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Chancellerie allemande

Course ouverte

Hélène Kohl

Armin Laschet, © CDU, Laurence Chaperon

21 avril 2021

Ce n’est qu’un sondage mais il a eu l’effet d’un coup de tonnerre. Le 20 avril, quelques heures après l’annonce de la candidature d’Armin Laschet pour la CDU-CSU, l’institut Forsa révélait une chute de 7 points pour le camp conservateur (à 21 %). Les Verts à 28 % étaient propulsés première force politique d’Allemagne.

Dans la même soirée, un autre sondage (Insa) présentait des résultats opposés, signe que la course à la chancellerie va se jouer dans un suspense inédit.

En effet, malgré toutes les turbulences, Armin Laschet, 60 ans, reste le favori dans la course à la succession d’Angela Merkel. Le Merkelien serait en mesure de quitter Düsseldorf où il gouverne la Rhénanie-du-Nord-Westphalie et accéder à la chancellerie fédérale à Berlin. Mais désigné candidat de la famille conservatrice au prix d’un bras de fer fratricide avec Markus Söder le ministre-président de la Bavière et patron de la CSU (Union Chrétienne Sociale), le président de la CDU (Union Chrétienne Démocrate) entre en campagne affaibli.

Guerre d’égo

La droite allemande a souvent connu ces guerres d’ego entre barons régionaux. Mais elle a longtemps pu compter sur Angela Merkel, qui sifflait toujours la fin de la récréation. Or, lors de la réunion de crise du bureau fédéral élargi de la CDU, la chancelière a écouté, sans mot dire, sa famille régler ses comptes pendant sept heures sous l’œil de toute la presse politique ! Les participants ne se sont pas privés pour alimenter les comptes twitter des journalistes, avec des petites phrases assassines sur l’un ou l’autre des prétendants. Le lendemain, le camp des opposants à Laschet a fait allégeance. Face caméra Markus Söder a assuré Armin Laschet de son soutien total : « Seule une Union en rang serrée peut avoir du succès. Nous ne voulons pas de divisions. » Mais pour combien de temps ?

La séquence est désastreuse à cinq mois des élections le 26 septembre 2021. Derrière l’arbre Merkel, il n’y a pas de forêt : les conservateurs n’ont pas de leader naturel et ils peinent à proposer un nouveau projet. La crise du coronavirus a écorné leur réputation de compétence. S’ajoute un scandale de corruption qui touche autant la CDU que la CSU. Cette semaine, de nouvelles révélations sur les montants touchés par certains députés lors de transactions pour des achats de masques au début de l’épidémie (des commissions de plus de 10 millions d’euros) sont venues raviver le souvenir de l’affaire des caisses noires sous Helmut Kohl.

Une alliance noire-verte ?

Elu président de la CDU en janvier seulement, Armin Laschet sera-t-il un capitaine solide dans la tempête ? Non, répondent les Allemands : 15 % seulement le verraient volontiers chancelier (sondage Forsa du 20 avril). Depuis un an, son image de décideur aguerri s’est fracassée sur le mur des réalités de la gestion épidémique. Trop tardif à reconnaitre le danger du virus, trop souvent réticent à suivre la ligne prudente de Berlin, systématiquement à contre-temps…

Le petit homme rond appartient au camp des modérés. Son grand sens du compromis offre de multiples possibilités d’alliances aux conservateurs. Laschet pourra tendre la main aux Libéraux (avec qui il gouverne en Rhénanie-du-Nord-Westphalie) autant qu’aux Verts qu’il fréquentait déjà dans les années 90 à Bonn quand il était député. Ils refaisaient le monde dans une trattoria. Cette « pizza connexion » fantasmait sur une alliance noire-verte pour l’Allemagne. Les sondages en font la majorité la plus probable après les élections.

Annalena Baerbock, © gruene.de

A moins que les écologistes n’inversent le rapport de force. Leur candidate Annalena Baerbock, 40 ans, coche toutes les cases de la candidature de rupture. Les Verts l’ont désignée « joyeusement et souverainement », selon Robert Habeck, son binôme à la tête du parti qui s’est effacé à son profit. Comme une image en négatif de l’histoire chaotique du mouvement post-68, désormais métamorphosé en appareil sérieux et discipliné. « Avec Baerbock, les Verts ont choisi quelqu’un qui sera plus qu’un spécialiste des questions climatiques », note le chercheur et politologue Michael Lühmann. « Ils ont fait le pari de la chancellerie et avancent stratégiquement avec une candidate reconnue pour son sens des détails et sa force de travail ». Parmi les chantiers qu’elle a évoqués dans son premier discours de candidate, elle cite d’abord la question des soignants, puis celle des écoles et des crèches.

