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Paroles de témoin

À travers la lunette d’un diplomate allemand

Dirk Brengelmann

E. Macron en visite à La Haye, 23 juin 2020 (Copyright Imago)

16 janvier 2024

Tous les diplomates allemands savent l’importance de la relation franco-allemande et le rôle que celle-ci joue dans le processus de construction européenne. Mais chacun d’entre eux la vit différemment, à un moment différent et dans un lieu et contexte différents. La somme des expériences que j’ai pu faire durant ma carrière le confirme. Il en va de même pour mes collègues allemands.

Mon premier « contact » avec la France remonte à l’époque où j’étais numéro 2 à l’Ambassade de Port-au-Prince (Haïti). C’était entre 1987 et 1989, après la dictature de Duvalier père et fils, le premier étant connu sous le nom de Papa Doc, le second sous celui de Baby Doc. Le pays était alors marqué par une grande agitation politique et de temps à autre, par des coups d’État orchestrés par les forces militaires. La question d’une évacuation des ressortissants étrangers flottait dans l’air. Les Américains semblaient bien préparés mais n’en parlaient pas ouvertement. J’étais chargé d’affaires à l’éte 1988, un été particulièrement agité. L’Ambassadeur de France, Michel de Fournière, et son représentant, un ex-militaire, me promirent alors qu’en cas d’évacuation – la France s’y préparait depuis ses territoires des Caraïbes –, ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour prendre les ressortissants allemands. En prévision de cette évolution, on me remit une radio de l’Ambassade. Celle-ci me permit de participer aux échanges entre cette même Ambassade et les représentants de la gendarmerie française qui se trouvaient sur place. Je vis dans cette décision une grande marque de confiance, un étai émotionnel aux relations de travail, du reste étroites, que j’entretenais avec nos collègues français. N’est-ce pas dans les moments difficiles que l’on reconnait ses amis ?

La coopération franco-allemande au sein de l’UE et de l’OTAN

La coopération avec la France fut au cœur des postes que j’occupai par la suite, aussi bien lorsque j’étais chargé de mission UEO que lorsque j’étais correspondant européen adjoint au ministère des Affaires étrangères (entre 1989 et1992 et entre 1992 et 1997). C’était l’époque du traité de Maastricht et de Kohl et Mitterrand. Nous travaillions de manière très étroite. Ces années furent marquées par de grandes initiatives et des avancées européennes majeures au sein de l’UE, les jalons les plus importants ayant étant posés par la dynamique déployée par nos deux pays.

Coopérer avec mes collègues français dans le cadre de l’OTAN ne coulait pas de source, la coopération avec les États-Unis, notre plus important allié sur les plans politiques et militaires, occupant traditionnellement le devant de la scène. En tant qu’envoyé auprès de la Représentation allemande de l’OTAN (2008-2010), j’ai travaillé de façon particulièrement intense avec mon collègue français, Marc Abensour, notamment en amont du sommet de Strasbourg/Kehl (2009) organisé conjointement par la France et l’Allemagne. C’est à cette occasion que fut décidé le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN (participation qui, on s’en souvient, avait été stoppée par de Gaulle). La relation de confiance personnelle que j’entretenais avec mon collègue fut souvent mise à l’épreuve car il n’était pas rare que nos deux pays abordent les dossiers depuis une perspective différente. Lorsqu’il s’agissait de passer à la négociation, nous veillions toutefois à rapprocher nos positions et à formuler des propositions communes, comme par exemple dans le cas de la question très controversée des interactions entre capacités militaires et civiles au sein et dans le cadre des missions de l’OTAN. La diplomatie est aussi une affaire d’acteurs et dans ce cas précis, la relation personnelle que nous entretenions s’accompagnait de la même motivation politique, celle d’avancer en amont du sommet.

Sommet de l’OTAN 2009 (Copyright Wikimedia Commons)

Le pendant allemand à Strasbourg était Baden-Baden, la ville dans laquelle le dîner des chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN eut lieu. Le nom de Baden-Baden ne devait toutefois pas apparaître dans celui du Sommet (et ce, même si Kehl n’avait que servi de coulisse à une photo de groupe sur un pont enjambant le Rhin). La France voulait absolument l’éviter. Il nous a fallu longtemps pour en comprendre les raisons. Plus tard, j’ai appris que c’est là que le président de Gaulle y avait trouvé refuge pendant quelques heures en mai 68. Cela semblait gêner nos amis français.

Le Brexit fait de Paris un interlocuteur incontournable

La France resta un interlocuteur de premier plan dans mes affectations suivantes. La coopération avec mes collègues français à La Haye (2016-2021), Philippe Lalliot et Luis Vassy, fut particulièrement importante au plan bi- et multilatéral. Au plan multilatéral, nous avons étroitement coopéré dans le cadre des travaux des tribunaux internationaux. Nos deux représentations avaient pris en charge la coordination du groupe dit du WEOG (Western European and Others Group) et travaillaient de façon rapprochée en vue d’une réforme de la Cour pénale internationale et de la nomination d’un nouveau procureur en chef pour cette même Cour.

