Reconstruction de Notre-Dame de Paris
« Je les regarderai toujours avec une certaine fierté »
9 janvier 2024
Après l’incendie du 19 avril 2019, artisans français et allemands ont travaillé main dans la main à la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Quatre imposants vitraux endommagés ont été restaurés dans l’atelier de la cathédrale de Cologne. Entretien avec Barbara Schock-Werner, ancienne maîtresse de chantier de cette même cathédrale et coordinatrice de l’aide allemande à la reconstruction de Notre-Dame.
dokdoc : Madame Schock-Werner, vous souvenez-vous de ce que vous étiez en train de faire le 15 avril 2019 lorsque vous appris la nouvelle de l’incendie de Notre-Dame? A quoi avez-vous pensé ?
Barbara Schock-Werner : naturellement, je m’en souviens. C’était en début de soirée. J’étais en train de regarder la télé et soudain, cette nouvelle, puis les premières images. J’étais saisi d’horreur, peut-être encore plus que les « gens normaux » parce que je connaissais Notre-Dame et, de manière plus générale, les cathédrales.
dokdoc : vous avez vous-même été maîtresse de chantier de la cathédrale de Cologne pendant de nombreuses années. Au Moyen Âge, il n’était pas rare que les églises soient détruites par des incendies. Les spécialistes s’attendent-ils encore à ce que cela puisse se produire aujourd’hui ?
Barbara Schock-Werner : non, autrefois, les incendies étaient toujours provoqués par la foudre et, dans les églises catholiques, par des incendies qui se déclenchaient dans les confessionnaux à cause de petits systèmes de chauffage inappropriés. Mais depuis le 20ème siècle, toutes les églises sont équipées d’un paratonnerre et de dispositifs anti-incendie. La cathédrale de Cologne dispose en outre d’un système de conduits vides, ce que Notre-Dame n’avait apparemment pas.
dokdoc : vous dîtes « Notre-Dame n’en avait apparemment pas », cela signifie-t-il que les Français ont été négligents?
Barbara Schock-Werner : je sais juste que le prédécesseur de Philippe Villeneuve avait soumis un concept de protection incendie et que celui-ci était resté sans réponse. Je ne connais pas assez bien la cathédrale et le personnel pour dire depuis Cologne s’il y a eu, ou non, négligence mais il semble que la cathédrale ne disposait pas de ce type de système. C’est la raison pour laquelle les pompiers ont dû avoir recours à des grues et des chariots élévateurs. Ils avaient quand même un robot anti-incendie qui a pu continuer à travailler à l’intérieur, même lorsque la cathédrale menaçait de s’effondrer.
dokdoc : vous vous êtes rendue sur les lieux quelques jours seulement après l’incendie. À quoi avez-vous pensé au moment où vous vous êtes retrouvée devant les décombres et où vous avez pris la mesure de la catastrophe ?
Barbara Schock-Werner : j’étais horrifiée. On ne voyait pas grand-chose depuis l’extérieur. La façade – c’est un miracle – n’avait même pas de taches de suie noires, mais dès qu‘on entrait, on pouvait voir les voûtes effondrées et tous ces débris de pierres et de poutres brûlées. C’était un spectacle vraiment horrible. Je ne pensais pas que les travaux de réparation seraient aussi rapides. L’intervention massive de l’État y a été pour beaucoup.
dokdoc : je rebondis sur ce que vous disiez à l’instant concernant l’intervention de l’État. La cathédrale doit réouvrir en décembre 2024. Quel regard portez-vous sur le travail réalisé ?
Barbara Schock-Werner : je suis vraiment très, très admirative ! Je pense que Philippe Villeneuve, l’architecte en chef, et son équipe ont fait un travail formidable. Il faut dire aussi que l’argent n’a joué aucun rôle dans le chantier. Des sommes importantes ont été immédiatement dégagées et aujourd’hui, environ 500 personnes travaillent sur le chantier. On n’aurait pas pu y arriver sans financement massif.
dokdoc : vous dîtes que l’argent n’a joué aucun rôle. Quelle a été la contribution de l’Allemagne ?
Barbara Schock-Werner : après la première visite, puis la deuxième et la troisième, j’ai fini par comprendre quel type d’aide nous pouvions apporter. Philippe Villeneuve avait très vite fait démonter tous les vitraux de la nef supérieure afin de rigidifier les ouvertures et ce faisant, de stabiliser cette partie. Je savais que tous les vitraux avaient probablement été endommagés et que l’Allemagne avait une grande expérience et expertise en matière de restauration de vitraux, justement, et c’est ainsi que l’idée est venue. Au final, l’atelier de restauration du verre de la cathédrale de Cologne a pu prendre en charge le travail. Le responsable de notre atelier connaissait une collègue française qui n’avait pas de travail à ce moment-là, l’Alsacienne Élodie Schneider. Nous l’avons engagée. Élodie Schneider a été une véritable aubaine pour nous car, en tant qu’Alsacienne, elle parle français et allemand ce qui, au final, lui a permis de jouer les intermédiaires entre Paris et Cologne.
dokdoc : Combien d’argent avez-vous pu réunir pour la restauration et comment cet argent a-t-il été collecté ?
