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Verts allemands

Entre idéaux et calculs électoraux

Déborah Berlioz

Les co-présidents des Verts allemands, Annalena Baerbock et Robert Habeck, © gruene.de

14 juin 2021

À trois mois des élections législatives, les écologistes allemands sont bien placés dans les sondages. Toutefois les déboires de leur candidate et les débats internes gâchent un peu le tableau. Les Verts ont-ils encore une chance de conquérir la chancellerie en septembre ?

Écologiste de 40 ans, mère de deux enfants et ancienne championne de trampoline, Annalena Baerbock détonne dans le paysage des candidats à la chancellerie allemande, largement dominé par des hommes aux tempes grisonnantes. D’ailleurs sa nomination en tant que tête de liste des Verts en avril dernier a déclenché l’enthousiasme. Crédités de 26 à 28 % des sondages après cette annonce, devant les conservateurs d’Angela Merkel, les écologistes rêvaient déjà de la chancellerie. Mais l’euphorie est vite retombée.

Première fausse note de la campagne dès le mois de mai : Annalena Baerbock a reconnu avoir « oublié » de signaler à temps à l’administration du Bundestag 25.220 euros de primes versées par son parti entre 2018 et 2020. Certes, elle n’est pas la seule à commettre ce genre d’erreur et elle ne sera pas sanctionnée. Mais quand on sait que son parti plaide depuis des années pour davantage de transparence dans la publication des revenus, cette négligence passe mal. Plus tard la candidate a dû rectifier à plusieurs reprises son CV, qui contenait plusieurs erreurs.

La mauvaise candidate ?

Se sont ajoutés à cela de nombreuses campagnes de dénigrements sur les réseaux sociaux et un premier débat télévisé jugé moyen. Désormais les Verts sont crédités de 20 à 21 % des voix alors que la CDU est remontée à 28 %. Il n’en fallait pas plus à l’éditorialiste Bettina Gaus du Spiegel pour affirmer avec aplomb que « la prochaine chancelière fédérale ne s’appellera pas Annalena Baerbock » (« Das war’s »). Pour la journaliste, une seule solution s’impose à la candidate : laisser sa place au co-président du parti, Robert Habeck. « Ce n’est pas une solution, juge Paul Nolte, politologue à l’Université Libre de Berlin. S’il avait été nommé, il aurait eu à subir sa propre épreuve du feu. » Habeck aurait toutefois eu un avantage : celui d’être un homme et donc d’être épargné par les critiques sexistes. Même après 16 ans d’Angela Merkel au pouvoir, la misogynie est loin d’avoir disparu.

Toutefois les médias allemands ne se concentrent pas uniquement sur les déboires d’Annalena Baerbock. Les débats internes au parti font également les choux gras de la presse. Fin mai, le Spiegel titrait en Une : « Bienvenue dans la réalité. Entre le pouvoir et la morale : que reste-t-il des idéaux verts ? » Il faut dire qu’entre l’ambition gouvernementale affichée et l’héritage contestataire, l’équilibre n’est pas facile à trouver.

Pourtant le parti a entamé depuis longtemps sa migration vers le centre de l’échiquier politique. Issu des nouveaux mouvements sociaux, comme la lutte contre le nucléaire ou le féminisme, les Verts se positionnent clairement à la gauche des sociaux-démocrates à leurs débuts.  « Dès leur fondation en 1980, une opposition nette existe dans le parti entre les « Fundis », les fondamentalistes, et les « Realos », les réalistes », explique Paul Nolte. Alors que les Fundis voulaient changer radicalement la société et ne faisaient pas confiance aux institutions, les Realos se montraient beaucoup plus pragmatiques et modérés. »

3280 motions pour amender le programme

Toutefois les Realos semblaient avoir gagné la partie. D’ailleurs si la direction des Verts a longtemps été partagée entre les deux courants, Habeck et Baerbock, élus à la tête du parti en 2018, appartiennent tous les deux au camp des réalistes. Cependant cette ligne modérée est à nouveau contestée, notamment par les plus jeunes adhérents. Un chiffre le traduit bien : quelques 3280 motions ont été soumises avant le congrès du parti le 11 juin pour amender le programme. Une limitation de la vitesse sur les autoroutes à 100 km/h (au lieu des 130 proposés initialement), la possibilité d’exproprier les grandes compagnies immobilières afin de limiter la hausse des loyers, un salaire minimum de 13 euros de l’heure (au lieu de 12 comme proposé dans le programme)… L’éventail des thématiques est large.

