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Coopération culturelle et artistique

Un (autre) « fantôme » de la coopération franco-allemande ?

Benoît Schuman

55ème Sommet franco-allemand. Remise des recommandations du HCCFA à Thierry de Beaucé et Lothar Späth; à gauche Jacques Morizet (Copyright: Archives de Paris/MEAE)

8 octobre 2024

Le Haut-Conseil culturel franco-allemand est largement oublié du monde des arts et encore davantage de la presse et de l’opinion. Malgré plusieurs tentatives de réformes, l’instance a perdu toute visibilité. La mise en œuvre de l’article 25 du traité d’Aix-la-Chapelle – qui prévoit l’examen périodique des organismes franco-allemands – pourrait sonner le glas du Haut-Conseil dans sa forme actuelle. Comment rebondir ?

La création du Haut-Conseil culturel franco-allemand HCCFA remonte à une initiative de Jacques Morizet, Ambassadeur de France à Bonn (1983-86). Le diplomate réussit à convaincre le Chancelier Helmut Kohl et le Président François Mitterrand de la nécessité de doter l’Allemagne et la France d’une instance de dialogue et de coopération dans le domaine de la culture et des arts. Le Traité du 22 janvier 1963 est en effet très « discret » sur cette question : s’il aborde la question du développement des relations bilatérales pour l’enseignement et la jeunesse, les contacts entre les sociétés civiles ne sont, eux, pas explicitement mentionnés. Le Traité limite par ailleurs la référence à la culture à un seul article. En raison des compétences des Länder, une formulation très prudente avait été choisie : « De même, le ministre français de l’éducation nationale rencontrera, suivant le même rythme, la personnalité qui sera désignée du côté allemand pour suivre le programme de coopération sur le plan culturel (…) » (article I, al. 3). L’idée d’un HCCFA paraissait alors pertinente pour accompagner la signature des deux Protocoles additionnels instituant respectivement le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS) et le Conseil économique et financier franco-allemand (CEFFA), intervenue le 22 janvier 1988 à Paris.

Les premiers pas du Haut-Conseil

Les fonts baptismaux du HCCFA se trouvent à Francfort. Dans la Déclaration qui y fut adoptée lors du 48e Sommet franco-allemand (27-28 octobre 1986), Kohl et Mitterrand avaient estimé que « les progrès enregistrés dans les échanges politiques, économiques et technologiques doivent s’accompagner d’un renforcement de la coopération culturelle. » Pour les deux hommes d’État, « c’est en se connaissant mieux que les deux pays approfondiront leur entente et leur amitié, gages de paix et d’union en Europe. Ils y parviendront s’ils savent reconnaitre les valeurs qui définissent leur identité, qu’elles appartiennent à l’histoire ou soient la marque de leur modernité. L’alliance des deux cultures est donc une exigence fondamentale. »

Le 22 janvier 1988, le 51e Sommet franco-allemand est conclu par une Déclaration annonçant la création du HCCFA. L’instance se voit confier pour mission « a) de susciter des activités culturelles, b) de présenter aux Gouvernements des propositions pour soutenir ces activités, c) de contribuer à ce que les informations essentielles à la coopération culturelle des deux pays soient réunies et rendues publiques pour les personnes intéressées. »

Échange de lettres concernant la création du HCCFA (Copyright: web.archiv.org)

Cette décision est formalisée par un échange de lettres entre les ministres français de la Culture et des Affaires étrangères, François Léotard et Jean-Bernard Raimond et le ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher. Le premier Président du HCCFA est le violoncelliste Siegfried Palm ; le sénateur Pierre Laffitte est nommé vice-Président. Quant à l’Ambassadeur Morizet, il se voit confier le poste de secrétaire général. Dans le même temps se développent des projets plus concrets, à commencer par ARTE (traité de Berlin, 2 octobre 1990) et l’Université franco-allemande (traité de Weimar, 19 septembre 1997).

compris financièrement) de nombreuses manifestations franco-allemandes, suscitant un certain agacement parmi les opérateurs habituels, en particulier l’Institut Goethe et l’Ambassade de France à Bonn. À partir de 2001, les « frictions » entre le HCCFA et les « caciques » du système perdent en intensité sous la présidence de Nele Hertling, ex-directrice du théâtre Hebbel de Berlin, de l’éditeur Alain Gründ, puis de Jacques Toubon (ancien ministre de la Culture). Durant cette période, le HCCFA se veut un « laboratoire d’idées » capable d’influencer les politiques culturelles et les échanges artistiques entre les deux pays. Nombreux sont pourtant ceux qui contestent sa légitimité, allant même jusqu’à préconiser sa suppression. Avec la disparition des « protecteurs » Kohl et Mitterrand, certains estiment que le HCCFA est superfétatoire et qu’il peut être dissout sans dommage pour la concertation bilatérale.

