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Génération Merkel

Conformistes ou activistes

Déborah Berlioz

« Alarme de chaleur » (Hitzealarm) : Manifestation contre „la catastrophe écologique“ à Berlin pendant l’été 2021, © Generationen Stiftung / Gregor Fischer

1 septembre 2021

Beaucoup de jeunes Allemands n’ont connu qu’Angela Merkel à la tête de leur pays. Comment la chancelière les a-t-elle marqués ?

Malgré les nuages menaçants de ce dimanche d’août, une fête de quartier bat son plein dans le quartier de Kreuzberg à Berlin. Alors que des familles se pressent entre les animations pour enfants et le stand de grillades, différentes associations sportives tentent d’attirer de nouvelles recrues. La jeunesse est clairement en majorité ce matin et pour la plupart des participants, pouvoir politique rime donc avec Angela Merkel. « Je n’avais que six ans quand elle a été élue la première fois et je ne peux pas m’en rappeler, avoue Nils, 21 ans, venu représenter son club de basket. Pour moi c’est comme si elle avait été chancelière toute ma vie. »

Le jeune homme fait partie de ce que les médias allemands appellent la « Génération Merkel ». Il faut dire qu’en passant 16 ans au pouvoir, la première femme chancelière d’Allemagne a forcément marqué son empreinte sur ceux qui ont grandi pendant ses quatre mandats. D’ailleurs beaucoup de ces jeunes ont une certaine affection pour Angela Merkel, comme Clara, 17 ans : « J’aime son ouverture et le fait qu’elle ne soit pas oppressante. Je pense que c’est une très bonne politicienne et j’aurais aimé qu’elle reste encore plus longtemps au pouvoir. »

« Elle aurait pu faire davantage pour les jeunes »

Nils aussi est attaché à cette figure politique qui l’a accompagné toute sa vie. Il aurait sans doute voté pour elle aux dernières élections en 2017 s’il avait été majeur. Pourtant il estime qu’elle aurait pu faire davantage pour sa génération. « L’Allemagne est encore en retard sur le numérique. Il n’y a pas eu assez d’avancées sur l’Internet à haut débit ou sur les réseaux mobiles, or c’est justement ce dont les jeunes ont besoin aujourd’hui, regrette-t-il. Quand on voyage à l’étranger, on capte la 4G partout, mais parfois au centre même de Berlin, on a aucun accès. »

Selon les données de l’OCDE, 5,4 % des connexions haut débit fixes en Allemagne se font via fibre optique en décembre 2020. En France, elles atteignent les 33,7% et 30,6% en moyenne au sein de l’OCDE. La République fédérale fait donc figure de lanterne rouge parmi les pays industrialisés.

Sophia, 23 ans, © Generationen Stiftung / Gregor Fischer

Après l’ambiance bonne enfant de cette fête familiale, changement de décor : dans le Mauerpark, un groupe de jeunes manifeste contre la politique climatique du gouvernement. « Parce que vous ne faites rien, des gens vont mourir. Parce que vous ne faites rien, notre écosystème va s’écrouler. Parce que vous n’agissez pas, les générations futures vont devoir vivre avec les conséquences dramatiques du changement climatique », scande Sophia dans son mégaphone.

Une génération d’activistes

A 23 ans, elle milite au sein du conseil des jeunes de la Fondation des Générations (Generationenstiftung). « Nous nous engageons pour un changement radical de système, pour une politique plus durable qui prend en compte les intérêts des générations futures. Nous sommes le lobby des jeunes », explique Sophia. Comme elle, « un tiers des jeunes allemands est engagé sur des thématiques environnementales, précise Klaus Hurrelmann, chercheur en pédagogie et professeur à la Hertie School de Berlin. 5 % sont même très actifs politiquement. C’est unique dans l’Histoire. »

Génération Y vs génération Z

Depuis 2019, des milliers de jeunes allemands ont en effet suivi les traces de Greta Thunberg et ont rejoint les rangs du mouvement Fridays For Future. Lors de la grève mondiale pour le climat le 20 septembre 2019, 270 000 personnes défilent dans les rues de Berlin. Parmi les manifestants, on retrouve surtout des représentants de la génération Z. « En science on ne parle pas de génération Merkel, précise Klaus Hurrelmann. Il y a la génération Y, née entre les années 80 et 2000, et la génération Z, née après l’an 2000. » Deux groupes qui ont des approches très différentes de la politique.

