« Macron et Merz vont essayer de créer une relation de confiance à l’image de celle entre de Gaulle et Adenauer »

« Macron et Merz vont essayer de créer une relation de confiance à l’image de celle entre de Gaulle et Adenauer »
  • Publiémars 5, 2025
Copyright: Alamy & Depositphotos
Copyright: Alamy & Depositphotos

Après les élections du 23 février, Friedrich Merz a annoncé vouloir rendre l’Europe progressivement indépendante des États-Unis. L’annonce a été suivie avec attention à Paris. Le point de départ d’une nouvelle dynamique franco-allemande ?

 

Andreas Noll : Les Français se sont-ils intéressés aux élections du 23 février ?

 

Joseph de Weck : Les Français portent généralement un intérêt limité aux questions européennes. Cela tient en partie au fait que les journaux télévisés sont souvent centrés sur la France. L’élection de Donald Trump a néanmoins suscité beaucoup d’inquiétudes ce qui, par ricochet, a généré un certain intérêt pour ce qui se passait en Allemagne.

 

Noll : Il est à peu près acquis que Friedrich Merz sera élu chancelier. Son gouvernement pourrait être en place après Pâques. La classe politique parisienne connait-elle le personnage ?

 

De Weck : Pas vraiment. En France, on connaît Angela Merkel notamment parce qu’elle a été longtemps en poste et qu’elle a accompagné plusieurs présidents français sur la scène européenne. Et voilà qu’arrive Friedrich Merz, très français dans sa façon de penser, on pourrait presque dire : très gaulliste. Ce sont surtout ses déclarations dans la foulée des élections qui ont fait parler de lui. Merz a déclaré que sa priorité absolue serait de rendre l’Europe progressivement indépendante des États-Unis en matière de défense. À cela, il a ajouté qu’il pourrait être également nécessaire de faire en sorte que l’Europe soit en mesure de se défendre en dehors du cadre de l’OTAN. Des déclarations de ce type sont généralement l’apanage du président de la République, pas d’un chancelier allemand.

 

Noll : Emmanuel Macron et Friedrich Merz se sont déjà rencontrés à plusieurs reprises à Paris. Les journalistes ont-ils déjà une idée plus précise de la qualité de la relation entre les deux hommes ?

 

De Weck : Macron et Merz sont tous deux convaincus que la politique est une affaire de grandes décisions. Tous deux ont également un certain penchant narcissique et souhaitent entrer dans les livres d’histoire. Merz s’inscrit – et il le répète à l’envi – dans la tradition de Konrad Adenauer et d’Helmut Kohl. Emmanuel Macron a une façon de penser qui s’en rapproche. Pour toutes ces raisons, je pense qu’ils vont chercher à lancer de grandes initiatives, avec la Pologne notamment.

 

Noll : Merz, du moins à ce que l’on en a vu jusqu’à présent, semble très différent de ses prédécesseurs. Cela devrait plaire au président…

 

De Weck : Un journaliste a demandé un jour à Merz comment il se qualifierait. Merz lui a répondu : courageux, ce qui est plutôt inhabituel pour un homme politique allemand. En Allemagne, les élections se gagnent généralement sur la base de slogans tels que « Vous me connaissez », « Pas de risques ». Merz a 69 ans. C’est un homme d’action qui a attendu longtemps, presque toute sa vie, avant d’accéder aux responsabilités. Il cherchera donc à agir rapidement.

 

Noll : Dans un article pour Le Grand Continent, vous avez expliqué que Friedrich Merz et Wolfgang Schäuble étaient très proches l’un de l’autre, notamment en matière de politique étrangère et européenne. Quelle image Merz a-t-il de l’Europe et comment va-t-il chercher à agir ?

 

De Weck : Je vois deux grands défis. Le premier est de rendre l’Europe plus compétitive. C’est là que l’expérience de Merz en tant que député européen (ndlr : au début des années 90) prend toute son importance. Merz a siégé à la commission du marché intérieur et a été notamment en charge de la mise en œuvre du marché intérieur. Il s’agissait alors de donner une nouvelle impulsion à l’Europe, en matière de croissance et de productivité. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des défis similaires. Nous disposons de deux rapports, l’un de Mario Draghi, l’autre d’Enrico Letta, et tous deux recommandent d’approfondir l’intégration économique.

L’autre question est celle de la défense européenne. Et là, les choses sont claires. Pour que cela fonctionne, il faut d’abord créer de la confiance grâce, notamment, à de nouvelles institutions. Merz l’a souvent réclamé, comme Schäuble du reste. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, dans l’une de ses dernières interviews, Schäuble a insisté pour que soient menées des discussions sur la manière dont la dissuasion nucléaire française pourrait être européanisée, tout en soulignant que l’Allemagne devrait y apporter une contribution financière.