Jakob Blasel, © Bruno Balscheidt

Jakob Blasel a signé plusieurs motions. Issu du mouvement Fridays For Future, ce jeune homme de 20 ans se présente pour les Verts aux élections législatives du 26 septembre. Parmi ses revendications, il y avait notamment une hausse du prix du CO2. Si le programme propose un prix de 60 euros en 2023, Jakob Blasel réclamait de faire passer la tonne de CO2 à 80 euros dès 2022. Mais comme pour la plupart des motions votées au congrès, les délégués ont suivi l’orientation plus modérée de la tête de liste. « Je suis déçu, évidemment, mais nous avons réussi à négocier beaucoup de choses avant le congrès, insiste-t-il. Nous nous sommes ainsi mis d’accord sur un objectif de 100 % d’énergies renouvelables d’ici à 2035 alors qu’avant il n’y avait rien de concret sur le sujet dans le programme. Nous y avons également inscrit la fin des centrales à gaz, la neutralité climatique dès 2040 et un budget de CO2, c’est-à-dire un plafond d’émissions à ne pas dépasser. »

Le spectre du « Verbotspartei »

Jakob Blasel ne se voit pas pour autant comme l’héritier des Fundis. Pour lui il n’est pas question de radicalité ou d’idéologie. « Je me bats pour les mesures nécessaires afin de ne pas dépasser les 1,5 degrés de réchauffement global. Nous devons changer complètement nos manières de produire et de vivre. » Il admet que cela puisse faire peur aux électeurs, mais « il faut leur faire comprendre que si nous ne faisons rien, les conséquences de la crise climatique seront bien pires. »

Si la sensibilité des Allemands aux questions climatiques a bien augmenté ces dernières années, certains sujets restent encore explosifs pour les Verts. Il suffit de voir la polémique qui a suivi une interview de leur candidate pour le Bild am Sonntag. « Il ne devrait plus y avoir de vols à courte distance à l’avenir », a-t-elle déclaré. Il n’en fallait pas plus pour voir fleurir les titres accusant la candidate de vouloir tout bonnement interdire ces vols. Alors qu’elle ne proposait finalement que de les rendre moins attractifs en développant des alternatives comme le train. Mais voilà, l’image du « Verbotspartei », le parti des interdits, colle à la peau des Verts.

Suivre l’exemple de Kretschmann ?

Les opposants des écologistes aiment aussi les accuser de faire une politique qui coûterait cher aux citoyens, en augmentant les prix de l’essence par exemple. Pourtant le programme social des Verts est bien étoffé. Il prévoit entre autres une hausse des aides sociales et du salaire minimum. « Si les Verts rêvent d’un succès à la Winfried Kretschmann, le ministre-président écologiste du Bade-Wurtemberg (il a été réélu à la tête de son Land pour un troisième mandat avec 32,6 % des suffrages), ils sont encore loin de suivre sa ligne, précise Paul Nolte. Kretschmann est assez conservateur, notamment sur les valeurs – une étiquette que refusent les Verts au niveau fédéral. Ils se considèrent encore comme un parti de gauche. »

Pourtant, comme Kretschmann, les Verts n’excluent pas une alliance avec les conservateurs. Si l’organisation de jeunesse des Verts, Grüne Jugend, refuse cette coalition, Jakob Blasel se montre plus pragmatique. « Faire une vraie politique climatique avec la CDU sera certainement compliqué, mais si c’est la seule coalition possible, nous devrons prendre nos responsabilités et essayer de négocier. » Réponse le 26 septembre prochain.

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