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Six mois de coalition « feu tricolore »

Un tournant dans l’Histoire

Violette Bonnebas

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron et Olaf Scholz le 16 juin 2022 à Kiev, © picture alliance / ZUMAPRESS.com | Sadak Souici

19 juin 2022

À peine arrivé au pouvoir, le nouveau gouvernement allemand doit affronter la déflagration d’une guerre en Europe, un « tournant dans l’Histoire (Zeitenwende) » selon le chancelier Olaf Scholz – et ainsi de politique.

Visiblement ému, Olaf Scholz dresse les yeux vers ce qu’il reste des immeubles d’Irpine, petite ville résidentielle en banlieue de Kiev. Sans un mot, le chancelier allemand écoute le récit des bombardements russes, des familles abattues par les soldats alors qu’elles tentaient de fuir. « Cela en dit long sur la brutalité de la guerre d’agression russe, qui vise simplement à détruire et à conquérir, et c’est ce que nous devons garder à l’esprit dans tout ce que nous décidons », expliquera un peu plus tard Olaf Scholz.

Ce 16 juin 2022 marque la première visite du social-démocrate en Ukraine, quatre mois après le début de l’agression russe, six mois après son arrivée au pouvoir en Allemagne, à la tête d’une coalition inédite avec les écologistes et les libéraux-démocrates (« Ampelkoalition » / coalition feu tricolore = rouge, jaune, vert – les couleurs représentant ces partis politiques). Il s’agit de rassurer les dirigeants ukrainiens sur le soutien de l’Allemagne, régulièrement qualifié d’hésitant, voire ambigu, notamment par l’ambassadeur ukrainien à Berlin, Andrij Melnyk.

Gestes et promesses

Aux côtés du président français Emmanuel Macron, du président du Conseil italien Mario Draghi et du président roumain Klaus Iohannis, Olaf Scholz se prononce en faveur de l’octroi à l’Ukraine du statut officiel de candidat à l’adhésion à l’Union européenne – un geste symbolique qui était très attendu par Kiev. Olaf Scholz ne promet pas de nouvelles armes lourdes à l’Ukraine mais assure que des livraisons arrivent : sept obusiers blindés, des chars antiaériens Gepard avec leurs munitions. En août 2022, trois lance-roquettes multiples Mars II devraient suivre, ainsi qu’un radar de localisation d’artillerie moderne et le système de défense antiaérienne Iris T.

« Cela ne suffira pas », critique le site d’information Spiegel Online, soulignant que seul un tiers des armes promises par l’Allemagne à l’Ukraine a effectivement été livré jusqu’ici. Y aurait-il trop peu d’armes dans les stocks de la Bundeswehr ? Des lenteurs administratives ? Ou un manque de volonté politique ? Ces retards de livraisons agitent le débat public.

Changement d’époque

Une chose est sûre : le fait même que l’Allemagne livre des armes dans une zone de conflit est en rupture totale avec son pacifisme érigé en institution, hérité de sa responsabilité dans le déclenchement de deux guerres mondiales. En quelques semaines, le gouvernement allemand a fait tomber les tabous les uns après les autres : un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour moderniser la Bundeswehr, achat de drones armés, renforcement du rôle de l’Allemagne dans la dissuasion nucléaire de l’OTAN. Le pays va pour la première fois atteindre l’objectif de l’OTAN de consacrer 2 % de son PIB à son budget défense. « Nous vivons un tournant dans l’Histoire (Zeitenwende). Et cela signifie : le monde d’après n’est plus pareil que le monde d’avant », constatait Olaf Scholz le 27 février 2022, trois jours après le début de l’invasion russe, dans un discours déjà considéré comme historique.

« Toutes les certitudes de l’Allemagne en matière de politique étrangère se sont effondrées », analyse Tobias Bunde, directeur de recherche à la Conférence de sécurité de Munich. « Cela avait déjà commencé avec la présidence de Donald Trump qui avait balayé la croyance selon laquelle les Etats-Unis assureraient toujours la sécurité de l’Europe. L’agression russe en Ukraine a remis en cause deux autres principes : celle d’une sécurité européenne qui inclut la Russie même si c’est un partenaire difficile, et celle d’une capacité militaire devenue accessoire », dans l’ordre mondial issu de la fin de la Guerre Froide. Longtemps perçu comme l’angle mort de la politique allemande, l’armée doit désormais devenir « la plus grande d’Europe », selon les mots d’Olaf Scholz.

