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Angela Merkel chancelière (2005-2021)

Fin d’une ère

Déborah Berlioz

Le « losange de Merkel » (« Merkel-Raute ») est devenu le symbole de la politique calme et mesurée de la chancelière. © picture alliance / REUTERS | Michele Tantussi, le 27 août 2021 à Berlin

7 octobre 2021

Confrontée à une pandémie, un euro sur le point de s’effondrer ou encore une arrivée massive de réfugiés, Angela Merkel a réussi à tenir la barre et à incarner la stabilité. Si elle est une bonne gestionnaire de crise, elle manque toutefois de vision politique.

Beaucoup l’ont sous-estimée. Quand Angela Merkel devient la première femme à accéder à la chancellerie allemande en 2005, la plupart des observateurs ne lui prédisaient pas un avenir politique radieux. « Je ne pensais pas qu’elle resterait 16 ans au pouvoir, avoue Karl-Rudolf Korte, politologue et professeur à l’Université de Duisburg. Certes, cette fille de pasteur et physicienne de l’Est (elle a obtenu son doctorat en RDA en 1978) avait déjà été ministre de la femme et de la jeunesse puis de l’environnement sous Helmut Kohl. Mais elle n’avait jamais été élue à la tête d’un Land en tant que ministre présidente. « Or c’était souvent une condition pour devenir chancelier, précise le professeur Korte. D’ailleurs elle n’avait pas l’air suffisamment assurée pour qu’on la croie capable de tenir aussi longtemps. »

Le chancelier Helmut Kohl et la ministre Angela Merkel le 30 avril 1991 à Bonn, © picture alliance / AP Photo | Fritz Reiss

Gestionnaire de la crise

Pourtant 16 ans et quatre mandats plus tard, elle est encore là, atteignant la même longévité que son mentor Kohl. Sauf que contrairement à lui, elle part de son propre chef en renonçant à se représenter pour un cinquième tour à la chancellerie. À l’heure du bilan, une étiquette lui colle particulièrement à la peau : celle de la gestionnaire de crise.

 « La crise financière de 2008, suivie par celle de l’euro, l’arrivée massive de réfugiés en 2015, la pandémie… Ce ne sont pas des crises qui arrivent tous les jours, note Karl-Rudolf Korte. D’autres chanceliers ont eu des défis de taille, comme Helmut Kohl et la réunification ou encore Helmut Schmidt et le terrorisme intérieur dans les années 70. » Toutefois son style politique n’a rien à voir avec celui de ses prédécesseurs. « Elle est extrêmement pragmatique, sobre au possible et évite complètement l’emportement. Les autres chanceliers avaient leurs moments émotionnels, mais pas elle. Même face à des adversaires politiques qui lui mènent la vie dure, elle gardera toujours son calme. »

Un pragmatisme à toute épreuve

Angela Merkel est avant tout une scientifique, et cela se voit dans son style de gouverner. Elle analyse la situation et agit en conséquence, avec calme et rationalité, cherchant sans cesse le compromis afin d’emporter la majorité. De bonnes qualités en temps de crise. D’ailleurs malgré ces ébranlements successifs, l’Allemagne «est un pays fort », assure la chancelière lors de sa dernière conférence de presse d’été en juillet. « Quand je suis devenue chancelière il y avait 5 millions de chômeurs, maintenant nous en comptons moins de trois millions », souligne-t-elle sur ce ton modeste qui la caractérise.  

En 2005, l’Allemagne passe encore pour l’homme malade de l’Europe : chômage à 11 %, une croissance qui stagne à 0,5 % et un endettement public grandissant. 16 ans plus tard, le tableau a radicalement changé. Si la pandémie a ralenti l’économie, le chômage n’est encore que de 5,6 % et l’Allemagne reste la première puissance économique de la zone euro. Certains arguent toutefois que ce bilan économique, Angela Merkel le doit surtout aux réformes de son prédécesseur. En 2003, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder lance en effet l’Agenda 2010, un ensemble de réformes du marché du travail. Baisse des cotisations patronales, réforme de l’allocation chômage et des retraites, libéralisation de l’intérim… Autant de réformes impopulaires qui ont coûté la réélection de Schröder en 2005.

Le 5 décembre 2005, © Shutterstock

L’importance de l’équilibre budgétaire

Angela Merkel n’aurait donc fait que récolter les fruits du travail de la gauche ? « Elle a clairement profité de ces réformes, concède Stephan Bröchler, politologue à l’Ecole supérieure d’économie et de droit de Berlin. Cependant, il faut lui reconnaitre du crédit. Elle a continué dans la lignée de Gerhard Schröder, en défendant sa politique face au parti social-démocrate (SPD) qui voulait revenir sur ces réformes, et face à certains conservateurs qui souhaitaient une transformation encore plus radicale du marché du travail. » « Elle est surtout la garante d’une certaine paix sociale en Allemagne et cela a beaucoup de valeur pour une entreprise qui souhaite s’installer ou investir dans un pays », ajoute Karl-Rudolf Korte.