La réforme de 2010

Au vu des problèmes de fonctionnement du HCCFA (budget, participation des membres, programme d’activités), les gouvernements allemand et français s’accordent laborieusement pour une réforme a minima, craignant un signal négatif et des réactions acerbes de la part de la presse. La réforme est décidée, côté allemand, par le ministre délégué aux Affaires européennes, Günter Gloser, et le maire-gouverneur de Berlin Klaus Wowereit en tant que Plénipotentiaire (des Länder) pour les Relations culturelles bilatérales, et, côté français, Bruno Le Maire, (alors) Secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes. Elle a pour conséquence de réduire la composition du HCCFA à 12 personnalités représentant les secteurs du patrimoine, de la littérature, de la musique, des arts visuels, du cinéma, du spectacle vivant et des médias. Dans les faits, cette tentative de replâtrage reste vaine, les ambiguïtés concernant le rôle du Haut-Conseil n’étant pas levées :

  • Pour les uns, à commencer par le co-président Thomas Ostermeier (directeur de la Schaubühne de Berlin), l’attribution de subventions à des projets « interculturels » doit être maintenue et adaptée aux besoins grâce à la mise en place d’une Fondation. Elle pourrait collecter des ressources auprès de mécènes et les gérer en pleine autonomie ;
  • Pour les autres, dont Jacques Toubon, le HCCFA doit affirmer sa vocation politique passant par un Manifeste guidant l’action des autorités (financement public de la culture, droit d’auteur, fiscalité des biens culturels, éducation artistique et culturelle).

Cette dualité gêne considérablement le HCCFA qui parait alors englué dans ses contradictions et ses rivalités.

Le HCCFA sauve sa tête

A l’approche du 50e anniversaire du traité de l’Elysée, le HCCFA réussit à sauver sa tête du billot. Durant cette phase, la notoriété de Jacques Toubon s’avère déterminante pour assurer au HCCFA un certain rayonnement, notamment sur les sujets de droits d’auteur, la directive « Service Media Audiovisuel », la fiscalité du livre numérique et l’impact du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTVI). L’Allemagne est toutefois agacée par cet engagement individuel et reste quelque peu en retrait face aux initiatives du Président Toubon. En 2015, l’arrivée de Catherine Trautmann, ancienne ministre de la Culture (1997-2000) illustre la volonté de Paris de conserver une prééminence politique au sein du HCCFA ; elle donne aussi le sentiment d’un « recyclage », d’autant plus que Catherine Trautmann traverse alors une passe difficile à Strasbourg (dont elle fut maire de 1989 – 1997, puis de 2000-2001). Le Secrétariat général est dorénavant implanté à Sarrebruck et assuré conjointement par la Fondation pour la coopération culturelle franco-allemande (Deutsch-französische Kulturstiftung), et le Consulat général de France (en tant qu’antenne de l’Institut français d’Allemagne). Le HCCFA ayant perdu ses moyens d’intervention sur le terrain, sa fonction n’a plus rien à voir avec les origines où l’Ambassadeur Morizet voulait être un « coordonnateur culturel » pour les deux pays.

Jacques Toubon au Forum de Chaillot, 1986 (Copyright: Wikimedia Commons)

Requiem pour le HCCFA ?

Dans les années 2020, le HCCFA élargit ses réflexions sur de nombreux sujets. Les discussions portent notamment sur l’évolution d’ARTE, la mise en place d’un Pass culture dans chaque pays, la recherche de provenance (période coloniale et nazisme) et le soutien aux industries culturelles et créatives. Ce faisant, le HCCFA prend le risque de « piétiner » les compétences de l’Institut français d’Allemagne et de ses interlocuteurs aux niveaux fédéral et régional (ministre délégué à la Culture et aux Médias, rattaché à la Chancellerie). Son intérêt pour l’action menée par les Instituts et Centres culturels allemand et français implantés dans les principales villes des deux pays reste très limité.

Le chapitre 3 du traité d’Aix-la-Chapelle porte bien le titre « culture, enseignement, recherche et mobilité ». Il n’y est cependant pas fait mention du HCCFA, contrairement à l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) et l’Université franco-allemande (UFA). Juridiquement, la création de ces deux institutions fait l’objet d’accords internationaux et non d’un simple échange de lettres. Quoi qu’il en soit, seule une portion congrue échoit à la culture, avec un article 9 qui se contente d’affirmer que « les deux États reconnaissent le rôle décisif que jouent la culture et les médias dans le renforcement de l’amitié franco-allemande. En conséquence, ils sont résolus à créer pour leurs peuples un espace partagé de liberté et de possibilités, ainsi qu’un espace culturel et médiatique commun. Afin de favoriser des liens toujours plus étroits dans tous les domaines de l’expression culturelle, notamment au moyen d’instituts culturels intégrés, ils mettent en place des programmes spécifiques et une plate-forme numérique destinés en particulier aux jeunes. » Ces objectifs sont loin des activités du HCCFA, sans véritable plus-value conceptuelle ou opérationnelle sur les thèmes identifiés par l’accord.

