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Mots de l’année

Perdu en 2020

Romain Michelot

© pogonici, Shutterstock

30 novembre 2020

Les jeunes allemands l’ont élu : Lost – qui signifie littéralement être perdu, sans projet, abandonné – est leur mot de l’année. Une élection faite pour et, de manière inédite, par les jeunes, qui demeure méconnue en France.

Absente en 2019 pour des raisons éditoriales, l’élection du Jugendwort des Jahres (le mot de l’année des jeunes) a fait son grand retour cette année. Organisée comme auparavant par l’éditeur Langenscheidt, elle s’ est tenue à Stuttgart, dans le Bade-Wurtemberg.

Réflexion sur la langue et son usage

Chaque année, un mot présent dans le langage des jeunes est élu en fonction de son utilisation, de sa présence dans le milieu musical, social, artistique et politique en Allemagne. Son usage massif au quotidien n’est pas pour autant gage de victoire mais l’élection permet avant tout une réflexion critique sur la langue et son usage.

Jusqu’ici, le mot de l’année des jeunes avait toujours été désigné par un jury composé d’écrivains et de journalistes d’un côté et de linguistes de l’autre. Nouveauté cette année : ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont voté en ligne. Ils avaient d’abord pu émettre leurs propositions jusqu’à août, avant que le jury ne désigne les dix termes finalistes. Le public composé de jeunes avait alors la main pour désigner le terme vainqueur jusqu’au 15 octobre.

Lost, Cringe, Wild

Le terme Lost, traduisant littéralement une situation d’inconnu, un sentiment de solitude, a récolté plus de 48 % des suffrages. Si Lost a remporté la majorité des votes, c’est sans aucun doute dû au contexte de pandémie que l’Allemagne et le reste du monde traversent. Dans l’anglicisme du mot allemand verloren se traduit parfaitement le climat d’incertitude et le manque d’orientation qui règnent.

En 2020, les trois mots gagnants sont des anglicismes, qui font par ailleurs souvent partie des mots de l’année des jeunes : après Lost, il s’agit de Cringe et Wild (aussi écrit Wyld). Cringe traduit une situation gênante, embarrassante dans laquelle on se sent mal à l’aise. Wild/Wyld témoigne d’un événement surprenant, une situation folle, qui provoque des réactions.

Discriminations et disqualifications

Outre la très grande présence d’anglicismes dans les finalistes de l’édition 2020 du mot de l’année des jeunes, les termes proposés ont parfois suscité l’incompréhension des organisateurs. Bien avant la victoire de Lost, le jury de professionnels du domaine culturel avait disqualifié le mot Hurensohn (« fils de pute ») qui ne figurait donc pas sur la liste des mots finalistes.

Pointant le caractère discriminant du juron, l’édition Langenscheidt avait également fait part de son incompréhension concernant le terme Mittwoch (mercredi) qui est toute une histoire. Celui-ci a notamment été relayé par la communauté d’abonnés à la page Instagram de Stramme Memes & Aufkleber. Les mèmes, ce sont ces éléments culturels repris sur Internet, souvent humoristiques et largement relayés sur les réseaux sociaux, surtout chez les jeunes.

Au-delà de la blague de faire paraître Mittwoch dans la liste des mots de l’année chez les jeunes, la présence de ce terme souligne l’affirmation de ce concours comme contre-langage du langage des adultes. Depuis la création du mot de l’année des jeunes en 2008, le terme qui l’emportait était toujours désigné par un jury de professionnels, dans lequel la présence des jeunes était limitée.

Une élection pour et par les jeunes

L’élection avait déjà été critiquée à ce propos en 2015 lorsque Smombie l’avait emporté. Ce mot est en fait la contraction des deux termes smartphone et zombie et caractérise une personne qui passe un temps excessif devant son écran de téléphone portable. Surtout, ce mot n’était absolument pas utilisé par les jeunes, ce qui avait souligné la déconnexion du jury avec leur communauté.

Après la victoire de Ehrenmann/Ehrenfrau (homme d’honneur / femme d’honneur) en 2018, l’éditeur Langenscheidt – pour qui l’élection serait un bon coup de marketing selon les critiques – avait décidé de modifier les critères d’élection du Jugendwort des Jahres, de manière à ce que le mot de l’année des jeunes soit fait pour eux mais surtout par eux-mêmes.

Avec certaines exceptions.

Mot et non-mot de l’année

Le choix du mot de l’année (Wort des Jahres) par la Société pour la langue allemande Gesellschaft für deutsche Sprache (GfdS) à Wiesbaden a toujours lieu fin novembre. L’édition 2020 a désigné Corona-Pandemie qui, selon le jury, est « la plus grave crise depuis la Seconde Guerre mondiale ». En outre, ce mot « a conduit à l’apparition de nombreuses nouvelles expressions » comme Corona-Krise, coronabedingt (à cause du Covid), etc.

En France, ce sont les équipes des Éditions Le Robert et celles de l’Oulipo qui ont élu les mots de l’année 2020 (cf. le « dicovid »).

L’action linguistique Unwort des Jahres choisit quant à elle le non-mot de l’année – selon les critiques toujours « politiquement correct », au même titre que le mot de l’année et le mot de l’année des jeunes. En 2020, elle a designé pour la première fois deux non-mots, afin de ne pas se limiter à la pandémie : Corona-Diktatur (dictature du coronavirus) et Rückführungspatenschaften (parrainage de renvoi d’un migrant dans son pays d’origine).

L’expression Corona-Diktatur est massivement relayée par les réfractaires des gestes barrières et autres mesures sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Parmi eux les milliers de manifestants « anti-masques » en Allemagne qui jugent les mesures fédérales liberticides.

L’expression Rückführungspatenschaften est quant à elle utilisée dans le cadre de la réforme de la politique migratoire de l’Union européenne. Employée sur un ton cynique, elle a trait au « mécanisme de solidarité obligatoire » forgé en septembre 2020 par Bruxelles. Pour soutenir les pays qui accueillent les migrants à leur arrivée – comme l’Italie, Malte ou l’Espagne par exemple – les autres pays de l’UE, y compris les pays réfractaires à l’accueil de migrants, devront « parrainer » économiquement et logistiquement le renvoi de migrants dans leur pays d’origine. L’expression est utilisée notamment par les mouvements anti-migrants pour critiquer le mécanisme.

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