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Extrémisme de droite

Le RN, un modèle pour l’AfD ?

Maximilian Beer

Alice Weidel, Tino Chrupalla et René Aust le 10 juin à Berlin (Copyright: Imago)

13 juin 2024

Le Rassemblement National mise sur un duo – une femme, Marine Le Pen, et un jeune, Jordan Bardella – pour conquérir le pouvoir. Une évolution similaire se dessine à l’AfD.

Comment cela est-il possible ? L’Office fédéral de protection de la Loi fondamentale l’a placée sous surveillance, la « réunion secrète » de Potsdam a entraîné des manifestations de masse, ses principaux candidats sont soupçonnés d’être à la botte la Chine et la Russie – et pourtant, l’AfD a obtenu un résultat record lors des élections européennes. 16 %, c’est pour elle un franc succès. Elle devance les partis de la « coalition tricolore » et arrive en deuxième position, derrière les conservateurs de la CDU/CSU. C’est certes beaucoup moins que ce que les sondages annonçaient il y a encore quelques mois, mais c’est beaucoup plus qu’en 2019. Et c’est surtout plus que ce qu’espéraient les opposants et plus que ce que craignaient les membres du parti. Car dans les faits, la campagne électorale de l’AfD a été un échec. Cela aurait difficilement pu être pire. Le parti s’est pris les pieds dans des différents scandales ; sa communication a été erratique. Aurait-il pu faire mieux avec d’autres dirigeants ?

Weidel : « une très bonne journée pour la démocratie »

Berlin, lundi midi. L’AfD organise une grande discussion post-électorale. La présidente du parti, Alice Weidel, est d’excellente humeur : « dimanche a été une très bonne journée pour la démocratie », déclare-t-elle. Malgré les « campagnes de diffamation et les calomnies dont le parti a fait l’objet », il est aujourd’hui la deuxième force du pays. Weidel fait allusion aux accusations de ces derniers mois, selon elle le fruit d’une étroite concertation entre un cartel de partis concurrents, de médias et de services secrets.

Les multiples accusations dont nous avons été la cible, dit-on à l’AfD, se sont essoufflées. Et même l’étiquette « parti nazi » ne choque plus l’électorat. Le fait qu’il a été placé sous surveillance par l’Office fédéral de protection de la Loi fondamentale ne joue plus qu’un rôle secondaire. Après tout, ça fait des années qu’on en parle. « Ça ne prend plus », déclare le coprésident Tino Chrupalla aux journalistes réunis. Il est maintenant question de Lars Klingbeil : le chef du SPD a qualifié à plusieurs reprises l’AfD de « parti nazi » dans un talk-show avec Weidel le soir des élections. « Ces qualificatifs ne prennent plus non plus », estime Chrupalla. C’est ce qui explique pourquoi les scores du parti continuent à augmenter. Le pays s’est habitué à l’AfD, ainsi qu’aux reportages dont il fait régulièrement l’objet. « Nous n’avons plus besoin de la presse régionale pour faire passer nos messages », explique Chrupalla. Les réseaux sociaux font le travail.

Lors d’un sondage réalisé par Infratest dimap, 82% des électeurs de l’AfD ont dit ne pas accorder d’importance au fait que le parti est qualifié d’extrême droite, « tant qu’il parle des bons sujets » : l’inflation, la guerre en Ukraine et les faillites d’entreprises, l’immigration et ses répercussions sur d’autres domaines : le manque de logements, la sécurité intérieure, les infrastructures scolaires. L’AfD se renforce parce que les grands problèmes demeurent et que de plus en plus de citoyens ne font pas – plus – confiance aux autres partis pour les résoudre.

Les choses auraient pu tourner autrement

Maximilian Krah lors d’une manifestation de l’AfD à Nordhausen, 16 septembre 2023 (Copyright: Wikimedia Commons) 

Après que la tête de liste de l’AfD Maximilian Krah a tenu des propos relativisant les crimes de la Waffen SS, la direction du parti l’a de suite exclu de la campagne électorale. Il s’agissait avant tout de limiter les dégâts. L’AfD s’était déjà fois distancié de son candidat après avoir appris qu’il employait un espion chinois présumé et qu’il aurait accepté de l’argent provenant de Russie. Cette décision s’est toutefois heurtée à une forte résistance au sein du parti, notamment de l’avant-garde activiste.

Krah est un homme de terrain. Par le passé, il a notamment été soutenu par l’Institut für Staatspolitik, un groupe de réflexion proche de la nouvelle droite en Saxe-Anhalt et qui a une influence considérable sur le parti. Le fait qu’il ne puisse maintenant même pas être membre de la délégation de l’AfD au Parlement européen ne fait qu’aggraver les choses. La décision revient certes aux nouveaux députés. Elle est toutefois également reprochée aux deux présidents.

Une nouvelle mise à plat ?

