Triangle de Weimar :
Sur le chemin de la renaissance ?


Le retour de Donald Trump à la Maison pose de nombreux défis à l’Europe. Quel rôle le Triangle de Weimar peut-il jouer dans cette nouvelle constellation ?
Créé en 1991, le Triangle de Weimar a souvent été perçu comme une structure fragile plutôt qu’un moteur pour l’Europe. On se souvient notamment des difficultés auxquelles Paris, Berlin et Varsovie ont été confrontées après l’arrivée du PiS (2015) au pouvoir. Le format, qui avait d’ailleurs perdu sa raison d’être première suite à l’adhésion de la Pologne à l’UE (2004), n’en était toutefois pas à sa première remise en cause.
Nouvelle impulsion
Le Triangle a connu un premier regain d’activité en 2022 du fait de l’agression de l’Ukraine par la Russie. Dès le début du mois de février, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et Andrzej Duda s’étaient rencontrés à Berlin afin de coordonner leurs positions. D’autres rencontres suivirent, cette fois-ci à un rythme bien plus soutenu qu’auparavant, favorisant les convergences sur des questions depuis longtemps en suspens, la politique d’élargissement notamment. L’élection de Donald Tusk au poste de Premier ministre (décembre 2023) accéléra de manière très sensible la nouvelle dynamique. Sa politique pro-européenne et son attitude constructive à l’adresse de la France et de l’Allemagne y contribuèrent pour beaucoup.

Les limites de la coopération
Les limites de ce rapprochement apparurent toutefois rapidement, Paris, Berlin et Varsovie continuant à avoir des approches différentes sur les grands dossiers du moment. Le soutien à l’Ukraine, le sujet dominant des trois dernières années, en est une preuve éclatante. Alors que Varsovie a apporté dès le départ un appui inconditionnel à Kiev, Berlin, de son côté, a souvent semblé hésitant. Quant à la France, d’abord réticente en matière de missiles de croisières, d’obusiers et de véhicules blindés, elle a ensuite souvent pris les devants. Le discours de Macron au forum Globsec de Bratislava (31 mai 2023) a marqué un tournant en ce qu’il a pour la première fois évoqué la nécessité de donner des « garanties de sécurité claires et concrètes » à l’Ukraine.
Un certain rapprochement a bien eu lieu en matière de politique de sécurité et de défense. De profondes divergences subsistent néanmoins encore, notamment en ce qui concerne la question de l’autonomie stratégique et du positionnement de l’UE vis-à-vis des États-Unis. Alors que la France plaide pour une plus grande « autonomie », l’Allemagne et surtout la Pologne, ont une politique nettement plus transatlantique, voyant toujours dans les États-Unis le pilier central de leur politique de sécurité et de défense. Les trois pays ont également des vues divergentes sur certains grands projets ainsi que l’a fait apparaitre le refus de la France de rejoindre l’initiative European Sky Shield portée par l’Allemagne. De son côté, la Pologne en est partie intégrante.
Les évolutions récentes en France et en Allemagne ont également impacté la capacité d’action des deux pays sur la scène européenne et internationale et par ricochet, le Triangle de Weimar : la coordination entre les trois acteurs étant devenue plus difficile, on voit mal comment ces derniers pourraient prendre une quelconque initiative, du moins à l’heure actuelle. Le vote de confiance décidé par le chancelier Scholz (6 novembre 2024) et la tenue de nouvelles élections le 23 février prochain ont encore exacerbé un peu plus la tendance.
Enfin, le Triangle de Weimar s’est souvent présenté en ordre dispersé ce qui n’a pas manqué d’affaiblir le rôle qu’il pourrait jouer sur la scène européenne. La non-invitation de la Pologne à la rencontre en format QUAD (France, Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis) organisée à la chancellerie lors de la visite d’État de Joe Biden (18 octobre) en est un exemple parmi d’autres. Officiellement, Tusk ne s’en est pas plaint. Sa réponse a été plus subtile. Il a eu dans la foulée des bilatérales avec plusieurs interlocuteurs parmi lesquels Emmanuel Macron, le Premier ministre britannique Keir Starmer, le secrétaire général de l’OTAN Mark Rutte, mais pas avec Olaf Scholz.

Une année clé
Dans ce contexte, l’année 2025 s’annonce cruciale. La dynamique des années 2022-2023 a montré qu’il était possible d’avancer dans la bonne direction. Il reste néanmoins encore beaucoup de chemin à parcourir. Avec la réélection de Donald Trump, le contexte international s’est encore un peu plus dégradé. La France, l’Allemagne et la Pologne n’ont d’autres choix que de travailler ensemble pour faire face aux bouleversements qui ne manqueront pas de s’opérer. Le scénario idéal serait que la formation rapide d’un nouveau gouvernement fédéral permette de donner une nouvelle impulsion au Triangle. Le candidat Merz, actuellement le mieux placé pour accéder à la chancellerie, a du reste souligné à plusieurs reprises toute l’importance qu’il attachait à un renforcement de la coopération européenne.
Bien sûr, les points de discorde entre les trois pays ne manquent pas mais il faudra s’attacher à les résoudre peu importe la situation politique intérieure. En ce qui concerne l’Ukraine, il sera nécessaire de trouver une position commune car Trump a d’ores et déjà annoncé son intention de réduire le soutien que les États-Unis apportent à Kiev. Peu importe ce qui adviendra, l’Europe n’aura de toute façon pas d’autre choix que d’assumer davantage de responsabilités. Il en va de même pour les autres grandes questions de sécurité et de défense. Les semaines et les mois à venir exigeront de faire front ensemble ; faire cavalier seul ne mènera à rien. Dans ce contexte, il convient de saluer l’organisation du sommet « Weimar plus » à Varsovie le 19 novembre dernier avec les chefs de la diplomatie italienne, espagnole et britannique ainsi que la nouvelle représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Kaja Kallas.
Trouver une base commune permettra au Triangle de Weimar de donner une nouvelle impulsion au format et de marquer le début d’une « renaissance » au service d’une Europe forte et moins dépendante des États-Unis et la Chine. La route sera longue mais le moment, pour tragique qu’il soit, est propice à une nouvelle initiative.
L’auteur

Tobias Koepf est depuis 2015 chef de projet « Dialogue européen – Penser l’Europe politique » à la Fondation Genshagen. Docteur en sciences politiques, il a travaillé auparavant pour le compte de la Fondation Science et Politique (SWP) à Berlin. Tobias Koepf a également été Transatlantic Post-Doctor Fellow for International Relations and Security (TAPIR) à l’Institut français des relations internationales à Paris, à l’United States Institute of Peace à Washington DC et ainsi qu’à l’EU Institute for Security Studies à Paris et Bruxelles. De juillet 2014 à juin 2015, il a été associé au programme France/relations franco-allemandes de la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik.