Franz Stock :
« Ils l’appelaient l’archange de l‘enfer »

Franz Stock : « Ils l’appelaient l’archange de l‘enfer »
  • Publiéavril 8, 2025
Msgr. Nuntius Roncalli et Franz Stock (Copyright: Franz-Stock-Komitee für Deutschland e.v.)
Msgr. Nuntius Roncalli et Franz Stock (Copyright: Franz-Stock-Komitee für Deutschland e.v.)

L’abbé Franz Stock était un bâtisseur de ponts : en tant que recteur de la communauté catholique allemande à Paris, il a accompagné de nombreux résistants français jusqu’à leur exécution. Son histoire est un puissant message de paix et de réconciliation.

 

dokdoc : Pourriez-vous nous décrire la trajectoire de Franz Stock et nous dire pourquoi il vous tient tant à cœur d’œuvrer pour sa mémoire ?

 

Margreth Dennemark : En 1987, j’ai pris la direction de l’école maternelle « Franz Stock » à Arnsberg. Je n’avais jamais entendu ce nom auparavant. Après quelques recherches, j’ai découvert que nous partagions le même amour pour la France. Franz Stock avait été profondément marqué par la Grande Guerre. C’est à la suite de cette expérience qu’il s’est engagé auprès des Quickborners, un mouvement de jeunesse catholique dont l’objectif était de bannir la guerre et de promouvoir la réconciliation franco-allemande. Lors d’un congrès pour la paix en France, il fit la connaissance de Joseph Folliet, qui, à partir de 1928, lui permit d’étudier la théologie à Paris pendant trois semestres. Pour un Allemand, cela était alors impensable. Stock apprit donc le français, organisa des randonnées pour la paix et invita ses amis français à venir en Allemagne. Il fut ordonné prêtre en 1932. Deux ans plus tard, à la demande de l’archevêque de Paris, Mgr Jean Verdier, il fut nommé recteur de la communauté catholique allemande de Paris. Il dut néanmoins retourner dans son diocèse d’origine en 1939, peu avant l’invasion de la Pologne par l’Allemagne.

 

dokdoc : Comment Franz Stock en est-il venu à rendre visite aux Français détenus dans les prisons de la Wehrmacht ?

 

Dennemark : En septembre 1940, Stock fut à nouveau envoyé dans sa paroisse du Quartier Latin. Paris était alors sous occupation. Les trois prisons de la capitale étaient pleines de résistants. Beaucoup d’entre eux avaient été condamnés à mort, comme Eugène Cas, un imprimeur qui distribuait avec sa femme des tracts contre l’occupant. Avant d’être fusillé, Cas écrivit un message au dos des photos de sa femme et de son bébé : « Je meurs pour la France et je meurs pour toi, pour que tu puisses vivre en paix dans ton pays. » Il confia ensuite ces photos à Stock. Sa femme avait déjà été déportée en Allemagne. On ignore ce que Stock en fit par la suite. Des années plus tard, elles furent envoyées au comité Les Amis de Franz Stock, sans le moindre commentaire. Le comité les remit alors à la fille d’Eugène Cas, aujourd’hui âgée de 72 ans, accompagnées des derniers mots de son père.

 

dokdoc : Comment Franz Stock put-il exercer de telles fonctions ?

 

Franz Stock (Copyright: Franz-Stock-Komitee für Deutschland e.v.)
Franz Stock (Copyright: Franz-Stock-Komitee für Deutschland e.v.)

Dennemark : La Convention de Genève garantit le droit à l’assistance spirituelle. La Wehrmacht refusait néanmoins aux prêtres français l’accès aux prisonniers. De même, les aumôniers militaires allemands ne pouvaient s’occuper que des soldats allemands. Mais Franz Stock ne dépendait pas de l’armée, il relevait de l’ambassade d’Allemagne. Il fut donc nommé aumônier à titre secondaire. Il portait la soutane d’un prêtre français et un brassard avec une croix rouge. Lorsque le nombre d’exécutions commença à augmenter, il reçut le soutien du pasteur protestant Dammrath et de l’aumônier militaire catholique Loevenich. Loevenich en a rendu compte dans son journal. Il y parle notamment du jour où il reçut un appel téléphonique lui annonçant :« Demain, fête du sport ». C’était le signal : 100 personnes allaient être fusillées. Avec Stock et l’archevêque de Paris, il parvint à obtenir la grâce de 20 condamnés. Mais sa proximité avec les résistants coûta cher à Loevenich, qui fut rapidement envoyé sur le front de l’Est.

 

dokdoc : Les prisonniers français étaient-ils méfiants à l’égard de Franz Stock ?

 

Dennemark : Au départ, oui. Franz Stock était Allemand ! Pourtant, de nombreux témoignages attestent de la profonde confiance qu’il inspira par la suite aux prisonniers. Edmond Michelet, résistant devenu ensuite ministre, raconte que Stock allait de cellule en cellule, appelait les détenus par leur nom et leur transmettait des messages de leur famille.

 

dokdoc : Comment les choses se passaient-elles avec les détenus d’autres confessions ou sans attaches religieuses ?

 

Dennemark : Franz Stock respectait les souhaits de chaque prisonnier. Il leur apportait du linge et de la nourriture, leur transmettait des nouvelles de leurs proches et leur en apportait en retour. Au péril de sa vie, il faisait passer des petits papiers et des livres, qu’il dissimulait dans sa soutane, dans des poches cousues par sa sœur. Un résistant de premier plan, Gabriel Péri, s’était détourné de Dieu. Franz Stock tenta néanmoins à plusieurs reprises d’obtenir sa grâce. Ils échangèrent longuement et, la veille de son exécution, Péri lui confia son alliance en lui demandant de la remettre à sa femme. Une immense marque de confiance.