Il y a de la Merkel en elle, note un conservateur de son âge. D’ailleurs, les deux femmes ont souvent été vues en train de discuter en marge des sessions du Bundestag. D’autres la comparent à Hermione Granger, la sorcière surdouée des romans d’Harry Potter. Pour Michael Lühmann, « il y a beaucoup d’attentes autour de sa personne », elle risque de décevoir lors de la campagne. Elle sera aussi attaquée sur son manque d’expérience : elle n’a jamais exercé le pouvoir, même au niveau régional. Spécialiste du droit international, passée par la London School of Economics, elle a été assistante d’une députée européenne. Elue au Bundestag depuis 2013, Baerbock est sortie de l’ombre en devenant co-présidente du parti en 2018. L’ancienne championne de trampoline a réussi ce que personne ne pensait possible : elle a réconcilié les deux ailes écologistes, faisant des Verts un grand parti incontournable. Actuellement aucune majorité n’est possible sans leur participation.

« Je ne suis pas trop vieille, ni trop jeune » a encore argumenté la mère de deux fillettes, soucieuse de se positionner au centre du jeu. La famille réside à Potsdam, la capitale du Brandebourg, où elle affrontera dans un combat singulier une autre tête de liste, Olaf Scholz, du SPD (parti Social Démocrate) et représentant d’une classe d’âge que la « Génération Annalena », pour reprendre le titre du journal libéral Welt, entend remplacer.

Olaf Scholz, © Bundesministerium der Finanzen

« Olaf Scholz est vice-chancelier, membre éminent de la Grande Coalition. Il incarne qu’il le veuille ou non une forme de continuité. Quand Annalena Baerbock accuse le gouvernement de naviguer à vue, il est aussi visé », note la journaliste politique Nicole Diekmann. Le ministre des Finances a été le premier à se déclarer candidat dans la course à la succession d’Angela Merkel, au cœur de l’été 2020. L’effet de surprise n’a pas permis au SPD de prendre de l’avance. Le plus vieux parti d’Allemagne est stable autour de 15-16 %, un niveau historiquement bas. Les électeurs ont de quoi s’y perdre. En élisant fin 2019 un duo issu de l’aile la plus à gauche du parti, le SPD a amorcé un virage plus social – mais se désigne un candidat qui symbolise la coopération avec la droite. Néanmoins, à la faveur de la crise sanitaire, Olaf Scholz a renié le « Schwarze Null » de son prédécesseur Schäuble. Au niveau européen, il a été l’un des artisans du plan de relance historique.

Le candidat Scholz traîne aussi des casseroles. Sa gestion musclée du G20 de 2017 à Hambourg, dont il était maire, a contrarié la gauche radicale. Surtout, il est mêlé, indirectement, à deux scandales financiers : l’affaire d’évasion fiscale Cum Exx, lorsqu’il dirigeait la cité-état portuaire, et l’éclatant désastre Wirecard en tant que ministre fédéral des Finances. Il a été soupçonné d’avoir été au courant de l’escroquerie ou du moins de ne pas avoir pris la mesure des signaux d’alerte.

Le scénario de succession d’Angela Merkel

Le scénario de succession d’Angela Merkel n’est pas écrit d’avance. Le recentrage de la campagne, avec les candidatures de Laschet et Baerbock, va-t-il avoir des conséquences aux extrêmes ? Die Linke devrait rester stable sous les 10%. L’AfD en pleine radicalisation ne compte plus sur le réservoir de voix des déçus de Merkel. Mais en niant le réchauffement climatique et repoussant toutes les mesures anti-corona, elle espère capitaliser sur le mouvement Querdenker et le rejet des thèses écologistes. Actuellement les « bleus » sont à 10-12 % dans les sondages, au même niveau que les Libéraux. Le FDP pourrait tirer profit de la faiblesse des conservateurs. Il se voit déjà en force d’appoint dans plusieurs hypothèses de coalition à trois partis. A cinq mois des élections, tout reste possible.

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