Par ailleurs c’est sous Merkel qu’a été renforcée la fameuse orthodoxie budgétaire allemande. En 2009, la loi sur le frein à l’endettement est votée. Le texte interdit à l’Etat fédéral d’emprunter l’équivalent de plus de 0,35 % de son PIB. Quant aux Länder, l’endettement structurel leur est carrément interdit, sauf dans des situations exceptionnelles comme des catastrophes naturelles. En 2014 l’Etat fédéral va même atteindre l’équilibre budgétaire, le fameux « schwarze Null », ou zéro noir, pour la première fois depuis 1969. Et il le maintiendra jusqu’en 2020, date à laquelle la règle d’or est mise entre parenthèse pour faire face à la pandémie.

 « Elle n’a pas de vision politique à long terme »

« Cette politique est davantage à mettre au crédit de Wolfgang Schäuble (ministre des finances de 2009 à 2017) que d’Angela Merkel », tempère Stephan Bröchler. La chancelière est plus pragmatique qu’idéologique selon lui. « Elle se concentre sur le présent. Elle regarde quels sont les problèmes et comment il faut les résoudre mais elle manque de vision politique à long terme. C’est sa faiblesse. »

Le 16 août 2011, © Shutterstock

Karl-Rudolf Korte la qualifie de « chancelière de situation », qui agit avec prudence et hésitation. « Elle n’est jamais à la pointe de l’évolution mais elle suit les changements. » L’essentiel étant de ne pas prendre de risques. C’est ainsi qu’il analyse des moments clés de son temps au pouvoir, comme la décision d’arrêter les centrales nucléaires en 2011. Pourtant son parti était clairement pro-nucléaire, et elle avait même rallongé la durée de vie des centrales en arrivant au pouvoir. Mais l’accident de Fukushima change la donne, et la chancelière suit le vent. Idem pour l’abolition du service militaire en 2011, ou sa décision de ne pas bloquer la loi sur le mariage pour tous en 2017 : « Angela Merkel observe l’opinion générale dans la population et suit les tendances dominantes. »

« Wir schaffen das », ou quand l’émotion prend le dessus

Pourtant une décision détonne avec cette image de chancelière rationnelle et prudente : le refus de fermer les frontières face à l’arrivée massive de réfugiés en 2015. Avec son « Wir schaffen das », « nous y arriverons », Angela Merkel semble pour une fois plus guidée par l’émotion que par la raison. « Elle a également dit que si nous n’aidions pas ces gens ce ne serait plus son Allemagne, rappelle Stephan Bröchler. C’était une posture morale, empreinte de la valeur chrétienne de l’amour du prochain et cette manière d’argumenter nous a surpris. Pour une fois on voyait davantage la fille de pasteur que la scientifique qui s’en tient aux faits. »

Le 2 juin 2016, © Shutterstock

Le calcul politique n’aurait donc pas été de mise ici. Et d’ailleurs cette décision lui a beaucoup coûté. Chute de popularité, manifestations de Pegida (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes – Les européens patriotiques contre l’islamisation de l’Occident), percée de l’extrême-droite… En 2017, le parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) – le nom du parti est dû à Angel Merkel qui justifie ses décisions politiques à plusieurs reprises de « sans alternative » (alternativlos) –  rentre pour la première fois au Bundestag avec 12,6 % des voix et devient la première force d’opposition. Quant aux conservateurs d’Angela Merkel ils n’engrangent que 32,9 % des suffrages contre 41,5 % en 2013.

Des conservateurs en perte de vitesse

Si le score de 2017 n’était pas un record, la CDU serait bien heureuse de l’atteindre à nouveau le 26 septembre prochain. Pour l’instant, le parti ne récolte qu’entre 20 et 24 % des intentions de vote dans les sondages. Certains y voient la faute de Merkel, qui aurait trop poussé le parti vers le centre, lui faisant perdre son identité et donc une partie de ses électeurs. « Certes mais elle en a gagné d’autres, notamment dans les villes alors que la CDU était traditionnellement forte dans les campagnes », insiste Stephan Bröchler. Pour Karl-Rudolf Korte, Angela Merkel a surtout évité au parti conservateur de tomber trop bas : « Les élections se gagnent au centre en Allemagne. Ce centre est devenu plus large et plus divers, mais la CDU a réussi à y garder sa place et on ne peut pas en dire autant de nombreux partis similaires en Europe ». La comparaison avec le parti français Les Républicains est ici édifiante.

Le 24 mars 2021, © Shutterstock

Le bilan d’Angela Merkel est évidemment loin d’être irréprochable. Celle qu’on appelait la chancelière du climat n’a pas pris assez de mesures pour limiter le réchauffement (voir notre article Génération Merkel), près de 16 % des Allemands vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, et l’intervention de la Bundeswehr en Afghanistan se termine sur un fiasco.

Autant de points qui entachent pourtant peu l’image de Merkel. Selon un sondage mené début août par l’institut Infratest dimap, 75 % des  Allemands jugent son bilan positivement. Ils la considèrent par ailleurs comme compétente (78 %), crédible (71 %) et même sympathique (69 %). « Les Allemands aiment la sécurité et c’est pour ça qu’ils l’ont réélue, assure Karl-Rudolf Korte. Elle est garante de la stabilité. Quand tout est agité, confus et ingérable, elle reste le roc du groupe. » « Son style sobre, modeste et modérateur va manquer aux Allemands, prédit Stephan Bröchler. Ce ne sera pas facile pour son successeur de marcher sur ses pas. »

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