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Wokisme

Qui a peur de l’homme noir ?

Pascal Reine-Adelaide

« La forêt noire (Schwarzwald) restera-t-elle noire ? » demandent les polémistes. © Thomas Griesbeck, Unsplash

29 août 2021

À Berlin, la BVG (Berliner Verkehrsbetriebe), l’équivalent berlinois de la RATP, a décidé de rayer de son lexique le terme traditionnel de la langue allemande « schwarzfahren » (frauder dans les transports publics).

Cette initiative répondrait ainsi à une communication plus moderne et moins discriminante envers la population noire et reprendrait les directives d’un programme du Sénat Berlinois protégeant les diversités.

Traditions et politiquement correct

Les sociétés occidentales ont encore profondément tatoué dans leur chair, des traces de leur Histoire et culture coloniale. Ces traces se lisent encore parfois aujourd’hui dans l’emploi de mots du quotidien, de la littérature, et des traditions.

En septembre 2020, à l’occasion de la réédition française du roman le plus vendu d’Agatha Christie, intitulé originalement les Dix petits nègres (Zehn kleine Negerlein), l’un des héritiers de la célèbre autrice estimait que le titre et l’utilisation du mot « nègre » dans le livre n’étaient plus appropriés.

Un coup de marketing ? Sans doute, car de fait ce titre et le mot “nègre” dans le livre n’étaient déjà plus utilisés depuis de longues années aux USA, en Angleterre, en Allemagne et dans beaucoup de pays européens – sauf en France.

C’est en France justement, qu’une vive polémique est née de ce revirement, et certains, dont l’ancien président Nicolas Sarkozy, voyaient en ce changement de terminologie une victoire du politiquement correct : « C’est fou, aujourd’hui on ne peut plus rien dire sans craindre d’offenser quelqu’un ! »

Noir comme la nuit

Il n’y a pas si longtemps que ça, en Allemagne, on pouvait encore commander des Negerküsse (baisers de nègres) délicieux gâteaux faits de chocolat et de meringue… L’équivalent tout au moins pour le nom, des « têtes de nègres » françaises. Ce terme a définitivement disparu : depuis plusieurs décennies, on les appelle Schokoküsse. En revanche, la Mohrenstraße (la rue des Maures) à Berlin, quant à elle, n’a changé de nom – après de longues discussions – qu’en 2021, pour devenir la Anton-Wilhelm-Amo-Straße.

Depuis 2021, la Mohrenstraße (la rue des Maures) à Berlin s’appelle Anton-Wilhelm-Amo-Straße, © Andrew Baumert, Shutterstock

Dans les cours de récréation, on jouait jadis au jeu Der Schwarze Mann, dont la phrase-clé « Wer hat Angst vorm schwarzen Mann? » (qui a peur de l’homme noir ?) est toujours très connue en Allemagne.

En Suisse alémanique, un parent à la peau noire fit remarquer que ce jeu, encore proposé par un enseignant, était offensant pour son fils métis et lui-même. Le corps enseignant s’offusqua de cette remarque « disproportionnée et illégitime », avant qu’une polémique naisse et amène dans un grand rétro-pédalage épique, les autorités du Canton à s’excuser platement…: « Oui, ce jeu pouvait effectivement prêter à confusion ! »

Malcom X dans sa biographie notait déjà il y a plus d’un demi-siècle que le noir, la couleur noire était systématiquement associé au négatif et ce dans presque toutes les langues occidentales.

Le marché noir en français, Schwarzmarkt en allemand ; travailler au noir, schwarzarbeiten ; voir les choses en noir, schwarzsehen ; la caisse noire, schwarze Kasse ; noire comme la nuit, schwarz wie die Nacht… Les exemples sont multiples.

A l’inverse, le blanc est presque toujours symbole de pureté, de bienveillance, de propreté et souvent connoté positivement (exemple : le drapeau blanc, die weiße Fahne). Faites les comptes !

