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Écarts de langage ?

Invasions, incursions, migrations

Gérard Foussier

© Gérard Foussier

28 mars 2023

Il est amusant de constater que plusieurs communes et hameaux de France, lieux-dits, fermes, bois, rivières et champs portent, aujourd’hui encore, un nom qui évoque l’Allemagne et les Allemands. Beaucoup d’exemples montrent l’importance de la symbolique, mais il y a aussi tous ces malentendus involontaires qui font que Français et Allemands donnent trop souvent l’impression de ne pas se comprendre.

Combien de fois les Français n’ont-ils pas haussé les épaules d’incompréhension en apprenant que le Débarquement de juin 1944, celui auquel la France a donné une majuscule pour mieux en souligner le caractère historique, se traduisait en allemand par…Invasion ? Bien sûr, on parle aussi de D-Day, un terme utilisé pour la première fois en septembre 1918. Il s’agissait de l’assaut sur la localité de Saint-Mihiel en Lorraine, alors occupée par les troupes allemandes. Ce fut la première bataille américaine en Europe. Mais que ce soit dans les livres expliquant la Seconde Guerre mondiale aux petites têtes blondes d’Allemagne ; que ce soit dans les journaux ; que ce soit même dans le discours politique : Invasion envahit le vocabulaire historique, malgré la définition donnée par les dictionnaires. Et là, pas question de faux amis : le mot a la même signification dans les deux langues, sans nuance aucune. C’est donc comme si la France avait été envahie ce jour-là par des troupes étrangères. Comme si la France avait, de 1940 à 1944, légitimement fait partie du Troisième Reich. Pire, le Brockhaus, l’un des dictionnaires de référence des Allemands (avant qu’Internet ne fasse concurrence aux volumineux tomes de ces encyclopédies, abandonnées depuis 2014), ne se contente pas d’une définition, qui pourrait être la traduction littérale du Larousse (« Invasion : pénétration ennemie dans un territoire étranger »). Il ajoute : « par exemple l’invasion alliée de 1944 ». C’est écrit noir sur blanc.

Que ceux, en France, qui reprocheraient aux Allemands un écart de langage, lorsqu’ils parlent d’invasion à propos du débarquement allié, prennent garde. Il ne faut pas oublier en effet que dans l’histoire de ce monde, un grand chapitre est généralement réservé à ce que l’on appelle communément en Allemagne la Völkerwanderung, la migration de peuples. Plus connues en France sous le titre de…grandes invasions.

Une lente infiltration ?

Fustel de Coulanges en est convaincu : « Les Germains ne s’emparèrent pas du sol, et les Gaulois conservèrent leurs propriétés et leur liberté civile ». L’historien du XIXe siècle préfère parler de « rencontre », de « lente infiltration », plutôt que de conquête ou d’invasion par des armées régulières. « Ces Germains établis chez nous étaient en fort petit nombre : ils auraient voulu dépouiller les anciens habitants qu’ils ne l’auraient pu », écrit-il encore notamment son Histoire des institutions politiques de l’ancienne France. Parler d’invasion dans ce contexte serait donc abusif. Il s’agissait, avant tout, de migrations accompagnées d’une installation de ces peuplades en terre romaine. Avec pour conséquence que pour la première fois depuis l’invasion gauloise de 390 avant Jésus-Christ, les Wisigoths parviennent en 410 après J.-C. à piller Rome, contraignant les Romains à renforcer leurs troupes en déplaçant les forces implantées le long du Rhin. Le chemin vers la Gaule, puis vers l’Espagne était alors libre pour les Vandales, les Suèves et les Alains, suivis rapidement par les Francs et les Burgondes. En 451, Romains et Barbares installés en Gaule s’unissent pour s’opposer, avec succès, à Attila, le roi des Huns. En récompense, les tribus rassemblées en principautés, se partagent l’Empire : les Wisigoths dominent la Méditerranée occidentale, les Burgondes s’installent du Lac de Genève jusqu’à Lyon et les Francs occupent la Belgique et les Pays-Bas d’aujourd’hui, jusqu’à la Somme – trois royaumes romano-barbares qui signent en 476 la fin de l’Empire romain d’Occident.