L’article 12 précise que « les deux États instituent un Fonds citoyen commun destiné à encourager et à soutenir les initiatives de citoyens et les jumelages entre villes dans le but de rapprocher encore leurs deux peuples. » La gestion de ce fond est confiée à l’OFAJ (et non au HCCFA), ce qui fait courir le risque d’une « phagocytassions » par l’Office, au profit des bénéficiaires habituels de son soutien ! Avec un budget de 6 millions d’Euros en 2023, l’enjeu n’est pas négligeable. Parallèlement, plusieurs instituts culturels « franco-allemands » sont inscrits sur la liste de 15 projets prioritaires approuvée à Aix-la-Chapelle : les deux pays s’engagent à la création de 4 instituts culturels intégrés (Rio, Palerme, Erbil, Bichkek) et à la co-localisation de 5 autres instituts (Cordoba, Atlanta, Glasgow, Minsk, Ramallah).

Catherine Trautmann avec Martin Schulz et Julius G. Luy, Strasbourg, 11 mars 2015 (Copyright: Wikimedia)

À Aix-la-Chapelle, rien n’a été dit sur le rapprochement des Instituts et Centres culturels français en Allemagne avec les Instituts Goethe en France, alors qu’une telle synergie pourrait être particulièrement féconde. Au contraire, en 2023, l’Institut Goethe a fermé ses établissements à Lille, Strasbourg et Bordeaux, suscitant de vives réactions dans les milieux franco-allemands et auprès des collectivités territoriales concernées. Cette lacune est incompréhensible alors qu’une « articulation » entre les Instituts Goethe et les Instituts français pourrait renforcer leur attractivité (tant pour le public que les sponsors). Ces « jumelages » pourrait également générer de nouveaux flux d’échanges, en valorisant la diversité régionale et les expériences locales. Le faible écho rencontré par les prix franco-allemands (prix Franz Hessel, prix franco-allemand du journalisme, prix Rovan) constitue un autre échec, aboutissant à des « micro-événements » dans l’indifférence générale.

Comment rebondir ?

La transformation du HCCFA en Haut-Conseil pour la coopération culturelle franco-allemande pourrait être un objectif des deux États en 2025. Pour éviter les errements du passé, une rénovation structurelle serait nécessaire ; cette réforme exige les mesures suivantes :

  • approbation d’un nouveau mandat et fixation de règles de gouvernance précises ;
  • institution d’une procédure de dialogue régulier avec les deux gouvernements ;
  • adoption de critères d’évaluation sur l’action du HCCCFA ;
  • mise en place d’un Secrétariat général unifié.

Le Haut-Conseil devrait en outre être doté de la personnalité juridique et d’un budget propre, permettant le recrutement du personnel et l’organisation de manifestations public pour promouvoir ses objectifs.

Sa composition devrait être élargie pour revenir à 20 membres, le collège actuel étant fixé à 12. Pour gagner en représentativité, elle devrait inclure les institutions suivantes :

  • députés de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (2) ;
  • Institut Goethe (en France) et Institut français (en Allemagne), avec 1 pour chaque entité ;
  • FAFA/VDFG (2) ;
  • OFAJ (1) ;
  • Université franco-allemande (1).

Cette transversalité faciliterait un dialogue direct entre les professionnels de la culture (Haut-Conseil actuel) et les services administratifs, sans porter atteinte à l’autonomie fonctionnelle du HCCCFA. De plus, l’inclusion de responsables politiques permettrait d’obtenir les crédits souhaités pour le fonctionnement du HCCCFA.

Le mandat du Haut-Conseil (qui serait défini par un nouvel échange de lettres) pourrait comporter les missions suivantes :

  • répondre aux demandes d’avis présentées par les deux gouvernements, ainsi que par d’autres acteurs publics et privés ;
  • soutenir la mise en réseau des établissements d’enseignement professionnel (beaux-arts, journalisme, métiers du patrimoine, etc.) ;
  • encourager les jumelages des sites UNESCO des deux pays, avec une possible ouverture vers les États voisins (itinéraires culturels européens) ;
  • proposer des réformes nationales pour stimuler des initiatives culturelles croisées (déductibilité fiscale).

En outre, le HCCCFA serait chargé de la gestion du Fonds citoyen instauré par le traité d’Aix-la-Chapelle (art. 12). Il devrait également apporter son expertise au « pilotage » du Fonds franco-allemand dans les pays tiers ; il pourrait être impliqué dans la sélection des lauréats des prix franco-allemands existants (prix De Gaulle-Adenauer, etc.) pour contribuer à leur rayonnement. Enfin, si ses ressources le permettent, il attribuerait son « label » (et une éventuelle aide financière) à des événements touchant le grand public (expositions, concerts, salons, etc.).

Au service d’un espace franco-allemand intégré, le HCCCFA ne sera pas une instance « hors sol » puisqu’il associera sur un pied d’égalité acteurs culturels, économiques, publics et privés. Pour tous, sa plus-value résidera dans le « jardinage » de la créativité artistique et du pluralisme démocratique en Europe.

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