Cela pourrait poser problème à Weidel et Chrupalla. Mais il y a aussi un autre réseau influent qui voit d’un mauvais œil les agissements de la direction du parti. Il s’agit notamment de plusieurs députés, jeunes pour la plupart. Ils se plaignent depuis des mois de la désorganisation du parti, de sa grossièreté, surtout à l’extérieur, et de sa radicalité. L’erreur de Weidel et Chrupalla est d’avoir opté pour Krah, soutiennent-ils. Krah est une bombe à retardement ; il est imprévisible. On a maintenant « la chance » de pouvoir remettre les choses à plat, a déclaré Weidel lundi à Berlin. On pourrait notamment améliorer les « processus décisionnels » afin d’éviter de nouvelles erreurs. L’annonce d’une attitude plus modérée, d’une « melonisation » du parti, comme le redoutent certains ? Ou bien le point de départ d’une professionnalisation du parti, un point de passage obligé pour arriver au pouvoir, comme le pensent les autres ?

La fin de la direction à deux ?

Fin juin, l’AfD organisera son congrès fédéral à Essen, un nouveau bureau sera alors élu. Weidel et Chrupalla veulent rester présidents. Selon la Berliner Zeitung, une motion visant à imposer un secrétaire général dans les statuts du parti sera alors soumise au vote. Elle pourrait être adoptée lors de ce congrès, la modification s’appliquant à partir de 2025. L’idée semble soutenue par de nombreuses sections régionales.

Contrairement à d’autres partis, l’AfD n’a pas de secrétaire général. Ce dernier pourrait assurer les arrières de la direction fédérale, organiser, porter le travail du parti. Ou bien assurer ce travail pour un seul, une seule présidente. Ces dernières années, il a été souvent question d’un passage à une direction unique, en particulier au sein du groupe parlementaire fédéral.

La direction de la fraction est également assurée par Weidel et Chrupalla. En octobre 2023, une proposition en ce sens a échoué de peu. Du côté de l’AfD, on affirme que l’idée d’une direction unique a fait son chemin. Il est peu probable que la décision soit prise à Essen. Plutôt lors du congrès suivant, dit-on. Si tel devait être le cas, Weidel aurait actuellement de meilleures chances que Chrupalla. Elle est plus populaire à la base et plus à l’aise dans les milieux libéraux. « Le visage amical de l’AfD », c’est ainsi que la qualifie un membre du parti haut placé. Avec un secrétaire général à ses côtés, Weidel pourrait se concentrer davantage sur l’aspect représentatif. Elle n’est en effet pas connue pour ses talents d’organisatrice. « Je suis clairement partisan d’une direction unique », affirme Rüdiger Lucassen, député au Bundestag. Lucassen est porte-parole du groupe en charge de la politique de défense et milite en ce sens depuis longtemps. « Nous regrouperions ainsi les responsabilités au sommet et nous opposerions par ce biais à la formation de camps au sein même du parti ». Nous revaloriserions par la même occasion le rôle des adjoints. « L’élection d’un secrétaire général me semble également une bonne chose pour augmenter la force de frappe de l’AfD et envisager de participer au gouvernement », poursuit-il.

À l’AfD, on raconte : Aust a « un bel avenir »

Peu avant les élections européennes, un membre de l’AfD, inconnu du grand public, s’est fait une place sur le devant de la scène. René Aust, troisième sur la liste, a remplacé les têtes de liste Maximilian Krah et Petr Bystron. Bystron fait l’objet d’une enquête pour soupçon de corruption et de blanchiment d’argent. Aust est considéré comme un proche de Björn Höcke, chef de l’AfD en Thuringe. Certains le présentent même comme son fils adoptif. Il est plus modéré en public, a de la répartie et est bon orateur.

Bulletin de vote – élections européennes de 2024 (Copyright: Imago)

Lundi, les nouveaux eurodéputés de l’AfD ont élu cet homme de 37 ans à la tête de leur délégation. Jusqu’à présent, il était député du Land de Thuringe. Avec Aust au Parlement européen et Weidel, seule à la tête du parti, l’AfD pourrait emprunter une voie similaire à celle du Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella. Aust n’est certes pas président du parti mais il pourrait malgré tout en marquer l’image. Au sein de l’AfD, on raconte qu’il a « un bel avenir » et qu’il finira par sortir de l’ombre de Höcke. À moins que les fans de Krah continuent à s’acharner sur lui.

Cette contribution est une version abrégée d’un article publié dans la Berliner Zeitung le 12 juin 2024.

L’auteur

Maximilian Beer est rédacteur politique au Berliner Zeitung depuis 2022. Il a étudié les sciences politiques, la sociologie et la communication politique à Kassel et Düsseldorf. Après son stage, il a travaillé pour la Hessische/Niedersächsische Allgemeine et ntv.de.

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