© Gérard Foussier

L’historien Augustin Thierry expliquait dans son Récit des temps mérovingiens en 1840 que « si la révolution communale date du XIIe siècle, le régime municipal auquel elle se rattacha et qu’elle reproduisit remonte à la domination romaine ». Les invasions ont favorisé en quelque sorte le développement démocratique de la commune. Dès le IVe siècle, le principe du défenseur était devenu une institution qui donnait au peuple un représentant, ce qui a permis de déposer « un germe de démocratie dans le régime aristocratique ». Augustin Thierry poursuit : « L’invasion barbare trouva dans chaque cité de la Gaule deux pouvoirs, celui de l’évêque et celui du défenseur, tantôt d’accord, tantôt en concurrence ».

Des influences diverses

Des nuances s’imposent bien évidemment : une distinction géographique d’abord, avec des influences diverses selon les régions, plus germaniques au nord, plus franques au sud de la Loire ; une distinction linguistique, ensuite, avec l’apport de dialectes et d’accents régionaux ou locaux ; une distinction dans le temps également ; enfin, une distinction entre villes et villages, plus encore entre villes et hameaux devenus des lieux-dits isolés dans les campagnes.

Toutes les occupations, toutes les incursions n’ont pas été pour autant un enrichissement. Tous les occupants étrangers, tous les envahisseurs n’ont pas apporté – peu s’en faut – le bonheur et la prospérité aux Français.

© Gérard Foussier

Il y a ceux qui passent : les touristes par exemple qui veulent découvrir les richesses et l’originalité d’un pays qui suscite la curiosité, les représentants de certaines firmes internationales, aussi, qui veulent conquérir des parts de marché, ou encore les demandeurs d’asile qui souhaitent jouir de la paix et de la sécurité (parfois dans l’espoir de retrouver le pays qu’ils ont fui) quand la guerre sera terminée. Tous ont une influence incontestable : linguistique (et même gastronomique surtout quand les restaurants et les hôtels veulent faciliter le contact avec ces « visiteurs »), économique et financière quand il y va de la compétitivité des entreprises ; sociale, enfin, quand il s’agit de gérer l’intégration de cultures différentes. Il y a ceux qui restent : ce sont parfois les mêmes, comme ces touristes qui tombent amoureux de la France et décident de finir leurs jours à Paris, sous le soleil de Provence, dans la campagne normande ou languedocienne. Plus complexe reste la présence de réfugiés dès lors qu’ils choisiraient pour mode de vie le leur, celui de leur pays d’origine. L’équation entre tolérance et refus, entre dialogue et exclusion, entre échanges et communautarisme est difficile à résoudre. Tout comme l’était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale le désir – d’abord minoritaire – de trouver les voix de la réconciliation avec l’Allemagne. Il n’était pas évident de faire passer deux peuples du statut d’« ennemis héréditaires » à celui d’« amis héréditaires ». La manipulation génétique semble avoir fonctionné. Cela n’exclut toutefois pas différences et divergences.

L’auteur  

Licencié d’allemand à l’université de sa ville natale Orléans en 1969, Gérard Foussier a découvert sa passion pour les relations franco-allemandes grâce au jumelage avec Münster en Westphalie. Après une formation de journaliste au quotidien Westfälische Nachrichten, il a travaillé pendant trois décennies à la radio allemande Deutsche Welle à Cologne puis à Bonn, avant d’être élu en 2005 président du Bureau International de Liaison et de Documentation. Rédacteur en chef de la revue bilingue Dokumente/Documents pendant 13 ans, il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages. Son dernier livre, Allemanderies, est sorti en janvier 2023. Il détient la double nationalité et est détenteur de l’Ordre du Mérite allemand (Bundesverdienstkreuz).

Pour aller plus loin

– Gérard Foussier : Allemanderies – les racines « barbares » de la France, Paris, éditions Vérone, 2023

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2 Kommentare/Commentaires

  1. Mais pas comme « ennemis »!!! En Normandie!! Et en Provence!! Ne défendez pas un choix de mots qui n’est pas à défendre.

  2. Les Américains et les Anglais ont effectivement débarqué en terres étrangères : de fait, c’est bien une invasion 🙂

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