Sanctions contre le Kremlin vs intérêts économiques

La révolution en cours n’a rien d’une évidence. Le parti social-démocrate d’Olaf Scholz s’est longtemps montré très conciliant avec la Russie, notamment par intérêt économique : le gaz russe acheminé par pipeline coûte bien moins cher que le gaz naturel liquéfié américain transporté par bateau. L’ex-chancelier Gerhard Schröder avait mis tout son poids dans la balance pour l’ouverture du gazoduc Nord Stream 1 entre les deux pays, avant de rejoindre le conseil d’administration de la compagnie étatique russe Gazprom. Soutenu à la fois par le SPD et le parti conservateur, son frère jumeau, Nord Stream 2, devait entrer en fonction en 2022 – le projet – déjà contesté auparavant – a été arrêté in extremis, en guise de sanction contre le Kremlin.

« Les choses n’auraient pas changé aussi vite si l’ancienne coalition des conservateurs et des sociaux-démocrates était encore au pouvoir”, assure l’historien Jakob Vogel qui souligne « le rôle important » joué par les partenaires juniors du SPD : une nouvelle génération de politiciens allemands, issus des rangs des libéraux-démocrates du FDP, et, surtout, des écologistes. L’an passé, la Verte Annalena Baerbock, aujourd’hui cheffe de la diplomatie, n’avait cessé de mettre en garde sur les dangers que représentait le régime autocratique du président russe Vladimir Poutine et ses velléités impérialistes, mais aussi le risque pour l’Allemagne d’être prise au piège de sa dépendance économique.

Là encore, une certitude partagée par une majorité d’Allemands s’est envolée : celle d’une Russie qui fournit du gaz de façon fiable malgré les conflits, comme à l’époque soviétique. Vladimir Poutine « se sert de l’énergie comme d’une arme » pour faire chanter les pays européens qui soutiennent l’Ukraine, reconnaît le ministre de l’Economie et du Climat, Robert Habeck. Arrivé au pouvoir pour décarboner l’économie allemande, l’écologiste a dû changer de priorité du jour au lendemain : mettre fin le plus rapidement possible à la dépendance de l’Allemagne aux énergies fossiles russes, en multipliant les accords avec d’autres pays. L’Allemagne prévoit de sortir définitivement du charbon russe cet été, du pétrole russe fin 2022 et du gaz russe en 2024 – à moins, bien entendu, que le Kremlin ne coupe le robinet plus tôt.

Ambitions climatiques renforcées

Sur le moyen et long-terme, les ambitions climatiques ne sont cependant pas abandonnées. « Au contraire », observe le politologue Uwe Jun : « La guerre en Ukraine a donné une motivation supplémentaire à passer aux énergies renouvelables, comme cela était prévu au départ dans le contrat de coalition ». Nouvelles lois de déploiement de l’éolien et du solaire, soutien à l’hydrogène, grande campagne sur les économies d’énergie… « Il y a une vraie volonté politique et l’opinion publique suit, juge Manfred Fischedick, directeur scientifique de l’Institut de Wuppertal pour le Climat. Avant la guerre, on n’était pas pris au sérieux lorsqu’on disait que les renouvelables permettent d’assurer la sécurité de l’approvisionnement en énergie. Aujourd’hui, c’est devenu l’argument numéro 1. »

Si l’Allemagne a mis le turbo sur la politique énergétique, elle a en revanche davantage tardé à réagir face à l’inflation causée par les conséquences de la crise du Covid-19, la désorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales et la guerre en Ukraine. Un vaste plan d’aide de 15 milliards d’euros est finalement entré en vigueur le 1er juin, incluant des primes aux ménages, un rabais sur les prix à la pompe et un ticket mensuel à 9 euros pendant trois mois pour les transports publics et valable pour toute l’Allemagne. Au mois de mai 2022, l’inflation s’élevait au niveau record de 7,9 % sur un an, contre 5,2 % en France. Et ce n’est pas fini : « Nous allons devenir plus pauvres », a prévenu Robert Habeck.

