Relations transatlantiques :
Une boussole franco-allemande pour l’Europe

Relations transatlantiques : Une boussole franco-allemande pour l’Europe
  • Publiéfévrier 20, 2025
Donald Trump à Mar-a-Lago, 18 février 2025
Donald Trump à Mar-a-Lago, 18 février 2025 (Copyright: Wikimedia Commons)

Le retour au pouvoir de Donald Trump suscite interrogations et inquiétudes : pour les « amis » des États-Unis, le 47ème Président sera un partenaire difficile mais ses principes « transactionnels » pourraient permettre des solutions de compromis.

 

Signé en 2019, le traité d’Aix-la-Chapelle devrait servir de « vadémécum » à l’Allemagne et à la France pour élaborer un cadre de dialogue entre l’Union européenne et les États-Unis. Certes, les deux pays connaissent d’importantes difficultés intérieures. Ils restent toutefois les seuls capables de proposer aux autres États membres une vision crédible de la « souveraineté européenne ». En dépit d’intérêts parfois différents, Berlin et Paris doivent renforcer leur partenariat afin d’éviter toute division des 27 dans leurs relations avec Washington et sur la scène internationale. La capacité franco-allemande à trouver des compromis est un atout pour atténuer les tensions entre capitales européennes. Cet effort pourrait également servir de levier à Bruxelles et dans d’autres centres de décision internationaux (ONU, OMC, FMI, AIEA, etc.).

 

Quo vadis Europa ?

Le premier chapitre du traité d’Aix-la-Chapelle est dédié à la concertation franco-allemande sur les « affaires européennes ». Aux termes de l’article 1, les signataires « agissent en faveur d’une politique étrangère et de sécurité commune efficace et forte, et renforcent et approfondissent l’Union économique et monétaire ». Un peu bancale, la conjonction des deux thèmes illustre l’articulation entre les problèmes internationaux et les sujets « domestiques ». Ainsi, la réponse de l’UE à la pandémie du COVID-19, tant dans le domaine sanitaire (achat de fournitures médicales) que pour le financement des mesures de soutien à l’économie, a bénéficié de cette volonté franco-allemande : le compromis trouvé s’est révélé déterminant même si l’UE ne sait pas encore comment rembourser la dette de 750 milliards d’euros contractée au titre du programme NextGeneration EU.

Pour l’avenir, deux questions paraissent prioritaires :

  • Les relations commerciales entre l’UE et le reste du monde, qui relèvent de la compétence de la Commission, risquent d’attiser les rivalités entre les États membres, à l’exemple de l’accord UE-MERCOSUR. Au-delà des enjeux de compétitivité et d’accès aux marchés, la relation entre l’Amérique latine et l’Europe requiert un engagement mutuel en faveur de la préservation d’un patrimoine séculaire, qu’il soit linguistique, culturel ou juridique.
  • Rédigé après une large consultation citoyenne, le rapport « Naviguer en haute mer – réformer et élargir l’UE pour le XXIe siècle» (automne 2023), n’a pas enrichi la campagne électorale pour le renouvellement du Parlement européen (juin 2024) ; de même, les travaux du Groupe d’expert franco-allemand sur la cohésion de l’UE (février 2024) n’ont rencontré qu’un faible écho. Aujourd’hui, la Commission européenne n’est pas encore pleinement opérationnelle, alors que la population reste frustrée par l’opacité du système à Bruxelles et sceptique sur la question de l’élargissement.

Ces deux enjeux reflètent les divergences entre États membres : certains privilégient l’économie et le commerce, d’autres réclament davantage d’intégration et de solidarité. Dans ce contexte, les rencontres au « sommet » ne suffisent pas pour faire infuser l’esprit d’Aix-la-Chapelle à tous les échelons des deux pays. De plus, leurs dirigeants sont influencés par des facteurs extérieurs, sans parler de leur psychologie individuelle. À ceci s’ajoute une certaine indifférence des médias et de l’opinion, prompts à s’alarmer des « remous » entre la Spree et la Seine, alors que les faiblesses institutionnelles de la coopération bilatérale trouvent leur source dans une asymétrie jalousement protégée.

