« Lorsque l’UE sera opérationnelle, le moteur franco-allemand repartira »


À l’occasion de la journée franco-allemande, Nils Schmid dresse le bilan de la coalition « feu tricolore » en matière de politique européenne, décrypte les ambitions du chancelier Scholz et revient sur la situation politique en France.
dokdoc : Monsieur Schmid, vous êtes membre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande et depuis février 2022, le coprésident de son bureau. Quel rapport entretenez-vous avec la France sur le plan personnel ?
Nils Schmid : Une longue histoire d’amour. Je suis très proche de la France depuis mon adolescence. Le français a été ma première langue étrangère et c’est avec la France que j’ai eu mes premiers échanges scolaires, mes premières amitiés internationales. J’ai toujours été intéressé par la civilisation française, le pays et ses habitants.
dokdoc : La coalition « feu tricolore » appartient désormais au passé. Le moment est venu d’en faire un premier bilan. Qu’en restera-t-il en matière de politique européenne ?
Schmid : Je suis très satisfait de ce qui a été fait. Nous avons obtenu des avancées importantes sur les questions migratoires avec le Régime d’asile européen commun, en matière de politique industrielle et aussi en matière de politique d’armement avec, notamment, les grands projets franco-allemands. Nous avons également adopté des sanctions contre la Russie en réaction à l’invasion de l’Ukraine, et avons réformé et assoupli avec prudence les règles budgétaires de l’UE. Sur le plan de la politique étrangère, nous avons vu que la France et l’Allemagne pouvaient agir de manière concertée comme par exemple dans le cas de l’Éthiopie ou de la Syrie. Enfin, la coalition « feu tricolore » est parvenue à relancer le processus d’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux, grâce à l’engagement personnel d’Olaf Scholz.

dokdoc : Jouer un rôle moteur signifie « élaborer des solutions avec d’autres et renoncer à faire cavalier seul », a écrit Olaf Scholz dans un article de la FAZ paru en 2022. Toutefois, si vous en parlez à des journalistes à Bruxelles, on vous dira que dès son premier sommet, Olaf Scholz a croisé les bras dès lors qu’une chose ne lui plaisait pas et ce faisant bloqué toute avancée. Comment ces deux choses s’articulent-elles ?
Schmid : Jouer un rôle moteur ne signifie pas faire un bon discours ou taper du poing sur la table. Dans le système politique multiscalaire allemand, de la même manière qu’au plan européen, il vous faut d’abord convaincre et si nécessaire pousser ceux qui menacent d’utiliser leur veto à la neutralité. C’est ce qu’Olaf Scholz a réussi à faire dans le cas d’Orban. Les chanceliers allemands sont très forts là-dessus car ils sont habitués à gouverner en coalition. Le Conseil européen, le Conseil des ministres et les institutions européennes sont un peu comme en Allemagne, c’est-à-dire une sorte de grande coalition : si vous voulez obtenir une majorité, vous n’avez pas d’autre choix que d’intégrer de nombreux partis ou groupes. Et pour cela, il faut savoir négocier – c’est précisément ce qu’Olaf Scholz a pu apporter ces dernières années.
dokdoc : Les relations que l’Allemagne entretient avec ses plus importants partenaires en Europe sont au plus bas, écrivent Claudia Major et Christian Mölling dans un article récemment paru : avec la France, la communication est pratiquement inexistante, du moins au plus haut niveau politique. La relance des relations germano-polonaises a échoué et l’Allemagne est de plus en plus souvent tenue à l’écart de formats plus petits comme on a pu le voir lors du sommet de la mer Baltique avec les pays baltes et nordiques. L’Allemagne est-elle isolée ?
Schmid : Non. À quoi cela mène-t-il de compter qui parle quand et avec qui ? On pourrait aussi se demander pourquoi la Pologne n’était pas représentée à l’inauguration de Notre-Dame. Les relations avec Varsovie se sont nettement améliorées. Mais le fait est aussi que nous avons un gouvernement de centre-droit en Pologne qui doit tenir compte des sensibilités nationales, notamment pour ce qui est de la question des Réparations. Le fait est aussi que le gouvernement polonais se prépare à une élection présidentielle difficile et qu’une trop grande proximité avec l’Allemagne ne serait pas forcément utile, du moins à ce que j’ai entendu. Nous devrons tout de même aborder de manière différente certaines questions liées à l’histoire. Les attentes de la Pologne en la matière sont nettement plus réalistes depuis l’arrivée du gouvernement Tusk. Ce sera l’une des tâches du nouveau gouvernement fédéral que d’en tenir compte.
dokdoc : Et s’agissant de la France ?
Schmid : Le président Macron est très affaibli et il ne parviendra probablement plus à obtenir de majorité à l’Assemblée. À cela s’ajoutent de gros problèmes économiques et budgétaires. Cela réduit ses marges de manœuvre. Il faut également tenir compte d’un autre élément, de mon point de vue, totalement occulté dans la description de la situation : depuis les élections du Parlement européen, plus rien n’a bougé à Bruxelles. Lorsque l’UE sera de nouveau opérationnelle, le moteur franco-allemand repartira.
dokdoc : Dans le programme électoral de la SPD, on trouve les phrases suivantes : « Nous approfondirons nos alliances et coopérations traditionnelles. Pour nous, les relations avec la France restent centrales. Elles sont au cœur du processus d’unification européenne ». Que signifierait une réélection de Scholz pour les relations bilatérales ?
Schmid : De la stabilité. Scholz et Macron viennent tous les deux du monde de l’économie et de la finance, et tous les deux s’inquiètent des performances de leur pays en la matière. Cette question va continuer à occuper le haut de l’agenda. Le fait que Scholz et Macron défendent parfois avec force leurs intérêts respectifs est finalement dans l’ordre des choses et ne doit pas être compris comme un problème de coopération. Un autre point me semble très important : le chancelier voudra continuer à pousser le sujet des accords commerciaux de l’UE et insistera pour que nous utilisions les compétences de l’UE sur le plan commercial. Un chancelier Scholz s’efforcera également d’élargir les contacts diplomatiques et politiques dans le « Sud global ». Il nous faudra apprendre non seulement en Allemagne mais aussi en Europe, que les relations internationales ne peuvent se limiter aux échanges entre Américains et Européens. Le monde a changé.
dokdoc : Parlons du MERCOSUR. Lors de la conférence des ambassadeurs à Paris, Emmanuel Macron a clairement indiqué que pour lui, le dossier n’était pas encore clos. Un nouveau sujet de conflit entre la France et l’Allemagne ?
Schmid : Le positionnement du gouvernement français m’étonne. La Commission européenne a pourtant proposé des compensations et même de renégocier certains points. Mais la France s’est enferrée dans sa position et ce faisant s’est un peu isolée. Ce n’est pas bon et finalement en totale contradiction avec le discours de Paris sur le rôle de l’Europe dans le monde.