La Cour pénale internationale à La Haye (Copyright Depositphotos)

Au plan bilatéral, c’est-à-dire pour ce qui est des relations de nos deux pays avec les Pays-Bas, agir et s’afficher ensemble ne coulait pas de source. Les Pays-Bas avaient pour habitude de se tourner vers Londres ou Bonn / Berlin lorsqu’il s’agissait de se positionner sur les dossiers européens et internationaux ou de chercher des partenaires. Le Brexit changea la donne. Paris devint alors une adresse de référence, chose qui se manifesta également au niveau de la relation Macron – Rutte. Sur place, c’était très sensible.

Mes collègues français et moi sommes intervenus à l’université, dans des commissions parlementaires, etc, pour expliquer aux Néerlandais notre engagement en et pour l’Europe. Ce fut notamment le cas dans le cadre de la pandémie. Cette coopération suscita beaucoup de réserves et d’inquiétudes, nombreux étaient en effet ceux qui craignaient alors une mise sous tutelle des autres États européens. Il nous fallut en expliquer les raisons. Ce fut particulièrement patent lorsque l’Ambassadeur Vassy et moi publièrent une lettre commune dans le journal AD appelant à une réponse européenne à la pandémie. Certains citoyens ne manquèrent pas de s’en offusquer : comment se fait-il que l‘Ambassadeur d’Allemagne fasse cause commune avec les Français, eux qui ont pour habitude de dépenser plus d’argent qu’ils n’en gagnent ? Cette lettre fut rédigée juste avant la proposition du président Macron et de la chancelière Merkel pour un fonds européen de relance. L’initiative en revenait aux deux ambassadeurs ; Paris et Berlin en saluèrent la publication.

Les élites néerlandaises réagirent de façon mitigée. Certains étaient d‘avis que les deux ambassadeurs n’avaient pas à s’exprimer conjointement. Ce fut notamment le cas de ceux qui n’avaient de cesse de manifester des réserves quant au rôle que les deux plus grandes nations d’Europe jouaient en Europe. D’autres, la plupart comme je pus le remarquer dans le cadre d’entretiens bilatéraux, se félicitaient que la France et l’Allemagne fassent preuve de leadership.

Nous fîmes également cause commune pour tenter d’influencer la politique éducative néerlandaise sur la question de l’enseignement de la deuxième langue étrangère. Le succès ne fut toutefois pas au rendez-vous, les moyens à la disposition du gouvernement étant limités, comme on ne manqua pas de nous le faire savoir. La coopération avec mon collègue français était bien visible de l’extérieur, à tel point que l’ambassadeur américain, un partisan de Trump, lui voua une attention particulière et de temps en temps, une malveillance quelque peu déplacée.

Prendre en compte les intérêts des autres

Mon expérience personnelle m‘a convaincu que l’Europe ne peut jouer un rôle au niveau global que si elle parle d’une seule et même voix. Pour cela, la coopération franco-allemande reste essentielle et indispensable, mais à l’avenir, elle devra probablement s’appuyer encore plus sur la Pologne, tout en gardant à l’esprit les intérêts des autres. La France et l’Allemagne sont d’une certaine manière condamnées à travailler ensemble mais elles doivent en même temps prendre au sérieux les craintes exprimées par d’autres face à une sorte de directoire. L’équation n’est pas simple, mais les deux pays n’ont d’autre choix que s’évertuer à la résoudre.

L’auteur

Dirk Brengelmann (Copyright Dirk Brengelmann)

Dirk Brengelmann a étudié l’économie, la gestion d’entreprise et l’histoire à Heidelberg et Hambourg. De 1980 à 1984, il a travaillé à la Westdeutsche Landesbank avant de rejoindre le Service des Affaires étrangères. Après avoir occupé plusieurs postes en Allemagne et à l’étranger, il a été chargé de mission politique à Londres et à Washington, correspondant européen adjoint, chef de cabinet adjoint à l’OTAN et chef de service à la Chancellerie et au ministère des Affaires étrangères. En 2008, il est devenu adjoint du Représentant permanent auprès de l’OTAN et, en 2010, secrétaire général adjoint de l’OTAN. Il a ensuite été chargé de mission pour la cyberpolitique et la politique étrangère et ambassadeur bilatéral au Brésil et aux Pays-Bas.

Après avoir quitté le service diplomatique en 2021, Brengelmann a accepté un poste d’enseignant à l’Institut de sciences politiques de l’Université de Bonn. Il est également Senior Fellow au Centre for Advanced Security Strategic and Integration Studies, Doyen du Global Diplomacy Lab à Berlin et Commissaire de l’International Commission for Missing People.

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