Barbara Schock-Werner : c’est à Armin Laschet, alors plénipotentiaire pour les relations culturelles franco-allemandes, qu’en revient le mérite. Il n’a pas hésité à prendre son téléphone et passer des appels à tout va. Dès le départ, des citoyens allemands nous également ont appelés pour nous dire qu’ils voulaient donner. L’argent a été versé sur le compte de la Commission allemande de l’UNESCO par le biais du « ministère de la Culture ». De son côté, le Zentral-Dom-Bauverein de Cologne a lancé un appel aux dons trois jours seulement après l’incendie : presque 200 000 € ont pu ainsi être récoltés. Au final, nous sommes arrivés à 700 000 € environ.
dokdoc : comment êtes-vous parvenue à récolter autant d’argent à un moment où l’église a considérablement perdu en importance ?
Barbara Schock-Werner : tout simplement parce que les églises sont des monuments qui continuent à impressionner les gens.
dokdoc : l’Allemagne a été chargée du nettoyage et de la restauration de quatre vitraux de la galerie supérieure de la nef. Pouvez-vous nous dire comment cela s’est déroulé ?
Barbara Schock-Werner : les vitraux sont arrivés à Cologne dans des caisses solidement fermées – on craignait l‘exposition au plomb. Il y en avait plus de 30 et chaque morceau devait d’abord être nettoyé. C’est seulement après que les vitraux ont pu être envoyés dans notre atelier pour être restaurés, conformément aux exigences parisiennes.
dokdoc : et combien de temps votre équipe y a-t-elle passé?
Barbara Schock-Werner : un an. Les fenêtres sont restées exactement un an à Cologne, ce qui était déjà ambitieux. Nous avons fait appel à d’autres collaborateurs indépendants pour parvenir à les restaurer dans les temps.
dokdoc : elles ont maintenant été remises à leur place. Peut-on déjà les voir ?
Barbara Schock-Werner : oui, et c’est ce que les Français ont souhaité, que les fenêtres ne soient pas seulement restaurées mais que nous les remettions aussi en place. Pour notre équipe, c’était quelque chose de très spécial. Les travaux en soi n’étaient pas très compliqués. Outre la salissure, qui était considérable, notamment parce que les fenêtres avaient 60 ou 70 ans, il y avait des fissures et ainsi de suite. Mais d’un point de vue purement technique, ce n’était pas un travail extrêmement difficile. En accord avec Paris, on a laissé un maximum de parties d‘origine. Et même lorsqu’ils étaient fissurés, les morceaux ont été réparés. Ce n’est que dans de très rares cas qu’il a fallu les remplacer.
dokdoc : vous avez vous-mêmes fabriqué les morceaux manquants ?
Barbara Schock-Werner : non, en Allemagne, le verre vient de Waldsassen. Les couleurs ont été choisies en fonction de l‘endroit où ils se trouvaient. Ce sont des couleurs très vives, et elles ont été ensuite peintes d’une manière identique à l’original.
dokdoc : êtes-vous satisfaite du résultat ?
Barbara Schock-Werner : oui, très. Nous avons également reçu de nombreux compliments de Paris.
dokdoc : pensez-vous que le projet a contribué à rapprocher les deux pays ?
Barbara Schock-Werner : je l’espère. Monika Grütters, la déléguée du gouvernement fédéral à la Culture, et Frank Riester avaient une très bonne relation. Macron et Merkel s’entendaient également bien. Je ne peux pas vraiment dire ce qu’il en est aujourd’hui. Je crois que c’est un peu plus compliqué. Mais il me semble que la coopération fonctionne très bien à un niveau inférieur, et ce depuis longtemps. Il y a des formations communes, pas seulement dans le domaine de la restauration mais aussi dans d’autres secteurs. Les diplômes de fin d’études sont harmonisés, chacun essaie d’apprendre de l’autre, etc.
dokdoc : une dernière question: quels sont vos projets pour décembre 2024 ?
Barbara Schock-Werner : je serai peut-être invitée. Quoi qu‘il en soit, je retournerai voir la cathédrale lorsqu’elle sera ouverte pour voir comment rendent nos quatre vitraux, je veux dire, ceux restaurés à Cologne. Je les regarderai toujours avec une certaine fierté.
dokdoc : Madame Schock-Werner, je vous remercie pour cet entretien.
Interview : Andreas Noll
Notre invitée
Barbara Schock-Werner est née en 1947 à Stuttgart dans une famille d’artisans souabes. En 1997, le chapitre métropolitain de la Haute Église de Cologne l’a élue maîtresse de chantier de la cathédrale de Cologne. Pendant 13 ans, elle a été responsable de son entretien. Depuis sa retraite (2012), elle s’est notamment engagée dans la préservation du mur romain de la ville de Cologne. Après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Mme Schock-Werner a été nommée coordinatrice de l’aide allemande à la reconstruction de Notre-Dame par Monika Grütters.
Pour aller plus loin
Armin Laschet / Barbara Schock-Werner: Zurück im Herzen Europas. Notre-Dame de Paris und die deutsch-französische Freundschaft, Köln, Greven-Verlag, 2024.
« Notre-Dame de Paris : Über die deutsche Hilfe beim Wiederaufbau ». Avec Barbara Schock-Werner et Andreas Noll. Franko-viel 55 (21 décembre 2023), Folge 55 – Notre-Dame de Paris: Über die deutsche Hilfe beim Wiederaufbau – Franko-viel – Der Frankreich-Podcast (podigee.io)