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Tournant énergétique allemand

Sur des charbons ardents

Déborah Berlioz

La mine à ciel ouvert de Hambach à Elsdorf depuis la terrasse du Forum :terra nova, © dokdoc.eu

21 février 2020

La sortie du charbon prend forme en Allemagne. Cependant le plan de route, clairement en faveur des énergéticiens et des bassins miniers, est loin de faire l’unanimité.

La date est enfin fixée. La dernière centrale au charbon d’Allemagne sera fermée en 2038, voire en 2035 si possible. Le texte de loi a été approuvé en Conseil des ministres le 29 janvier dernier. Il faut dire que l’Allemagne n’avait pas trop le choix car elle ne tiendra pas ses objectifs climatiques pour 2020. Les émissions de CO2 devaient en effet diminuer de 40 % par rapport à leur niveau de 1990. Selon les calculs de l’Institut allemand d’économie (DIW), la baisse ne devrait cependant atteindre que 33,2 %. Et si rien n’est fait, l’objectif de 55 % d’émissions en moins en 2030 restera également un vœu pieu.

Si les transports et l’habitat ont leur part de responsabilité dans la pollution de l’air, la production électrique est l’un des principaux coupables. Certes, la part du charbon dans cette production est en baisse, mais elle était encore de 29 % l’année dernière. Par ailleurs, la majeure partie des centrales allemandes tournent au lignite, un type de charbon particulièrement polluant. Si l’Allemagne veut tenir ses engagements climatiques, elle doit donc dire adieu au charbon le plus vite possible.

En 2018 le gouvernement a mandaté 28 experts, acteurs économiques, politiques ou spécialistes de l’environnement pour préparer la sortie de cette énergie polluante. Après sept mois de discussions, la commission charbon s’est mise d’accord sur une feuille de route. Elle préconise de commencer l’arrêt des centrales dès 2020, afin d’en finir au plus tard en 2038. « C’est un compromis à minima », précise Juliane Dickel de l’association environnementale BUND. Présente à la table des négociations, cette organisation milite pour un abandon total dès 2030. « Sans cela nous ne pourrons pas tenir les accords de Paris de 2015, continue l’experte. Cependant nous avons soutenu le plan de la commission car le plus important est d’entamer le processus au plus vite. »

Le blocage des Länder

Il aura fallu un an au gouvernement pour transformer ces recommandations en texte de loi. Il faut dire que les négociations n’étaient pas aisées avec les énergéticiens et les représentants politiques des quatre Länder concernés par l’exploitation du charbon (Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Brandebourg, Saxe et Saxe-Anhalt). « Le climat n’est pas vraiment au cœur des préoccupations des politiques locaux, estime Juliane Dickel. Ils veulent avant tout défendre les intérêts économiques de leur région. » Donc plus on sort tard du charbon, plus on préserve les emplois, mieux c’est. Sans compter que cela se vend mieux aux électeurs. Un point non négligeable, surtout dans les trois Länder de l’Est où les populistes de l’AfD menacent largement les partis traditionnels.

Panorama de la mine de Hambach, © dokdoc.eu

Le texte de loi détaille donc un calendrier de fermeture des centrales au lignite. La première centrale sera déconnectée dans l’ouest du pays dès le 31 décembre 2020. Des capacités de 2,8 gigawatts seront mises hors service d’ici à 2022, pour atteindre 5,7 gigawatts d’ici avant 2030. En échange, les énergéticiens recevront des indemnisations à hauteur de 4,35 milliards d’euros. Quant aux centrales alimentées par la houille, elles seront arrêtées dans le cadre de procédures d’appels d’offres. L’Etat fédéral prévoit également d’injecter plus de 40 milliards d’aides structurelles aux Länder concernés pour accompagner la transition et financer la formation ou le départ en pré-retraite des quelques 20 000 employés du secteur.