 

Friedrich Merz au congrès de la CDU, Berlin, 6 mai 2024 (Copyright: Imago)
Friedrich Merz au congrès de la CDU, Berlin, 6 mai 2024 (Copyright: Imago)

 

Noll : Il y a quelques jours, Emmanuel Macron a d’ailleurs réitéré l’offre qu’il avait déjà faite en 2020 lors de son discours à l’École de guerre…

 

De Weck : Et Merz va certainement vouloir ouvrir la discussion.

 

Noll : Pensez-vous que Macron et Merz vont parvenir à insuffler une nouvelle dynamique à la coopération bilatérale ?

 

De Weck : Merz n’a de cesse de répéter que la France tient une place particulière dans son cœur. C’est aussi pour lui une affaire d’émotions ; je pense qu’il a raison de le dire. Il parle aussi beaucoup de la Pologne, et c’est là une des grandes différences avec Merkel et Scholz. Tous deux ont systématiquement ignoré Varsovie durant leur mandat.

 

Noll : Friedrich Merz est un atlantiste pur et dur. Nous sommes toutefois maintenant dans une autre situation. Pourriez-vous imaginer que ce soit au final Donald Trump qui donne un nouvel élan à la coopération franco-allemande ?

 

De Weck : Je le pense, effectivement. Merz a compris qu’il ne s’agit pas de donner seulement un peu plus d’argent aux Américains.

 

Noll : Lors de la conférence de presse du 24 février dernier, Friedrich Merz a évoqué la conversation téléphonique qu’il avait eue avec Emmanuel Macron juste avant que celui-ci ne se rende à Washington : « Nous avons parlé des sujets qu’il souhaitait aborder avec le président américain et j’ai constaté une parfaite concordance de vues entre ce qu’il voulait dire au président Trump et ce que je pense sur le fond », a souligné Merz. Qui de Macron ou Merz jouera le premier rôle au cours des prochains mois ?

 

Plaque en mémoire du Traité de l'Élysée, Berlin, Tiergartenstraße
Plaque en mémoire du Traité de l’Élysée, Berlin, Tiergartenstraße (Copyright: Wikimedia Commons)

 

De Weck : L’un ne peut pas y arriver sans l’autre. Je pense que Macron et Merz vont essayer de créer une relation de confiance à l’image de celle entre de Gaulle et Adenauer. Et je peux tout à fait imaginer que ça marche. Macron n’a plus à faire ses preuves. Il a aussi appris à prendre du recul, à faire le dos rond lorsque cela est nécessaire.

 

Noll : Le Rassemblement national et La France insoumise sont connus pour leurs critiques de la relation bilatérale. Dans quelle mesure cela influence-t-il la politique d’Emmanuel Macron ? Ces critiques restreignent-elles sa marge de manœuvre ?

 

De Weck : Cette germanophobie existe, mais elle était beaucoup plus prononcée il y a dix ans. Aujourd’hui, elle est plutôt latente ; on la retrouve du reste parfois même dans les partis centristes. On aurait néanmoins tort de sous-estimer ce phénomène dans la perspective des élections présidentielles de 2027. Une raison supplémentaire d’agir, sans plus attendre.

 

Noll : Joseph de Weck, je vous remercie pour cet entretien.

 

Cet entretien est une version abrégée de l’épisode 75 du podcast Franko-viel : « #75 – Friedrich « Charles“ Merz – Bekommt Paris einen « Gaullisten » ins Kanzleramt? – Franko-viel – Der Frankreich-Podcast » du 26 février 2025.

 

L’auteur

Joseph de Weck (Copyright: privé)
Joseph de Weck (Copyright: privé)

Joseph de Weck est politologue et historien. Il est directeur Europe de Greenmantle, un cabinet de conseil en risques macroéconomiques et géopolitiques. Chroniqueur pour Internationale Politik Quarterly, le média du Conseil allemand pour les relations internationales (DGAP), il contribue régulièrement à des publications telles que Der Spiegel et The Atlantic. En 2021, il a publié Emmanuel Macron : Der revolutionäre Präsident, une analyse du quinquennat d’Emmanuel Macron et un portrait de la société française. Joseph est également fellow du Foreign Policy Research Institute, basé à Philadelphie. Il est titulaire d’un Bachelor de la London School of Economics et d’un Master de Sciences Po Paris et de l’Université de Saint-Gall.

 

This site is registered on wpml.org as a development site. Switch to a production site key to remove this banner.