 

Guerre et paix

Au cours des cinq dernières années, de nombreuses crises en Europe et dans son environnement immédiat ont mis à l’épreuve la sécurité du continent. Après la « Première Guerre d’Ukraine » (2014), l’intensité du conflit a été décuplée en février 2022 par l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie : après une phase d’hésitations, la France et l’Allemagne sont parvenues à une position commune. Derrière les déclarations solennelles, les experts ont néanmoins relevé des préoccupations nationales « concurrentes » (approvisionnement en énergie, statut nucléaire, etc.). Face à Moscou, l’attitude est restée ferme et le soutien à Kiev s’est progressivement intensifié, franchissant l’une après l’autre les « lignes rouges » énoncées quelques mois plus tôt (livraison d’armes, voire cantonnement de troupes sur le territoire des États voisins). Au bilan, l’efficacité des sanctions contre la Russie demeure néanmoins très insuffisante : de « papier », l’accord franco-allemand peine à se doter de mâchoire « d’acier » !

Le « caractère indissociable » de la sécurité stratégique des deux pays est inscrit dans le traité de 2019 (art. 4), qui définit de nombreuses pistes pour leur rapprochement en matière de défense. Là encore, les résultats sont mitigés :

  • En 2022, le projet anti-missiles European Sky Shield, basé sur des technologies israélienne et américaine, a suscité un vif agacement côté français et donné le sentiment d’un « découplage » franco-allemand ; le lancement du programme European Long Range Strike Approach (ELSA) amorce un « rabibochage » attendu, y compris par les industriels du secteur aérospatial.
  • En 2021 déjà, l’annonce par le chancelier Scholz de l’achat d’appareils du type F35 avait semé le trouble quant à la viabilité du système de combat aérien du futur (SCAF) ; au contraire, le char Main Ground Combat System bénéficie de perspectives plus favorables, les deux parties ayant su dépasser leurs défiances « historiques ».

 

Maquette du SCAF, Le Bourget, 2019
Maquette du SCAF, Le Bourget, 2019 (Copyright: Wikimedia Commons)

 

Les accords de minimis facilitent dorénavant les exportations vers des pays tiers car ils rendent inutile les procédures de consultation et d’autorisation croisées ; cette marque de confiance est favorable au renforcement des collaborations industrielles et technologiques dans un secteur où la compétition demeure très vive (constructions navales). Cet arrangement ne fait pas oublier l’échec de la Communauté Européenne de Défense (CED) en 1954, dont les causes sont toujours valides : incluant le Royaume-Uni, seul un « pilier européen » autonome dans l’OTAN pourra lever l’ambiguïté qui caractérise (encore) les politiques nationales de défense.

 

Sextant et palan

Avec le « changement d’ère » (Zeitenwende) proclamé par Olaf Scholz, la stabilité européenne devra prendre en compte le « réveil » de l’Allemagne, indépendamment du résultat des élections du 23 février. Dans son discours prononcé devant le Körber Stiftung (Berlin, 23 janvier), le candidat de la CDU/CSU Friedrich Merz a formulé son ambition de faire du pays « une puissance moyenne de premier plan ». Attendue, crainte ou espérée, la (r)évolution qui se profile à l’horizon diplomatique pourrait offrir des opportunités pour « repenser » la finalité et les moyens de la coopération de défense et de sécurité franco-allemande.

 

Friedrich Merz à Kiev, 9 décembre 2024
Friedrich Merz à Kiev, 9 décembre 2024 (Copyright: Wikimedia Commons)

 

Tout est affaire de symbole ! Deux structures bilatérales méritent une attention particulière :

  • La Brigade Franco-Allemande, dont le déploiement est envisagé en Lituanie, devrait être renforcée de manière « volontariste », avec l’attribution des crédits nécessaires pour financer ses opérations extérieures. Par ailleurs, l’établissement de règles unifiées de commandement et d’engagement au combat est essentiel pour garantir son potentiel militaire ; avec le Corps d’armée germano-néerlandais, la BFA pourrait garantir le respect d’un éventuel armistice en Ukraine, notamment dans l’hypothèse d’une présence sur la ligne de cessez-le-feu (solution qui aurait l’avantage de réduire la « visibilité » de la Bundeswehr, puisque celle-ci serait incluse dans des troupes « binationales » où les composantes néerlandaises et françaises apparaitraient « en première ligne »).
  • Dans le même temps, l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) pourrait être chargée de rédiger un « Livre kaki » sur les principes et les instruments de la coopération franco-allemande pour la sécurité européenne et internationale. Un tel rapport servirait de base aux grandes orientations budgétaires de la décennie, avec la constitution possible d’un Fonds d’armement intégré (sans attendre une décision similaire de l’UE). Même sans pouvoir formel, l’APFA – avec sa légitimité démocratique – aurait une influence déterminante sur les ministères concernés.