Désillusion des associations

Si cet accord est « un grand succès » pour le ministre de l’économie Peter Altmaier, c’est la désillusion qui prime du côté des associations environnementales. Dans un communiqué huit anciens membres de la commission charbon se disent trahis. « Le texte final est très différent du compromis trouvé l’an dernier », résume Barbara Praetorius, ex-présidente de la commission. La principale critique concerne le rythme de cette sortie du charbon. « La Commission avait recommandé une sortie très progressive. Des capacités de 2 GW devaient être arrêtées chaque année. Finalement, presque la moitié des centrales aux lignites ne seront fermées qu’après 2035, déplore Juliane Dickel. Pourtant de nombreuses centrales ne seront déjà plus rentables avant cette date, notamment à cause de la hausse des prix du carbone sur le marché européen. Sans ce plan elles auraient donc probablement fermé plus tôt. C’est absurde. »

Sans compter que ce ralentissement causera plus d’émissions polluantes que le plan initial. Selon les estimations du DIW, 134 millions de tonnes de CO2 supplémentaires seront ainsi rejetées dans l’atmosphère entre 2020 et 2040. Par ailleurs éteindre trop de centrales d’un coup « met en péril le système électrique, assure Barbara Praetorius. Des arrêts progressifs permettent  de vérifier au fur et à mesure que le système peut le supporter et de faire des ajustements nécessaires. »

La victoire de RWE & co

Et c’est loin d’être la seule victoire remportée par les énergéticiens. Si RWE doit renoncer à abattre la forêt de Hambach en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, il peut toutefois continuer à étendre sa mine de lignite à ciel ouvert de Garzweiler, ce qui implique le déplacement de plusieurs villages. Des destructions complètement inutiles selon un rapport du DIW commandé par la BUND. Même en conservant les villages, RWE pourrait extraire 801 millions de tonnes de lignite des mines de Garzweiler et de Hambach, soit plus que les 736 millions nécessaires pour faire tourner ses centrales jusqu’en 2038. Autre ligne rouge franchie : une nouvelle centrale à charbon, Datteln 4, sera mise en service cet été près de Dortmund.

Malgré tous ces succès, les énergéticiens vont recevoir des dédommagements conséquents. « La somme en soi ne me choque pas, explique Barbara Praetorius. C’est le montant auquel je m’attendais si le planning de fermeture recommandé par la commission était suivi. Mais là les énergéticiens reçoivent de l’argent sans contrepartie. » Le plus grand scandale concerne la société Leag. Elle doit être indemnisée à hauteur de 1,75 milliards d’euros pour l’arrêt prématuré de ses centrales dans l’est du pays. Pourtant, selon des documents révélés par le Spiegel, l’entreprise avait déjà prévu de fermer ses centrales aux dates prévues par le texte de loi.

Les excavateurs à roue-pelle géants utilisés dans la mine à ciel ouvert font 240 mètres de long et près de 100 mètres de haut, pour un poids de 13 500 tonnes. © RWE

Des renouvelables à la traîne ?

Dans tous les cas, pour sortir du charbon, il faut aussi développer les énergies renouvelables. Alors certes, à première vue les chiffres sont encourageants. 46 % de la production électrique venaient des énergies vertes en 2019. Toutefois cela ne doit pas cacher une réalité moins réjouissante : le développement des énergies renouvelables s’est considérablement ralenti. Seules 325 éoliennes terrestres ont été mises en service l’année dernière. La situation est telle que le constructeur Enercon a annoncé des centaines de licenciement. « Et au lieu d’encourager le développement des énergies renouvelables, les responsables politiques parlent d’établir une distance fixe d’un kilomètre entre les éoliennes et les habitations », critique Juliane Dickel. Si cette mesure passe, cela réduira de 40 % les surfaces éoliennes potentielles.

Si rien n’est fait, la part des énergies renouvelables dans la production électrique ne dépassera pas les 49 % en 2030, soit bien en dessous des 65 % visés par le gouvernement. « Il faut absolument simplifier les procédures pour la construction », demande Juliane Dickel. Quant à Barbara Praetorius, elle recommande de faire davantage participer les citoyens aux projets afin d’en augmenter l’acceptation et d’éviter les recours en justice contre ces constructions.

Le dossier est donc loin d’être clos. « Le compromis adopté par la Commission permettait de résoudre un conflit social. Mais le projet du gouvernement l’a relancé », regrette Barbara Praetorius. Et la lutte contre le charbon a son nouveau symbole : Datteln 4. Début février, la centrale a été occupée par des militants d’Ende Gelände (« Terminus ») .

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