Néonazis
Si loin, si proches
30 avril 2021
Après la mort d’Adolf Hitler le 30 avril 1945, les ruines fumantes du nazisme s’éteignent doucement, le national-socialisme allemand s’achève comme il a commencé : dans le sang, les larmes et la poussière. Renaît-il au 21e siècle – en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe ?
On apprendra plus tard que des scientifiques allemands seront discrètement transférés dans des centres de recherches américains, et que des dignitaires nazis, dernières poussières d’un empire sombre, auront eu le temps de s’échapper vers l’Amérique du Sud, voire même se fondre dans la population allemande de l’après-guerre.
Pourtant comme un écho sombre de cette tragédie, des actualités et des enquêtes journalistiques récentes font état de filières néonazies, au sein même de l’État et des forces de sécurité chargées de défendre nos démocraties ; en Allemagne, en France et dans d’autres pays d’Europe
Le procès du NSU
Après plus de 400 jours d’audience s’achève à Munich en juillet 2018, un des plus grands procès de l’histoire moderne de la justice allemande. Pendant plusieurs mois à l’image des plus grands thrillers hollywoodiens, s’est tenu le procès du NSU (Nationalsozialistischer Untergrund).
Le NSU c’est ce petit trio de forcenés néonazis qui de 1998 à 2011 a attaqué des banques, posé des bombes et surtout assassiné dix personnes, disséminées sur tout le territoire allemand, dont neuf issues de l’immigration turque et grecque (la 10e personne étant une policière allemande).
Ce procès qui a vu Beate Zschäpe, l’unique survivante du groupe, être condamnée à la prison à vie, était également celui de la police et des services de renseignements allemands. Comment des personnes connues des services de police ont pu aussi longtemps perpétrer leurs crimes ? Manque de communication entre services ? Racisme ? Ou bien plus tragiquement complaisance policière vis-à-vis de l’extrême-droite ? Tout, ou presque, a été dit durant de ce procès.
D’abord guidés par des préjugés racistes, les policiers se focalisent sur l’origine des victimes et voient derrière les meurtres, des règlements de comptes entre immigrés. Les médias prennent le relais et en rajoutent; on parle des « meurtres Döner » (Döner- Morde).
Alors que les armes sont toujours les mêmes, aucun lien autre que mafieux n’est exploré; les victimes d’origine immigrée sont désignées coupables. Malgré de gros moyens déployés, jamais l’enquête de police ne s’approchera du groupuscule; les deux hommes du trio, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, trouvent la mort le 4 novembre 2011 dans l’explosion de leur cachette. Beate Zschäpe se rend à la police quelques jours plus tard.
En 2013 au moment du procès, les familles des victimes découvrent horrifiées que les services de renseignement avaient dès 1998 identifié le trio et signalé un groupuscule glissant dangereusement vers un terrorisme d’extrême droite. Des agents des services de renseignements infiltrés auraient même été présents lors d’un des actes criminels du trio.
On apprend encore que des dossiers liés à l’enquête ont disparu, ont été détruits, en 2012 après les révélations sur le groupe et peu de temps avant le procès. La classe politique est sidérée, des hauts responsables des services de police ou de renseignement démissionnent, Angela Merkel s’excuse et promet la lumière…
Au sein du KSK, des policiers et pompiers
En juillet 2020 un article du New York Times saisit de stupeur l’Allemagne : au sein des services d’élite de l’armée allemande Bundeswehr, le célèbre KSK (Kommando Spezialkräfte), une filière néonazie s’est constituée. Des échanges de mails, des groupes de parole se sont créés associant des membres des services de renseignements et de la police allemande. Sur fond de croix gammée, on y parle d’immigrés, de juifs et d’un Coup d’Etat en préparation. L’article cite un officier retraité du KSK qui compare son ancienne unité à la Waffen SS.
Les autorités allemandes, alertées avant la sortie dudit article, avaient déjà enclenché des enquêtes. Des caches d’explosifs et d’armes sont découvertes, des mises en examen sont prononcées ; la ministre allemande de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer décide de frapper plus fort encore en prononçant la dissolution de l’unité incriminée et en reprenant la main sur le commandement de ses soldats d’élite.