À tous les niveaux, la « revitalisation » des enceintes franco-allemandes est essentielle. Cet enjeu s’impose d’autant plus que l’OTAN est fragilisée par l’engagement des États-Unis dans l’espace Indopacifique. Le dess(e)in d’une « architecture » européenne de paix, même lointain est un « impératif catégorique » ! L’après-Poutine ne fera pas disparaître la Russie : comment prévoir et imaginer une période de transition pour rétablir la confiance avec ses voisins – et bâtir un régime libéral sur les ruines du système néo-soviétique actuel ?

 

Calumet de la paix

Malgré les provocations de Donald Trump, l’UE et les États-Unis devraient éviter toute surenchère verbale pour ne pas alimenter les dérives électoralistes des deux côtés de l’Atlantique. La relance du Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) est peut-être un « mirage » mais les consultations euro-atlantiques futures devraient impliquer ad initio le Congrès et le Parlement européen.

 

Manifestations contre le TIPP devant le Parlament européen à Strasbourg, 2017
Manifestations contre le TIPP devant le Parlament européen à Strasbourg, 2017 (Copyright: Alamy)

 

En 2026, le 85ème anniversaire de l’entrée en guerre des États-Unis serait un momentum pour conclure un accord de partenariat entre l’Amérique et l’Europe. La « boussole » (plutôt que le terme « moteur ») franco-allemande pourrait permettre d’en préciser les orientations, du moins pour la partie européenne :

  • Lato sensu, les questions économiques sont au cœur des relations euro-américaines ; elles englobent des aspects commerciaux (tarifs douaniers), règlementaires (normes sanitaires, sociales et environnementales), technologiques (numérique), fiscaux (imposition des entreprises) et monétaires (fluctuation €uro/Dollar). Si la concurrence est favorable aux consommateurs, elle requiert un format stable et respectueux des valeurs propres de chaque parti.
  • Les enjeux stratégiques composent l’autre pilier d’un tel accord. Ils intègrent les dimensions géopolitique (Global South), militaire (armement, bases), démographique (migration), culturel (pluralisme), démocratique (droits de l’Homme) ; dirigé par le vice-président américain (JD Vance) et le président du Conseil européen (António Costa), un dialogue permanent et structuré sur les crises internationales devrait être institué. Dans ce cadre, les organes spécialisés feraient rapport aux autorités compétentes des pouvoirs exécutif et législatif (Commissions de contrôle des Services de renseignement, Conseils de Sécurité nationales, etc.).

Deux thèmes majeurs pourraient figurer dans cet agenda :

  • Le Groenland (où la population Inuit et le Danemark ont besoin d’un soutien franco-allemand). L’indépendance de l’île la protégerait d’une annexion américaine, en s’inscrivant dans le cadre juridique d’un « État associé » (cf. Porto Rico) à l’UE (la protection des routes maritimes de l’Arctique étant vitale pour l’Europe, le Canada et les États-Unis).
  • La Bande de Gaza (où un transfert forcé des habitants, à l’exemple des Indiens sur la rive Ouest du Mississippi par le Indian Removal Act de 1830 ne serait pas acceptable). Après plus de 500 jours de conflit, les travaux de reconstruction imposeront un déplacement (temporaire) des habitants, à l’intérieur du territoire ou à proximité (Sinaï).

Le sort du Groenland et de Gaza pourrait devenir un indicateur clé pour mesurer la qualité du partenariat euro-américain, dont la composante franco-allemande sera un tirefort indispensable face aux risques centrifuges.

 

Un aggiornamento euro-atlantique

La solidité de la relation franco-allemande est cruciale pour maintenir l’unité de l’UE alors que celle-ci est confrontée aux velléités expansionnistes de la Chine et à la tentation d’un « isolationnisme impérial » agitée par Donald Trump :

  • « Premier ami » des États-Unis (depuis la Guerre d’Indépendance), la France a des arguments historiques à faire valoir à Washington ; de son côté, l’Allemagne jouit d’une image (encore) solide comme « puissance centrale » en Europe.
  • De plus, les deux États entretiennent des liens étroits avec le Royaume-Uni et le Canada, qui ne peuvent être exclus de telles discussions.

Combinés, ces atouts représentent une base robuste pour définir les paramètres d’un aggiornamento euro-atlantique. Sceptique (pour ne pas dire hostile) au sujet de l’OTAN, le président Trump n’a pas de vraie « politique européenne ». Pour contrer la tentation des États-Unis d’un « Yalta 2.0 » avec la Russie et la Chine, l’influence de Berlin et Paris sera déterminante pour « aider » Washington (Maison Blanche, Département d’État, Congrès) à construire une nouvelle « doctrine pro-atlantique ».

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