Cinquième anniversaire du traité d'Aix-la-Chapelle
« Revenez sur terre et voyez comment le citoyen ordinaire vit l’amitié franco-allemande »
23 janvier 2024
Stefan Raetz est un (ancien) élu local. Il s’engage depuis de nombreuses années en faveur des relations franco-allemandes, emmène des élèves de sa ville à Verdun et travaille à l’approfondissement des relations bilatérales au plan local. À l’occasion du cinquième anniversaire du Traité d’Aix-la-Chapelle, dokdoc met en lumière l’engagement d’un homme de terrain, de conviction et d’action.
dokdoc : il y a quelques jours, la France et l’Allemagne ont fêté le cinquième anniversaire du traité d’Aix-la-Chapelle. Quel regard l’élu local porte-t-il sur cet anniversaire ?
Stefan Raetz : l’élu local s’en félicite et éprouve une certaine fierté, même s’il est certain que le traité pourrait être appliqué avec un peu plus d’entrain.
dokdoc : les choses n‘ont pas toujours été simples entre nos deux pays au cours des cinq dernières années. Quelles en sont les raisons et où peut-on mieux faire ?
Stefan Raetz : ça patine toujours là où les hommes politiques devraient prendre leur responsabilité. Les deux pays ont certes les mêmes objectifs mais j’ai parfois l’impression que des jalousies persistent. Je souhaiterais simplement que l’on se réunisse sans publicité, que l’on discute des thèmes qui nous importent et que l’on dise ensuite : nous nous sommes concertés ; voilà notre feuille de route.
dokdoc : de votre point, quels sont aujourd’hui les moteurs de la relation franco-allemande ?
Stefan Raetz : les jumelages, sans le moindre doute, parce qu’ils ont donné naissance à de très nombreuses amitiés, certaines d’entre elles ont même duré des décennies. Et là, on se situe au niveau le plus bas de la relation. Et bien sûr, cette multitude de contacts personnels dont nous ne prenons pas toute la mesure. Ce sont pour moi des moteurs très importants en plus, et il ne faut pas l’oublier, des évènements culturels.
dokdoc : vous organisez tous les ans des voyages scolaires à Verdun avec l’association de Rhein « Partnerschaft des Friedens Rheinbach-Douaumont/Vaux ». Ce genre de choses ne fait pas forcément partie du travail d’un élu local. Qu’est-ce qui vous anime ?
Stefan Raetz : j’organise ce voyage depuis cinq ans. Avant, je le faisais de façon moins intense. Nous sommes maintenant bien organisés. Nous allons trois fois par an à Verdun et Douaumont, pour deux jours. Le bus est toujours rempli. Cela représente un total d’environ 120 jeunes par an. Je me suis fixé pour but d’y amener chaque élève de Rheinbach qui en exprime le souhait. Les choses se jouent au niveau émotionnel. Il s’agit de faire comprendre aux jeunes ce que signifie « l’entente entre les peuples. » Quiconque se rend à Verdun comprend que faire la guerre est une folie. La jeunesse est notre avenir et il est de notre devoir de faire comprendre aux jeunes que la paix ne va pas de soi et qu’elle est née de la confiance et du rapprochement entre deux pays autrefois ennemis et que c’est maintenant à eux, aux jeunes, de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que cela ne change pas.
dokdoc : comment les choses se passent-elles sur place ? Quel est le programme ?
Stefan Raetz : nous nous rendons à l’Ossuaire de Douaumont et nous arrêtons longuement au Cimetière national : 16 000 croix, c’est quelque chose ! Quand on a été là, on imagine ce qui a pu se passer, et quand vous leur dîtes que les soldats n’étaient pas beaucoup plus âgés qu’eux, ça les fait vraiment réfléchir. Nous allons aussi dans les tranchées, échangeons avec des élèves de Verdun et organisons des ateliers de discussion le soir. Sur le chemin du retour, je vois toujours les mêmes visages : quelque chose s’est passé, les jeunes ne sont plus les mêmes. C’est ce qui m’anime.
dokdoc : Rheinbach compte environ 27 000 habitants ; Douaumont-Vaux est un village né en 2019 de la fusion de Douaumont, détruit pendant la Première Guerre mondiale, et de Vaux-. devant-Damloup. La commune compte aujourd’hui 79 habitants. Comment fonctionne ce partenariat et quels sont vos objectifs ?