dokdoc : La politique du chancelier Scholz dans le contexte de la guerre en Ukraine suscite beaucoup d’incompréhension, notamment en Europe du Nord et orientale. Les livraisons d’armes suffiront-elles à faire plier Poutine et à l’amener à la table des négociations ?
Schmid : Avant même que Scholz ne prenne la tête du gouvernement, il y avait un consensus dans les cercles de l’OTAN : l’OTAN ne participe pas à la guerre mais soutient l’Ukraine via des livraisons d’armement, l’objectif étant de la rendre suffisamment forte pour obliger Poutine à négocier. Nous avons eu des débats passionnés au cours des trois dernières années concernant certains types d’armes. Cela a souvent été monté en épingle. Pourtant, de l’Amérique aux Pays Baltes et en passant par la Pologne, nous sommes tous d’accord pour dire que l’Ukraine ne gagnera pas ce conflit de manière seulement militaire. Elle ne pourra pas récupérer les territoires qu’elle a perdus uniquement par les armes. Rétablir sa souveraineté territoriale passera par un mélange de pression et de contre-pression militaire ainsi que par la diplomatie. L’Allemagne est, avec la Grande-Bretagne et les pays d’Europe centrale et orientale, le pays qui apporte le soutien le plus stable à l’Ukraine. En France, nous ne savons pas ce que décidera le prochain gouvernement. Chez nous, peu importe le gouvernement qui arrivera au pouvoir : la politique ukrainienne restera la même.

dokdoc : Et si Donald Trump venait à stopper l’aide que les États-Unis apportent à l’Ukraine et la forçait à conclure un cessez-le-feu ?
Schmid : Le principe qui doit s’appliquer est le suivant : on ne décide rien sur l’avenir de l’Ukraine sans l’Ukraine et rien sur la sécurité européenne sans la participation des Européens. Cela implique de parler avec Trump. Mais il est également important que nous restions en contact avec Poutine et ce, de manière indépendante. Nous verrons s’il est possible d’ouvrir des discussions cette année. Dans l’état actuel des choses, cela ne semble pas être le cas car Poutine est encore convaincu qu’il peut gagner cette guerre. Tant qu’il le croira, la guerre continuera. Que tout le monde aspire à la paix, d’une manière ou d’une autre, cela ne souffre aucun doute. Mais la paix ne pourra pas être obtenue par de grands discours ou de quelconques incantations, elle le sera seulement et uniquement si nous continuons à soutenir l’Ukraine.
dokdoc : Vous avez récemment critiqué Macron pour avoir dissout l’Assemblée nationale, soulignant que cette décision avait conduit la politique française dans une impasse. Quel regard portez-vous désormais sur la France et qu’en attendez-vous ?
Schmid : La politique intérieure française est dans l’impasse. Le gouvernement actuellement en place est pratiquement incapable d’agir et je n’ai pas grand espoir que cela change avant les prochaines élections présidentielles. C’est une situation difficile pour nous. Le fait que nous ayons en France un gouvernement de fait de centre-droit, toléré par l’extrême droite, n’est pas non plus un signal positif dans le contexte européen actuel. Ce qui nous rassure, c’est le positionnement pro-européen de Macron.
dokdoc : …et s’agissant des relations franco-allemandes ?
Schmid : En Allemagne aussi, nous nous trouvons dans une situation inhabituelle, mais nos partenaires peuvent être sûrs qu’après les élections, les choses auront été clarifiées et que nous aurons un gouvernement stable avec lequel on pourra compter et travailler. En France, il y a tout lieu de penser que la situation restera bancale et ce, probablement jusqu’à l’élection présidentielle. Cela ne facilitera pas forcément la coordination franco-allemande.
dokdoc : Monsieur Schmid, je vous remercie pour cet entretien.
Interview : Landry Charrier
Notre invité
Nils Schmid est membre du Bundestag depuis 2017 et porte-parole du groupe SPD pour les affaires étrangères depuis 2018. Il est également membre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande depuis 2019 – depuis 2022 le coprésident de son bureau. Député du Landtag de Bade-Wurtemberg à partir de 1997, Nils Schmid a également été président du SPD de ce même Land de 2009 à 2016. De 2011 à 2016, il a été ministre des Finances et de l’Économie du Land de Bade-Wurtemberg et vice-ministre-président.