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La coalition « feu tricolore »

L’ alliance du futur ?

Déborah Berlioz

Le chancelier Olaf Scholz et ses ministres le 8 décembre 2021, © Janine Schmitz / photothek.de

8 décembre 2021

Le nouveau gouvernement allemand réunit trois partis aux idées très différentes, voire parfois antagonistes. Chaque camp peut-il vraiment s’y retrouver ? Ou l’alliance risque-t-elle d’exploser en vol avant la fin de la législature ?

Après 16 ans avec Angela Merkel, la chancellerie allemande a un nouvel occupant : le social-démocrate Olaf Scholz. Sur les 736 élus du Bundestag, 395 ont voté pour lui, 303 contre et 6 se sont abstenus (la coalition « feu tricolore » dispose de 416 voix sur 736). Il est entré en fonction le 8 décembre 2021, et réussit ainsi à tenir sa promesse de former un gouvernement avant Noël.

Le planning était ambitieux, d’autant plus qu’Olaf Scholz devait réussir à unir trois partis très différents pour former son gouvernement : les sociaux-démocrates du SPD, les libéraux du FDP et les Verts – dont les trois couleurs, rouge, jaune et vert donnent son nom de « feu tricolore » à cette coalition (Ampelkoalition). Alors que le SPD avait un programme social ambitieux et que les Verts souhaitaient des investissements publics massifs, les libéraux refusaient mordicus toute hausse d’impôts. « Selon une étude de la fondation Konrad Adenauer les positions de ces trois partis ne se recoupent qu’à 24 %, c’est bien peu, note Stephan Bröchler, politologue à l’Ecole supérieure d’économie et de droit de Berlin. A titre de comparaison, les points communs s’élèvent à 40 % entre la CDU/CSU et le SPD. »

Le politologue n’était cependant pas surpris de la rapidité des négociations entre les trois partis. Alors que plus de 300 personnes travaillaient dans 22 groupes de travail pour rédiger le contrat de coalition, « rien n’a transpiré, remarque Stephan Bröchler. Personne n’a parlé à la presse. Si des voix critiques s’étaient élevées au sein des partis, cela aurait compliqué le processus. »

Robert Habeck, © gruene.de

Seuls les Verts ont un peu râlé en public début novembre, estimant que la protection du climat n’était pas assez prise au sérieux par les autres partis. Mais il ne restait plus rien de cette grogne lors de la présentation du contrat de coalition le 24 novembre. Selon Robert Habeck, coprésident du parti et désormais « vice-chancelier », ce document rend possible le compromis entre « prospérité et protection climatique. »

De grandes ambitions climatiques

 « Atteindre les objectifs de l’accord de Paris en matière de protection climatique est pour nous une priorité absolue », stipule d’ailleurs ce contrat de 177 pages. Pour cela, la sortie du charbon doit « idéalement » être avancée de 2038 à 2030. En sachant que le pays va débrancher sa dernière centrale nucléaire en 2022, cela va demander un développement massif des énergies renouvelables. Selon le document, elles devront représenter 80 % de la production électrique d’ici à 2030 (au lieu des 65 % prévus). 2 % du territoire doivent ainsi être réservés à l’éolien, et les capacités de production électrique solaire doivent passer à 200 GW. Quant aux transports, le contrat prévoit 15 millions de voitures électriques sur les routes allemandes avant 2030, contre un peu plus de 500.000 actuellement.

Pour mener à bien ce programme ambitieux, Robert Habeck, est à la tête d’un « super ministère » de l’économie et de la protection climatique. Quant à la tête de liste des écologistes lors des dernières législatives, Annalena Baerbock, elle est désormais la première femme ministre des affaires étrangères d’Allemagne. Si le titre semble prestigieux, Stephan Bröchler n’est pas certain que ce soit un choix judicieux pour la coprésidente du parti. « L’influence de ce ministère a décliné ces dernières années. Les décisions importantes, que ce soit sur la politique européenne ou internationale, sont prises à la chancellerie. »

Annalena Baerbock, © gruene.de

Cela n’a pas empêché Annalena Baerbock de frôler l’incident diplomatique avant même son entrée en fonction. Dans une interview au quotidien berlinois taz, la future ministre a plaidé pour une attitude moins complaisante envers la Chine. Concrètement, elle a évoqué une interdiction possible de l’importation de produits en provenance de la province chinoise du Xinjiang « où le travail forcé est courant », et elle n’a pas exclu un boycott des Jeux Olympiques d’hiver à Pékin. L’ambassade de Chine à Berlin n’a pas tardé à réagir, mettant en garde contre une confrontation entre les deux pays.

Les Verts obtiennent également les portefeuilles de la famille, de l’agriculture et de la culture, soit 5 ministères sur 16. Par ailleurs, ils peuvent également se réjouir de la nouvelle politique migratoire esquissée dans le contrat. On retiendra notamment la décision de légaliser plus de migrants en situation illégale et celle de faciliter l’obtention de la double nationalité.

Le SPD tient ses promesses phares

Pour sa part, le SPD a imposé une promesse phare de la campagne : la hausse du salaire minimum à 12 euros de l’heure, contre 9,60 euros actuellement. La mesure sera portée par Hubertus Heil, reconduit à la tête du ministère du travail. Parmi les 7 ministères occupés par le SPD, on compte également le tout nouveau ministère du logement – le sujet étant auparavant traité par d’autres ministères – chargé de piloter la construction de 400.000 nouveaux logements par an, dont 100.000 sur fonds publics.