© Shutterstock

Noir et blanc

Dans un contexte lexical si biaisé, il n’est finalement pas étonnant que certaines personnes de couleur aient quelques difficultés à se construire une identité positive…

Certes, les plus tatillons relèveront que bonne partie de ces expressions naquirent alors que la présence d’une population noire en occident était faible. Les travaux d’historiens ont démontré cependant que l’homme noir a de tous temps été très souvent ostracisé par sa couleur de peau.

Ce biais s’appuyant sur une échelle de couleurs allant du blanc positif au noir négatif. Certains activistes ont même interprété pendant un temps, la prétendue couleur noire de Caïn comme la marque de la damnation éternelle jetée par Dieu au peuple noir !

Paradoxalement au sein de ces mêmes communautés noires, les individus à la peau plus claire sont toujours mieux considérés; encore, l’étude de certaines populations africaines, afro-caraïbéennes, afro-américaines montrent que plus les couleurs de peau s’éclaircissent, meilleurs sont les conditions de vie et statuts sociaux.

« Dans le bon sens »

La BVG n’a rien inventé. La MVG (Münchner Verkehrsgesellschaft), son équivalent munichois, et le VGN (Verkehrsverbund Großraum Nürnberg) à Nuremberg avaient déjà révisé leur lexique bien auparavant. D’autres institutions avant elles ont également « nettoyé » leur vocabulaire et leur langage de communication, voire pour certaines jusqu’à créer des programmes d’insertion et de meilleure intégration ; ceci afin de veiller au respect de toutes les communautés.

Les membres de l’ISD (Initiative Schwarze Menschen in Deutschland), une association qui travaille à une meilleure prise en compte des questions liées aux femmes et hommes noirs en Allemagne, ne s’y trompent pas. S’ils relèvent que le terme  « schwarzfahren » n’était pas « forcément raciste », ces initiatives de la BVG et d’un grand nombre d’institutions ou d’entreprises européennes vont cependant, notent-ils, « dans le bon sens ».

P.-s. l’adjectif schwarz du verbe schwarzfahren provient du mot juif shbarts qui signifie pauvre (arm) et désignait les voyageurs étant trop pauvres pour pouvoir s’acheter un billet (Schwarzfahrer). Peu importe.

Le mot à ne pas dire

La candidate à la chancellerie allemande en 2021 et co-présidente des verts, Annalena Baerbock, a dû faire face à une polémique, en voulant évoquer à ses yeux le racisme structurel du contenu éducatif proposé aux écoliers allemands. Elle a prononcé lors d’une interview le « N-Wort » (n-word, comprendre le mot Nègre/Neger) trouvé dans le manuel scolaire d’un de ses enfants. Elle a fini par se perdre pour finalement se noyer dans des excuses emberlificotées.

Résultat : un shitstorm sur Internet notamment déclenché par la droite et les critiques des Verts pour les stigmatiser en personnes pas si vertueuses que cela en termes de racisme. Cette polémique autour de l’utilisation du N-Wort n’est pas nouvelle et sujette à grands débats: Non, ce mot ne peut être utilisé car il est dénigrant et raciste.

Si certains artistes et activistes noirs – Aimé Césaire / Léopold Sédar Senghor et la négritude, James Baldwin, Gil Scott Heron – revendiquent au cours de l’Histoire son utilisation, c’est justement pour mieux conjurer son caractère discriminatoire et en tirer une source de fierté (à rapprocher de ce que certains homosexuels firent en se réappropriant le terme « pédé »): « Oui, je suis Nègre et fier d’être celui que vous n’aimez pas ! Fier d’être celui qui vous effraie ! Mais je ne suis pas ou plus votre Nègre ! » (D’après un documentaire de Raoul Peck consacré à James Baldwin : ,I am not your negro’ ».

Pascal Reine-Adelaide

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1 Kommentare/Commentaires

  1. Les albinos seraient donc bien considérés en Afrique ? Ce n’est pas ce que j’ai appris, c’est peut-être une exception à la règle dont vous parlez (peau plus claire !).

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