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Jeunesse en colère

Sur les barricades

Déborah Berlioz

Munich, 20 septembre 2019, © Shutterstock

21 décembre 2019

Qu’ils fassent la grève avec Fridays for Future, bloquent les routes avec Extinction Rebellion ou occupent la forêt de Hambach, les jeunes Allemands se mobilisent contre la politique de leurs dirigeants.

Vendredi 29 novembre à Berlin. Malgré le froid mordant, des milliers de personnes se massent devant la porte de Brandebourg. Des écoliers, des pères avec leur bébé en écharpe, et même des mamies ont répondu à l’appel de Fridays for Future ce jour-là. Des panneaux « Stop Klimakrise – Stop Groko », soit « Stop la crise climatique, stop la grande coalition », sont brandis dans tous les coins. Visiblement, l’alliance des conservateurs et des sociaux-démocrates n’est pas en odeur de sainteté dans les rangs des manifestants.

Max, 17 ans, est agacé par son gouvernement : « Les dirigeants imposent des objectifs de réduction des émissions de CO2, mais après ils ne font rien pour les atteindre ». Max est loin d’être le seul de sa génération à être politisé. Selon l’étude Shell, 41% des 12-25 ans s’intéressent  à la politique en Allemagne, contre 30% seulement en 2002.

Cette étude est menée depuis 66 ans auprès de la jeunesse allemande. Tous les 4 ans, des jeunes de 12 à 25 ans sont interrogés sur leur avenir, sur leurs convictions politiques, leur famille et leur religion. Pour sa 18e édition, parue le 15 octobre dernier, 2572 jeunes ont été consultés. Outre une politisation accrue, il en est ressorti que 71% des 12-25 ans ont peur des conséquences de la pollution de l’environnement. Le succès du mouvement Fridays for Future n’a donc rien d’étonnant. Depuis un an maintenant, des milliers d’écoliers font l’école buissonnière chaque vendredi pour sauver la planète. La dernière manifestation a rassemblé 60 000 personnes à Berlin.

Klaus Hurrelmann, chercheur en sciences de l’éducation et co-auteur de l’étude Shell, voit beaucoup de similitudes entre la jeune génération d’aujourd’hui et celle de 1968. Comme les camarades de Rudi Dutschke, les manifestants de Fridays for Future « vivent une période de prospérité économique. Ils n’ont pas grandi dans l’insécurité. C’est justement ce qui les rend politiques », explique le chercheur dans les colonnes de l’hebdomadaire Die Zeit. Libérés des angoisses sociales et économiques, les jeunes auraient plus le temps de voir les dangers qui pèsent sur l’environnement. 

Des partis vieillissants

Autre point commun : les deux mouvements gardent délibérément leurs distances avec les partis traditionnels. Il faut dire qu’ils ne s’y retrouvent pas vraiment. Chez les conservateurs et les sociaux-démocrates, la moyenne d’âge des membres est de 60 ans. Cet âge descend à 55 ans chez l’extrême gauche de Die Linke, à 52 ans chez les libéraux et à 49 ans chez les écologistes de die Grünen.

Peu représentés, les jeunes se sentent ignorés et incompris. La réaction des conservateurs face à la vidéo du youtubeur Rezo avant les élections européennes n’était qu’une preuve de plus que les dirigeants ne savent pas parler à la jeunesse. Perçus comme trop bureaucratiques et centrés sur la conquête du pouvoir, les partis politiques n’apparaissent pas capables de faire bouger les choses. A l’inverse, en allant dans la rue, les jeunes sentent qu’ils bousculent l’agenda politique. Le score de die Grünen aux européennes (20,5%), montre bien que l’environnement est grimpé d’un cran dans la liste des préoccupations des Allemands.

Un éloignement progressif

Les jeunes ne sont toutefois pas les seuls à s’éloigner des partis de gouvernement. « Ce phénomène ne touche pas que l’Allemagne, précise Paul Nolte, historien à l’Université Libre de Berlin. L’érosion des partis traditionnels a commencé il y a longtemps et elle s’exprime aussi dans la montée de l’extrême-droite. » L’Alternative pour l’Allemagne et Pegida font justement recette en dénigrant les élites établies. Et les tendances populistes se retrouvent largement au sein de la jeunesse allemande. Ainsi, selon l’étude Shell, plus de la moitié des 12-25 ans pensent que le gouvernement leur cache des choses, et un tiers redoute l’islamisation de l’Allemagne.

Pour Paul Nolte le désamour des jeunes pour les partis établis n’est cependant pas aussi fort qu’en 1968. « A l’époque, il y avait un refus bien plus net de la démocratie parlementaire. Les militants voulaient renverser le système établi. Aujourd’hui, les manifestations sont davantage un appel aux partis politiques qu’une volonté de tout bouleverser. » Impression confirmée dans la manifestation de vendredi. Lily par exemple reste persuadée que les partis du gouvernement peuvent changer. D’ailleurs, elle n’exclut pas de prendre une carte de membre un jour. Comme la plupart de ses camarades, elle penche vers les Verts, sans toutefois être encore entièrement convaincue.

Renverser le système ?

Le ton est cependant plus radical quand on se rapproche du bloc des antifascistes. « Nous ne pourrons pas résoudre la crise climatique dans le système actuel, insiste Ufo, toute de noir vêtue. Le capitalisme doit être aboli. » Toutefois ces positions ne sont pas majoritaires chez les manifestants. D’ailleurs, selon l’étude Shell, 77% des jeunes Allemands se disent satisfaits du système démocratique dans leur pays.

Une position qui se retrouve au sein des groupes plus radicaux, comme Extinction Rebellion. Ce mouvement, né en Angleterre l’année dernière, prône la désobéissance civile pour obliger les gouvernements à adopter l’état d’urgence climatique. A Berlin ces activistes ont déjà bloqué des rues ou des bâtiments publics. S’ils réclament la création de nouvelles institutions citoyennes, ils ne cherchent pas à tout renverser.

Si la démocratie parlementaire n’est pas remise en cause, les partis traditionnels ont donc peut-être une chance de regagner la jeunesse. Pour cela, Klaus Hurrelmann recommande de faire passer l’âge du droit de vote à 14 ans. Mais surtout, il encourage les partis politiques à introduire un quota de jeunes dans leurs instances dirigeantes, comme 30% de moins de trente ans par exemple. « Grâce à cela les jeunes s’impliqueraient davantage, car ils auraient des modèles à suivre », imagine le chercheur dans Die Zeit. Il préconise aussi de nouvelles institutions, comme des conseils de l’environnement. « La jeune génération n’a pas encore proposé de nouvelles manières de faire de la politique. Jusqu’à présent, ils n’ont exprimé qu’un malaise. Cependant Fridays for Future est une sorte de laboratoire expérimental. Ces militants ont fondé 500 groupes locaux et s’exercent à la démocratie directe. Peut-être qu’on verra bientôt sur le terrain comment les jeunes veulent organiser la politique de demain. »



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