Les libéraux quant à eux ont donc fait quelques concessions visibles, comme la hausse du salaire minimum ou l’abandon de toute baisse d’impôts. Mais cela ne doit surtout pas faire illusion. « Sur les ministères ils ont très bien négocié, et ils ont eu ce qu’ils voulaient », juge Stephan Bröchler. Les transports, l’éducation et la justice seront en effet dirigés par des libéraux. Mais surtout, le chef du parti, Christian Lindner, a obtenu le très influent poste de ministre des Finances. Et avec lui c’est clair, l’Allemagne va devoir respecter le frein à l’endettement, cette limite constitutionnelle au déficit public à 0,35 % du PIB, qui devra être à nouveau respectée à partir de 2023 (elle avait été suspendue à cause de la pandémie). Chantre de l’orthodoxie budgétaire, Christian Lindner va tenir les cordons de la bouse bien serrés.

© Christian Lindner

De plus, la coalition n’augmentera pas les principaux impôts, a assuré le politicien libéral. De quoi donner un sérieux coup de frein aux ambitions des écologistes. En fait, le gouvernement a l’intention de gonfler les prêts d’ici à 2023 et de nombreux projets seront financés via des organismes étatiques, comme la banque publique Kreditanstalt für Wiederaufbau (établissement de crédit pour la reconstruction) ou la Deutsche Bahn pour le développement du rail.

Critiques des associations environnementales

Si la direction des Verts se montre satisfaite du contrat de coalition, l’organisation de jeunesse du parti est plus critique. Il faut dire que le parti a dû oublier plusieurs promesses de son programme dans le processus, comme une limitation de vitesse à 130 km/h sur les autoroutes allemandes, refusée catégoriquement par les libéraux. Exit également la hausse du prix de la tonne de CO2 à cause des prix déjà élevés du gaz et de l’électricité. De plus, s’ils ont imposé une « vérification environnementale » de tous les projets de lois, on est loin du veto qu’ils demandaient pendant leur campagne. Les écologistes plaidaient en effet pour un ministère du Climat prépondérant, qui aurait disposé d’un droit de veto sur les autres décisions ministérielles.

Résultat, si les associations environnementales louent certaines avancées, beaucoup doutent que les mesures proposées dans le programme suffisent pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Selon l’association allemande pour l’environnement et la protection de la nature (BUND), il faudrait atteindre la neutralité climatique bien avant la date prévue de 2045 pour respecter les accords de Paris. L’association regrette également la mainmise des libéraux sur le ministère des Transports, doutant que cela permette un fort développement des mobilités alternatives à la voiture individuelle. Quant à Greenpeace, son président Martin Kaiser estime que la nouvelle coalition « ne laisse qu’entrevoir un renouveau écologique », mais sans « fournir l’équipement nécessaire pour le réaliser ».

Des débuts difficiles

Une critique un peu dure pour Stephan Bröchler : « un contrat de coalition doit seulement fournir la direction, les grandes lignes de la politique du futur gouvernement. Les moyens seront définis ensuite au sein de chaque ministère. » Le nouveau gouvernement n’est donc pas à l’abri de futurs conflits entre les trois partis alliés. « Mais je pense qu’ils tiendront la législature, assure le politologue. Christian Lindner l’a bien dit : ils doivent gouverner de telle manière qu’ils puissent se représenter ensemble dans quatre ans. Et de toute façon, après son échec cuisant aux législatives, la CDU/CSU doit se réinventer avant de pouvoir revenir sur le devant de la scène. Donc pour le moment, elle n’est pas une alternative. »

Karl Lauterbach, nouveau ministre de la Santé, © SPD / Susie Knoll

Les dissensions probables entre les partenaires ne sont toutefois pas le problème majeur de ce nouveau gouvernement. Alors qu’Olaf Scholz entre à la chancellerie, le taux d’incidence sur 7 jours du coronavirus dépasse les 430 nouveaux cas pour 100.000 habitants. C’est d’ailleurs un social-démocrate qui va prendre les choses en main : Karl Lauterbach, nouveau ministre de la Santé. Médecin de formation, il est très présent dans les médias depuis le début de l’épidémie, notamment pour demander des mesures plus strictes. Défenseur de l’obligation vaccinale pour tous, il n’hésite pas à dénigrer les Allemands qui manifestent contre les mesures anti-Covid, les « Querdenker ». Invité dans l’émission politique d’Anne Will dimanche 5 décembre, il a même déclaré que l’Etat n’avait pas à les prendre en compte. « Ce sont des gens qui ne méritent pas cette considération », a-t-il dit.

De quoi faire de Lauterbach une figure à la fois admirée et controversée. Mais les candidats n’étaient pas non plus légion car les responsabilités qui pèsent sur le ministre sont énormes. En effet, tant que la pandémie n’est pas contrôlée, le programme ambitieux du gouvernement ne restera qu’un vœu pieux. Et dans ce cas, le plan de Christian Lindner de reconduire la coalition du feu tricolore dans quatre ans risque fort d’être compromis.

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