Traité de Nancy :
Une occasion ratée ?

Traité de Nancy : Une occasion ratée ?
  • Publiéjuin 24, 2025
Donald Tusk et Emmanuel Macron lors de la signature du Traité de Nancy, 9 mai 2025 (Copyright: Wikimedia commons)
Donald Tusk et Emmanuel Macron lors de la signature du Traité de Nancy, 9 mai 2025 (Copyright: Wikimedia commons)

Le traité d’amitié franco-polonais signé à Nancy le 9 mai dernier marque une nouvelle étape dans l’histoire des relations entre les deux pays. À mi-chemin entre héritage européen et réalités géopolitiques, le traité suscite autant d’espoirs que de doutes.

 

Annoncé depuis plusieurs années, le « Traité pour une coopération et une amitié renforcée entre la République de Pologne et la République française » a été signé à Nancy, à l’occasion de la Journée de l’Europe, par le Premier ministre Donald Tusk et le Président Emmanuel Macron : pour l’occasion, l’ancienne capitale de Stanislas Leszczyński (Roi de Pologne 1704-1709 et 1733-1736) et Duc de Lorraine et de Bar (1737-1766) a offert un cadre prestigieux permettant de « magnifier » l’amitié séculaire entre les deux États. Le traité complète le dispositif français destiné à densifier les relations bilatérales avec les autres « Grands » de l’Union européenne – l’Allemagne (Aix-la-Chapelle, 22 janvier 2019), l’Italie (Quirinal, 26 novembre 2021) et l’Espagne (Barcelone, 19 janvier 2023). Tirant les conséquences de l’évolution géopolitique intervenue depuis l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne (2004), il abroge le traité du 9 avril 1991 conclu au lendemain de la Réunification.

 

Une « duplication » du modèle franco-allemand ?

Composé de 19 articles très « touffus », le texte de Nancy est long et donne l’impression d’un « rattrapage diplomatique ». C’est du reste le sens de l’évaluation faite par l’Ambassadeur de Pologne en Allemagne, Jan Tombiński, pour qui l’accord franco-polonais devait être un « miroir » des Traités de l’Élysée et d’Aix-la-Chapelle…

Il faut le rappeler ici : le traité d’Aix-la-Chapelle représente un progrès qualitatif majeur dans la relation franco-allemande. Structuré en sept chapitres, il définit les orientations que les deux pays souhaitent donner à leur « tandem » en Europe et au-delà. Cet exemple de concision aurait pu être suivi dans le cadre du traité de Nancy : il ne l’a pas été. Au contraire, le texte énumère une liste de thèmes si vaste qu’elle soulève d’emblée des interrogations quant à sa faisabilité. À l’instar de la pratique franco-allemande, il propose la création de plusieurs mécanismes de concertation : sommet bilatéral annuel, réunions des ministres des Affaires étrangères, ainsi que d’autres formats aux niveaux gouvernemental et administratif (art. 1). Toutefois, la création d’une Assemblée parlementaire franco-polonaise (à l’image de l’APFA) n’est pas prévue – malgré une évocation en apostille de la diplomatie parlementaire. Une telle initiative relèverait du reste du Sejm et de l’Assemblée nationale, en vertu du principe de séparation des pouvoirs.

 

Une « ambiguïté » stratégique ?

Alors qu’Emmanuel Macron a fréquemment exprimé ses doutes quant à la solidité de l’Alliance atlantique, l’OTAN est citée à de nombreuses reprises dans le traité, témoignant de l’attachement de la Pologne au « parapluie » américain – malgré Donald Trump. En dépit de la « posture europhile » de la Plateforme Civique (PO), Varsovie ne semble donc guère envisager une « souveraineté européenne » fondée sur une autonomie politique et une capacité stratégique distinctes des États-Unis. D’ailleurs, même si l’article 2.4 affirme que les parties « œuvrent activement à une UE plus forte, sûre, souveraine », l’expression « souveraineté européenne » ne figure pas dans le traité ! En tout état de cause, la coopération bilatérale en matière de défense vise à renforcer le « pilier européen » de l’OTAN, pas à construire un système de sécurité intégrée entre les membres de l’UE.