 

Notes de Franz Stock, écrites avant l'exécution des résistants qu'il accompagnait
Notes de Franz Stock, écrites avant l’exécution des résistants qu’il accompagnait (Copyright: Wikimedia Commons)

 

dokdoc : Franz Stock fut volontairement fait prisonnier de guerre et en avril 1945, fut chargé de diriger le Séminaire des barbelés. Comment les choses se sont-elles passées ?

 

Dennemark : Le général Boisseau avait déjà initié des projets similaires en Algérie et à Montpellier. C’est lui aussi qui organisa le séminaire dit de « derrière les barbelés » à Orléans et qui sollicita l’abbé Stock pour le diriger. Stock était alors volontaire dans un camp de prisonniers allemands à Cherbourg. À la demande de l’Église et avec l’autorisation du gouvernement français, il fut nommé régent du Séminaire des Barbelés. Comme de plus en plus de prisonniers allemands se présentaient pour préparer le baccalauréat ou pour étudier la théologie et la philosophie, le camp fut transféré à Chartres. L’université Albert-Ludwig de Fribourg accepta alors de le parrainer, tout comme le nonce Roncalli, le futur pape Jean XXIII. Franz Stock et des professeurs d’université venus de toute l’Allemagne y enseignèrent. Stock veillait à ce que tous les séminaristes apprennent le français afin de changer leur perception de la France, qu’ils considéraient toujours comme leur ennemi héréditaire. L’objectif du gouvernement français était d’inculquer aux jeunes Allemands des valeurs telles que la démocratie et la fraternité, dans l’espoir qu’ils les diffusent ensuite en Allemagne.

 

dokdoc : Franz Stock a été inhumé dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvres à Chartres, souvent qualifiée d’« église de la paix ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Dennemark : Franz Stock est mort de manière soudaine et inattendue. En février 1948, il a été enterré dans une tombe pour pauvres à Paris. Sa famille n’a pas été autorisée à assister aux funérailles car il était alors toujours prisonnier de guerre. Les survivants et les familles des fusillés obtinrent qu’une cérémonie commémorative lui soit dédiée aux Invalides en juillet 1949. Quelques mois plus tard, il fut décidé d’inhumer tous les Allemands de Paris dans une fosse commune au cimetière de Thiais, mais des voix s’y opposèrent. Franz Stock fut alors transféré dans une tombe individuelle. La pierre tombale fut offerte par les résistants français et les familles des condamnés à mort qu’il avait accompagnés pendant la guerre. Cette fois, la famille Stock put participer à la cérémonie. Les frais du voyage furent pris en charge par le bureau du chancelier Konrad Adenauer. Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’une solution définitive fut trouvée : en 1963, Franz Stock fut inhumé dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvres, à l’ombre de la cathédrale de Chartres.

 

dokdoc : Comment la mémoire de Franz Stock est-elle aujourd’hui honorée  ?

 

Au Mont Valérien (Copyright: Wikimedia Commons)
Au Mont Valérien (Copyright: Wikimedia Commons)

 

Dennemark : En France, plusieurs hommages ont été rendus à Franz Stock, notamment une messe pontificale célébrée en 1998 à la cathédrale de Chartres, en présence du cardinal Lustiger, archevêque de Paris, de plusieurs évêques français et allemands, du chancelier Kohl, de René Monory, président du Sénat, et de Joseph Rovan. En 2008, Nicolas Sarkozy et Jürgen Rüttgers, alors ministre-président du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ainsi que des membres de la Résistance, lui ont également rendu hommage au mémorial du Mont-Valérien. Deux comités œuvrent aujourd’hui à la préservation de sa mémoire : le comité français, fondé à Paris en 1963 sous le nom Les Amis de Franz Stock, et notre comité, créé en 1964. Tous deux mettent gratuitement à disposition les expositions itinérantes « La paix comme mission » et « La réconciliation par l’humanité ». L’ancien Séminaire des Barbelés du Coudray/Chartres est aujourd’hui un lieu de rencontre qui accueille des visites guidées, des concerts, des représentations théâtrales et des conférences. La maison d’enfance de Franz Stock, située à Arnsberg-Neheim, a été transformée en un petit musée. Son nom a également été donné à des rues, des places, des écoles, des jardins d’enfants et même à une cloche d’église à Bayeux. L’esplanade du Mont-Valérien a, quant à elle, été rebaptisée Esplanade de l’abbé Stock ; c’est sur cette place que, chaque année, le président de la République rend hommage aux résistants tombés au combat.

 

Interview : Tanja Herrmann

 

Notre invitée

Margreth Dennemark (Copyrigh: privé)
Margreth Dennemark (Copyrigh: privé)

Eva Margarethe (Margreth) Dennemark, diplômée en pédagogie sociale, est née en 1948 à Dillingen dans la Sarre. Elle a déménagé à Arnsberg en 1971. Elle y a notamment dirigé pendant 8 ans le jardin d’enfants catholique « Franz Stock ». Depuis 2006, elle s’investit au sein du comité Franz Stock, où elle a occupé le poste de vice-présidente pendant dix ans. Elle est désormais présidente du curatorium Elternhaus Stock.

 

 

 

 

 

 

 

Pour aller plus loin

« Le journal de guerre de l’abbé Franz Stock. Paris 1940-1944 », ARTE (1er avril 2025), Le journal de guerre de l’abbé Franz Stock – Paris 1940-1944 – Regarder le documentaire complet | ARTE.

 

This site is registered on wpml.org as a development site. Switch to a production site key to remove this banner.