Encore, quelques semaines plus tard, en septembre 2020, ce sont cette fois des policiers de Rhénanie-du-Nord–Westphalie (NRW) qui font l’actualité. Une trentaine d’entre eux échangeait passionnément depuis près d’une dizaine d’années des photos racistes, des discours se réclamant clairement du nazisme. Ils seront tous licenciés. Ceux-ci viennent s’ajouter à la centaine de policiers fervents de l’idéologie nazie et qui depuis 2018 en Hesse ou depuis 2019 en Bavière font l’objet d’enquêtes internes.
Même les pompiers sont gangrénés par ce fléau néonazi. Le président de la fédération des pompiers d’Allemagne s’en inquiète, il s’en ouvre à la presse et se retrouve harcelé de mails et de menaces. Il démissionne quelques jours après ses déclarations.
L’assassinat de Walther Lübcke
C’est dans ce contexte délétère et hypra violent que viennent s’inscrire plusieurs attentats racistes, mais notamment ceux de Hanau en 2020, ainsi que celui perpétré contre le préfet Walther Lübcke quelques mois auparavant.
Fervent partisan de la chancelière Angela Merkel et de son programme d’accueil des migrants, Walther Lübcke cristallise la haine des milieux néo-nazis particulièrement depuis octobre 2015 et une réunion publique durant laquelle il enjoint les personnes qui ne soutiennent pas ce programme d’accueil humaniste, à quitter le pays…
Il devient aussitôt la cible récurrente de menaces de mort, notamment des nombreux groupuscules de la scène néonazie allemande. Paradoxalement, il ne fait l’objet d’aucune protection particulière. Aussi lorsque le 2 juin 2019 il est retrouvé inanimé sur son balcon après avoir été touché à la tête par une balle de pistolet, les premières enquêtes ne se dirigent pas vers ces menaces de mort. Ce sont les traces ADN trouvées sur place qui vont amener la police à soupçonner Stephan Ernst.
Celui-ci fréquente les milieux néo-nazis et a depuis l’âge de 15 ans acquis une longue expérience de violence à l’égard notamment des immigrés résidant en Allemagne (tentative d’incendie d’un foyer, attaques d’immigrés, opération de coups de poing contre les syndicats, etc.). La police a cependant cessé toute surveillance le concernant depuis 2009 alors qu’il était déclaré quelque temps auparavant « hautement dangereux ».
Le 25 juin 2019, il avoue le meurtre du Préfet Lübke, avec la complicité d’un autre membre de la scène néo nazie Markus Hartmann. Il sera condamné le 28 janvier 2021 à la prison à perpétuité (Markus Hartmann son complice à des peines de sursis). Stephan Ernst avait quelques temps avant son acte effectué un don pécuniaire à l’AfD…
Ce meurtre provoque une véritable tempêté politique et médiatique en Allemagne. C’est en effet la première fois qu’un personnage de l’Etat est assassiné pour des raisons politiques depuis la seconde guerre mondiale, de plus par un membre de l’extrême-droite. La classe politique unanime condamne le meurtre du fonctionnaire. Sauf quelques élus de l’AfD qui doutent même du caractère meurtrier de l’acte.
Fusillade à Hanau
Quelques mois plus tard, le 19 février, 2020 c’est au tour de Tobias Rathjen de faire l’actualité. Après avoir effectué plusieurs repérages, il abat à Hanau 11 personnes issues de l’immigration dans des bars à chicha. Sitôt son acte perpétré, il retourne à son domicile, abat sa mère et se suicide.
Les enquêteurs trouveront chez lui des vidéos et des messages confirmant la préméditation des meurtres mais aussi un esprit malade. Raciste, adepte de la théorie de la supériorité de la race blanche mais aussi conspirationniste et schizophrène (il se disait surveillé par « un service secret mondial »), Tobias Rathjen ne fréquentait pourtant pas les groupuscules néonazis de la région.
Il était simplement raciste et s’est fait ainsi le triste écho des thématiques néonazies, voire du parti de l’AfD qui contrairement aux autres partis politiques allemands nie même le « caractère idéologique » de la tuerie.
Cinq jours avant l’attentat de Hanau, un groupe néonazi (« der Harte Kern ») d’une dizaine de personnes est démantelé par les services de police et de renseignements allemands. Il prévoyait l’attaque simultanée de mosquées et de personnes issues de l’immigration; des armes et des fonds avaient été réunis. Et l’on découvre un policier, qui confirme ainsi, la diffusion de ces idées au sein des forces de police.