 

Traité de Nancy (Copyright : Landry Charrier – Capture d'écran : Élysée.fr)
Traité de Nancy (Copyright : Landry Charrier – Capture d’écran : Élysée.fr)

 

Sous le titre « Sécurité et Défense », l’article 4 du Traité se contente de reprendre les engagements déjà souscrits par les deux pays au sein de l’OTAN et de l’UE, sans réelle valeur ajoutée franco-polonaise. On le sait, les « intérêts vitaux » de la France sont couverts par sa dissuasion nucléaire, mais sa doctrine d’emploi reste imprécise et n’inclut pas formellement la protection d’autres pays européens. Certes, la Pologne pourrait accueillir des avions Rafale porteurs de bombes nucléaires, mais une telle option nécessiterait des négociations (qui devraient à l’évidence inclure l’Allemagne).

Dans le domaine de l’armement, enfin, les aspects industriels et techniques demeurent là aussi suspendus à des accords futurs, sans garantie de « préférence européenne » (qui relèverait de Bruxelles). Les difficultés rencontrées au niveau franco-allemand – par exemple pour le Main Ground Combat System – laissent présager les défis d’un programme franco-polonais, voire multilatéral.

 

Un « partenariat » économique ?

Alors que la Pologne s’était engagée en 2024 à rejoindre la zone euro, cette perspective est absente du Traité. Pourtant, un « parrainage » français pour accompagner la transition du Złoty à l’euro aurait permis de plaider conjointement en faveur d’une réforme de l’Union économique et monétaire (UEM), incluant une actualisation des objectifs et de la gouvernance de la Banque centrale européenne (BCE). De même, la convergence des politiques budgétaires et des positions nationales concernant le financement de l’UE figure parmi les priorités « oubliées » du texte – un choix délibéré pour ne pas « effaroucher » l’Allemagne et les autres pays dits « frugaux » ?

Fragile, l’industrie nucléaire française se félicite de la volonté polonaise de recourir à cette technologie pour décarboner son économie et sécuriser son approvisionnement électrique, notamment en réduisant la part du charbon. Intitulé « Énergie et coopération nucléaire civile », l’article 9 exprime une ambition commune : construire de nouvelles centrales nucléaires, qu’il s’agisse de réacteurs de forte puissance ou de petits réacteurs modulaires. Sans l’exprimer ouvertement, les deux États espèrent sans doute infléchir la position de Berlin – jusqu’ici arcbouté sur son refus du nucléaire – vers une attitude plus ouverte (comme l’a laissé entendre le Chancelier Friedrich Merz). Dans un esprit de dialogue, ils réaffirment leur attachement à la « liberté des États membres de déterminer leur bouquet énergétique », tout en s’engageant à respecter les objectifs de l’Accord de Paris (2015) et à contribuer à la « souveraineté énergétique » de l’Europe.

Au total, plusieurs dispositions du Traité de Nancy sont consacrées aux questions économiques, à commencer par l’article 6 dédié à la « Coopération économique, industrielle et numérique ». L’inventaire des thèmes possibles pour la coopération couvre une palette, allant des transports (art. 8) à la recherche scientifique (art. 11), en passant par la protection de l’environnement (art. 7) et l’agriculture (art. 10). Une telle liste conviendrait aussi pour la Syldavie (Tintin en Syldavie, 1938) !

 

Une « Journée particulière » ?

Enfin, le choix du 20 avril comme Journée de l’amitié polono-française (art. 15) pourrait susciter un certain scepticisme. Si cette date correspond au transfert des cendres de Marie Skłodowska-Curie au Panthéon (1995), elle coïncide aussi avec l’anniversaire…d’Adolf Hitler. Plutôt que cette « maladresse » de calendrier, le 22 juillet – date du rétablissement de l’indépendance de la Pologne sous le nom de Grand-Duché de Varsovie par Napoléon Ier, en 1807 – aurait également pu constituer une référence symbolique plus forte pour instituer une telle Journée. Reste à savoir si le président Karol Nawrocki, qui prendra ses fonctions en août prochain, acceptera de signer la loi de ratification du Traité.

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