La popularité des Verts

Un ton franc qui tranche avec la communication feutrée des précédents gouvernements… et séduit manifestement une majorité d’Allemands. Robert Habeck est aujourd’hui la personnalité politique préférée des Allemands, avec sa collègue aux Affaires étrangères Annalena Baerbock. Une popularité qui semble donner des ailes à leur parti : d’après le dernier sondage publié par la chaîne de télévision ZDF, les Verts sont crédités de 25 % des voix, au coude-à-coude avec le parti conservateur d’opposition, la CDU. Le SPD est mesuré à 22 %, soit près de 4 points de moins que leur score des dernières élections. Le FDP chute à 6 %, contre 11,5% obtenus en septembre dernier.

En demi-teinte

Trois élections régionales, à valeur de test pour la nouvelle coalition, ont déjà eu lieu en 2022. Les résultats sont en demi-teinte pour la coalition.

Anke Rehlinger, ministre-présidente de la Sarre, © Staatskanzlei / Oliver Dietze

La Sarre

Le SPD a largement remporté la première d’entre elles, le 27 mars en Sarre, avec 43,5 % des voix. Dans cette petite région frontalière de la France, le parti de centre-gauche du chancelier Olaf Scholz a notamment bénéficié de la dynamique de sa victoire aux élections législatives fédérales, quelques mois plus tôt. À l’inverse, la CDU sortante a été sanctionnée pour sa gestion locale de la crise du Covid-19, jugée erratique par une majorité de Sarrois. Ce triomphe enregistré par le parti social-démocrate lui permet de reprendre une région perdue au profit de la droite conservatrice en 1999, mais aussi de diriger le Land seul – une situation actuellement unique en Allemagne.

Daniel Günther, ministre-président du Schleswig-Holstein

Le Schleswig-Hostein

Le SPD n’a toutefois pas transformé l’essai. Dans le Land rural du Schleswig-Holstein, la popularité du ministre-président conservateur sortant, Daniel Günther, a fortement contribué à la victoire de la CDU : elle a rassemblé 43,4 % des suffrages le 8 mai. Avec 16 %, le SPD a reculé de 11 points par rapport aux élections précédentes de 2017. Le parti du chancelier n’est arrivé qu’en troisième position derrière le parti écologiste des Grünen/Bündnis 90, perçu comme l’autre grand vainqueur de ces élections. Contrairement au SPD en Sarre, la CDU du Schleswig-Holstein a cependant besoin de former une coalition pour gouverner. Des négociations en ce sens avec les écologistes (et sans le FDP, malgré le souhait de Daniel Günther) ont été entamées le 15 juin 2022.

Hendrik Wüst, ministre-president de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, © Land NRW / Anja Tiwisina

La Rhénanie-du-Nord-Westphalie

Le scénario est le même en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où la CDU est reconduite pour cinq années supplémentaires à la tête du Land le plus peuplé d’Allemagne. Loin de ses objectifs, le SPD y a enregistré son plus mauvais score depuis la Seconde guerre mondiale, avec 26,6 %, soit neuf points derrière le centre-droit. Quant aux Verts, ils ont triplé leur score avec 18,2 % des suffrages. Comme dans le Schleswig-Holstein, c’est donc une coalition écolo-conservatrice qui s’apprête à prendre les rênes de la première région industrielle du pays. Le ministre-président sortant, Henrik Wüst, doit être réélu par le parlement régional le 28 juin 2022.

La défaite du FDP

Enfin, pour le parti libéral-démocrate du FDP, le troisième membre de la coalition fédérale, les résultats de ces scrutins sonnent comme un avertissement. En Rhénanie-du-Nord-Westphalie et dans le Schleswig-Holstein, où la formation pro-business était aux manettes depuis 2017 en tant que partenaire junior de la CDU, elle a enregistré une sévère défaite et regagné les bancs de l’opposition. En Sarre, le FDP n’est même pas parvenu à faire son entrée au parlement régional.

En attendant la Basse-Saxe

Le prochain test électoral aura lieu le 9 octobre 2022 dans le Land de Basse-Saxe, bastion du SPD. Le dernier sondage réalisé en mai par l’institut Forsa donne le parti social-démocrate en tête avec 33 %, contre 37 % obtenus en 2017. Les conservateurs arriveraient seconds tandis que les écologistes confirmeraient leur dynamique nationale avec 19 %, contre 8,7 % lors du précédent scrutin.

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