Stefan Raetz : oui, c’est quelque chose : un jumelage entre une toute petite commune et une ville nettement plus grande. En fait, je voyage depuis de très nombreuses années avec le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge et à un moment donné, je me suis lié d’amitié avec le maire de Douaumont-Vaux, Armand Falque, et avec le directeur de l’Ossuaire, Olivier Gérard. Un soir, on a eu l’idée de faire un jumelage. Verdun n’est pas jumelée et se considère avant tout comme la capitale mondiale de la paix. La ville est en quelque sorte jumelée avec toutes les autres villes attachées à la paix. Le jumelage de la paix avec Douaumont-Vaux est un jumelage tout à fait particulier car Douaumont-Vaux est la plus petite commune de France et parce qu’elle ne sera jamais rattachée à un autre endroit. Pour tout un Français, ces deux deux lieux sont indissociablement liés à la souffrance de la bataille de Verdun. Le rapprochement s’est fait sur la base d’un objectif : créer un partenariat au service de la paix, non pas un jumelage classique, mais un jumelage de la paix. C’est pourquoi l’acte de fondation stipule qu’il s’agit d’entretenir et de renforcer les contacts et l’amitié, d’organiser des rencontres. Et c’est ce que nous faisons.
dokdoc : vous avez été maire de Rheinbach pendant plus de 20 ans, êtes un acteur clef du jumelage avec Villeneuve-lès-Avignon et participez régulièrement à des rencontres communales franco-allemandes. Quels sont les besoins des communes françaises et allemandes ? Et quelle importance revêtent les jumelages entre villes et communes aujourd’hui en Europe ?
Stefan Raetz : les jumelages entre villes offrent tout simplement la possibilité de vivre l’Europe à un niveau local et personnel. Ça ne sert à rien que les gouvernements se concertent si les populations ne sont pas impliquées.
Les besoins des communes françaises et allemandes sont pratiquement identiques. Nous faisons aujourd’hui face aux mêmes défis : changement climatique, adaptation au climat, migration. Au fond, les mêmes questions se posent : comment intégrer les personnes qui trouvent refuge chez nous ? C’est là que l’Allemagne peut apprendre de la France, que la France peut apprendre de l’Allemagne, et que l’on peut développer des stratégies communes. Nous avons également le thème du manque de main-d’œuvre, du clivage ville-campagne. Les jumelages entre villes peuvent permettre d’apporter des réponses à ces questions, simplement parce que l’on se connaît très bien et que les choses se passent à un niveau privé, loin de la grande politique.
dokdoc : à propos de grande politique. On le sait : le contact passe mal entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz. Dans quelle mesure des projets tels que les vôtres peuvent-ils contribuer à améliorer les choses ?
Stefan Raetz : nous attendons de nos gouvernements respectifs qu’ils s’emparent des dossiers avec la volonté de trouver des solutions et qu’ils ne se contentent pas de parler des problèmes. J’espère que cette année, 40 ans après la poignée de main de Verdun, Macron et Scholz se rendront à Douaumont et donneront un signe fort d’amitié. Au niveau local, nous sommes moins politiques. Peu importe quelle majorité détient la mairie. Nous sommes avant tout des citoyens, des amis. Je dirais à Scholz et Macron : revenez sur terre, voyez les jumelages, voyez comment le citoyen ordinaire vit l’amitié franco-allemande.
dokdoc : outre les relations franco-allemandes, vous êtes également bénévole notamment dans l’association « Togo-Hilfe Rheinbach ». Comment s’articulent les deux aspects de votre engagement ?
Stefan Raetz : oui, je suis également actif au Togo, un pays francophone. Ce qui est important pour moi, c’est l’éducation, les jardins d’enfants, les écoles, et je le fais depuis plus de 20 ans. Pour revenir à votre question : au Togo aussi, les gens veulent vivre en paix, sans peur. Mais là, il y a aussi d’autres besoins fondamentaux comme l’éducation, la santé et la nutrition. En France et en Allemagne, c’est une évidence. Ce n’est pas le cas au Togo !
dokdoc : au niveau local, on se situe à un autre niveau, dans le domaine du volontariat. Comment voyez-vous l’avenir ?
Stefan Raetz : pour moi, cela ne relève pas du volontariat. C’est plutôt une rampe de lancement vers une meilleure entente. Il faut convaincre les jeunes de s’emparer des questions en lien avec les relations franco-allemandes, la paix, l’entente entre les peuples. Chaque pas dans cette direction contribue à construire l’avenir.
dokdoc : Monsieur Raetz, je vous remercie pour cet entretien.
Interview : Landry Charrier
Notre invité
Stefan Raetz, né en 1959 à Flensburg, a grandi en Allemagne et en France. Il a passé son baccalauréat et fait des études de droit à Bonn. Il a également été maire de Rheinbach pendant 21 ans. Il est engagé dans le jumelage Rheinbach-Villeneuve-lès-Avignon, président du jumelage pour la paix Rheinbach-Douaumont/Vaux et membre fondateur de l’association « Togo-Hilfe Rheinbach ». Il participe régulièrement aux congrès communaux franco-allemands organisés par la Fondation Konrad Adenauer.