Le rôle de l’AfD
Les politiques allemands effrayés, commencent à réaliser l’étendue du mal, qui selon eux s’appuie pour grande partie sur les idées de l’AfD; parti d’extrême droite qui lors des élections législatives de 2017 avait récolté près de 13 % des voix.
D’aucuns dénoncent des mesures d’urgence pour répondre aux actes meurtriers mais aucune stratégie globale et fédérale n’est mise au point pour combattre le poison qui gagne toutes les couches de la société allemande.
S’agissant principalement des forces de sécurité censées protéger l’Etat et qui ont montré de nombreuses failles, Friedrich Merz concurrent à la direction de la CDU déclare « nous sommes en train de perdre une partie de l’armée et de la police à l’AfD ».
Même si aucune estimation précise n’existe, les syndicats de policiers confirment l’impression : l’AfD est devenue le parti d’un pan important de l’armée allemande et de la police. Un grand nombre de cadres de l’AfD en sont membres actifs ou retraités.
Ce malaise est d’autant plus grand que les porosités entre certains élus AfD et des groupuscules néonazis sont depuis longtemps avérées. Évidemment, c’est encore l’AfD, seule, qui au moment de la reprise en main ferme des membres de la KSK par le Ministère de la Défense s’opposera à la dissolution de l’unité d’élite devenue hors de contrôle.
Néonazis à travers l’Europe
L’Allemagne n’est pas la seule à devoir faire face à ce cancer néonazi. D’autres démocraties européennes découvrent également des filières propageant leurs idées, au sein même de leurs services de défense ou de police.
Il y a quelques semaines, un membre de la police londonienne, Benjamin Hannam, fut accusé par la justice britannique d’appartenir depuis 2016 à un groupe d’inspiration néofasciste, la National Action.
En France, le média indépendant Mediapart révélait après une longue enquête que plus d’une cinquantaine de soldats français affichait ouvertement sur leurs comptes de réseaux sociaux leur attachement aux idéaux néonazis : tatouages, pendentifs, saluts nazis, photos dupliquant les poses de Hitler devant la tour Eiffel, séances vidéos d’enfants intimés à saluer le bras tendu…
La réponse de la Ministre française de la Défense Florence Parly qui n’y voit que des gestes isolés, montre à quel point l’embarras est grand au sein des institutions politiques françaises.
Des études effectuées lors des dernières élections présidentielles de 2017 montraient que certains bureaux de votes fréquentés principalement par des militaires avaient voté deux fois plus (48 %) que la moyenne nationale, pour le parti d’Extrême droite de Marine Le Pen, le Rassemblement National.
Gladio en Italie et les épisodes franquistes et postfranquistes en Espagne montrent depuis longtemps que les idées fascistes étaient également largement diffusées dans les arcanes de la police et de l’armée.
« Jour J »
Il n’est pas étonnant que les démocraties européennes qui voient grandir depuis plusieurs décennies les partis d’extrême droite, et avec eux certaines dérives néonazies, aient aujourd’hui à s’inquiéter de la diffusion de ces idées au sein de leurs services de sécurité.
Ceux-ci appartiennent aux corpus nationaux et vivent plus ou moins bien les mêmes mutations que les sociétés qui les entourent. Au-delà des images honteuses de ces soldats mimant des postures nazies et qu’on croyait bannies, le danger est bien ailleurs.
En effet ces soldats, ces policiers hommes et femmes sont armés, organisés et entraînés aux techniques de guerre voire de violence. Notre imaginaire cinématographique ou littéraire est plein de ces séries B militaires ou de ces thrillers à sensations dans lesquels des policiers et des militaires organisent des coups d’État afin de prendre le pouvoir.
À l’image du projet de putsch qu’avaient commencé à fomenter en 2020 ces troupes d’élite de l’armée allemande; les KSK. Tout y était prévu : assauts des principales institutions de défense, remplacement du gouvernement, contrôle des médias, etc. Ne manquait que la date précise du lancement du Coup d’Etat; En attendant, les comploteurs lui avaient donné le nom de code « Tag X », le « Jour J ».
En sommes-nous si loin ?