« Les membres de la génération Y ont vécu de nombreuses crises durant leur jeunesse : les attentats de 2001, la crise financière de 2008, Fukushima en 2011, etc. Ce sont des moments dramatiques, presque traumatisants, qui peuvent conduire à une certaine angoisse, à un sentiment d’insécurité. Ils ont donc apprécié le style pragmatique, apaisant et modérateur d’Angela Merkel », analyse le chercheur.

Manifestation « Alarme de chaleur » (Hitzealarm) de la Generationen-Stiftung : « Chaque jour où la température dépasse les 28 degrés nous allons sonner l’alarme dans les lieux clés de la politique et de l’économie afin d’appeler les politiciens et les entreprises à agir contre la catastrophe écologique. » © Generationen Stiftung / Gregor Fischer 

Un bilan climatique très critiqué

« A l’inverse, les jeunes nés après 2000 ont grandi dans une époque moins incertaine et avec de bonnes perspectives économiques, continue Klaus Hurrelmann. Or, on constate une corrélation entre le taux de chômage des jeunes et leur engagement politique. Si les jeunes ne se font pas de souci pour leur futur emploi, ils ont pour ainsi dire l’esprit libre et peuvent donc s’occuper de sujets plus globaux, comme les problèmes environnementaux. » Ils n’attendent donc pas de stabilité de la part de leur chancelière, mais de l’action.

« Quand Angela Merkel était ministre de l’environnement en 1997, elle parlait déjà de l’urgence climatique. Puis elle est devenue chancelière et elle n’a rien fait », souligne Sophia avec amertume. La chancelière l’a avoué, elle-même, lors de sa dernière conférence de presse d’été : les mesures prises sont encore insuffisantes pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 ou 2 degrés. « Il faut accélérer le rythme », a-t-elle confessé. La Cour constitutionnelle allemande semble d’ailleurs du même avis puisqu’elle a rejeté en avril dernier la loi sur la protection du climat votée par la grande coalition en 2019, la jugeant insuffisante pour assurer l’avenir des jeunes générations.

Lena, 18 ans, © Generationen Stiftung / Gregor Fischer

Si le gouvernement a revu sa copie dans la foulée, Lena, compagne de lutte de Sophia, reste critique. « Non seulement Angela Merkel n’a pas fait assez, mais elle a aussi agi activement contre la protection du climat, s’indigne la jeune femme de 18 ans. Au niveau européen elle s’est par exemple engagée contre des normes plus restrictives pour les émissions de CO2 des voitures. Elle a favorisé les lobbys de l’automobile au détriment de la planète », juge l’activiste.

Perte de confiance dans les partis

En raison de l’écart entre les discours et les actes d’Angela Merkel, Sophia ne « (croit) plus au système ». Elle préfère l’activisme et la désobéissance civile aux partis politiques. Selon la dernière étude Shell, si 77 % des jeunes Allemands sont satisfaits de la démocratie en Allemagne, 71 % sont convaincus que « les politiques ne se soucient pas de ce que les gens comme (eux) pensent. » « Ils voient les partis comme des appareils de pouvoir bureaucratiques, éloignés de la population, précise Klaus Hurrelmann. Il y a 20 ans, 2 à 2,5 % des jeunes appartenaient encore à un parti. Aujourd’hui, ils sont moins de 1 %. »

Les Verts sont le parti favori des moins de trente ans, selon Klaus Hurrelmann, suivis de près par l’Alternative pour l’Allemagne (AfD). « Il y a aussi des jeunes issus de milieux défavorisés qui ont peur de ne pas s’en sortir économiquement, insiste le chercheur. La gauche n’a pas réussi à capter leur voix et ils ont tendance à se tourner vers l’extrême-droite. » En même temps, les 18-30 ans ne représentent que 15% de l’électorat allemand. « Ce sont les plus de 50 ans qui sont les plus nombreux. Cependant beaucoup de jeunes ont réussi à convaincre leurs parents et leurs grands-parents de l’urgence climatique. Donc, il ne faut pas sous-estimer l’influence de la jeunesse sur la prochaine élection. »

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