation qui a succédé à la Treuhand. Il a ensuite travaillé comme directeur des achats chez Ruhrgas AG et E.ON. De 2014 à 2020, il a été maire de Düsseldorf. Depuis juillet 2024, il est membre du Parlement européen pour l' » Alliance Sahra Wagenknecht – Raison et Justice « .

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