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Oscar Niemeyer à Leipzig

Poésie en beton

Adrienne Rey

La « Niemeyer Sphere », © Ulrike Wiese

20 juin 2021

Inauguré huit ans après la mort d’Oscar Niemeyer, la « Niemeyer Sphere » de Leipzig, une œuvre posthume du grand architecte brésilien, recourt à une technologie innovante de vitrages dynamiques à laquelle aurait sans nul doute été sensible celui qu’on surnomma  « le poète du béton ».

Depuis juin dernier un ovni de verre et de béton est apparu dans le ciel de Leipzig. Ultime création d’Oscar Ribeiro de Almeida Niemeyer Soares Filho, décédé en 2012 à l’âge de 104 ans, cette sphère futuriste de 12 mètres de diamètre s’est posée sur le toit de la Halle 9 dans la zone industrielle Techne Sphere du quartier de Plagwitz.

La naissance du projet remonte à 2011, lorsque Ludwig Koehne, à la tête de l’entreprise Kirow Ardelt, leader mondial du marché des grues ferroviaires, souhaite construire un restaurant pour son usine de Plagwitz. Il se tourne alors vers le célèbre architecte brésilien dont il est un fervent admirateur : « Quiconque s’intéresse à l’architecture moderne ne peut ignorer Niemeyer. C’est juste un très grand artiste. Son architecture respire la vitalité et la joie de vivre ». Pour Kirow, l’architecte imagine une sphère de béton blanc et de verre qui devra abriter la cafétéria de l’usine ainsi que le restaurant de gastronomie portugaise Céu (« Ciel » en français).

La technologie au service de l’esthétique

À la mort du créateur, son assistant Jair Valera prend la relève et supervise le projet, tandis que la construction est confiée au cabinet d’architectes Harald Kern. Pour qu’elle semble simplement flotter dans les airs, la sphère de Niemeyer a nécessité de véritables prouesses technologiques, notamment en ce qui concerne ses parties en verre. Si le matériau a pour lui l’argument de la lumière et de la légèreté, son exposition à ciel ouvert risque en revanche de générer une luminosité éblouissante ainsi qu’une surchauffe en cas de canicule estivale. Pour pallier ce problème, un vitrage spécial a été créé. Il se compose de 144 panneaux de verre à cristaux liquides, tous contrôlables à distance et qui peuvent modifier leur teinte pour suivre le cours du soleil.

Pilotis du Monolith à Berlin, © Pavel Nekoranec, Unsplash

La sphère de Leipzig est la seconde réalisation d’Oscar Niemeyer en Allemagne. Avant, il avait dessiné un immeuble résidentiel, le Monolith, dans le quartier du Hansaviertel de Berlin, à deux pas du Tiergarten. L’architecte a également planché sur un complexe nautique de 42.000 m2 à Potsdam comprenant plusieurs piscines. Lancé en 2005, ce projet ne verra malheureusement jamais le jour.

Un style qui a marqué son siècle

Né à Rio de Janeiro en 1907, Oscar Niemeyer a su s’imposer comme une figure majeure de l’architecture du 20e siècle, récompensé par de nombreux prix, dont un Pritzker Price en 1988, considéré comme l’équivalent du Prix Nobel d’architecture. Dessinateur surdoué, bâtisseur foisonnant, celui que ses proches dépeignent comme un bon vivant, dynamique et enjoué, ne se départira jamais de son énergie créatrice et continuera, même centenaire à inventer et à créer.

Ses réalisations se comptent par centaines, dont deux importantes en France : le siège du Parti communiste français (PCF) à Paris et la Maison de la Culture du Havre (le Volcan) sur la place Oscar Niemeyer. Dans son pays natal, le Brésil, il participe, au début des années 1960, à la création de la nouvelle capitale Brasilia pour laquelle il conçoit de nombreux bâtiments administratifs et édifices culturels, sans oublier la cathédrale Métropolitaine, Notre-Dame-de-l’Apparition de Brasilia, édifice emblématique du style Niemeyer. Mais qu’est-ce qui fait justement la patte de l’architecte et qui le rend si instantanément reconnaissable ?

Le Volcan au Havre, © Shutterstock

Niemeyer, c’est d’abord un matériau de prédilection, le béton. Il en apprécie « son vocabulaire plastique fantastique », « sa générosité » et « sa légèreté grâce à laquelle un monde aux formes nouvelles a surgi ». Là où d’ordinaire, il est caché dans la structure, lui n’hésite pas à le montrer tel quel, brut ou peint en blanc.

L’autre grande composante de son style, c’est la courbe. A contrario du Corbusier à qui on l’a souvent comparé, Niemeyer abhorre la ligne droite: « Contempler les nuages a toujours constitué ma distraction favorite, j’y voyais des cathédrales, des guerriers, des animaux et toute sorte de choses fantastiques. Ce n’est pas l’angle droit qui m’attire, ni la lige droite inflexible, créée par l’homme. Ce qui m’attire c’est la courbe libre et sensuelle, la courbe que je retrouve dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses fleuves, dans les nuages du ciel, dans le corps des femmes. Tout l’univers est fait de courbe. »

Un engagement social jamais démenti

C’est cette même courbe que l’on retrouve au siège du PCF dont Niemeyer dresse les plans un an tout juste après son arrivée en France où il s’exile suite au Coup d’État de 1964. André Malraux, alors ministre de la Culture, avait personnellement soutenu sa demande d’asile politique.

Entouré des architectes français Jean Deroche et Jean Prouvé, Niemeyer imagine un bâtiment en courbe qui paraît onduler. À l’instar de nombreuses de ses créations qui reposent sur un système de pilotis, le bâtiment est comme « posé » sur cinq piliers donnant l’illusion que le sol de béton flotte. La façade de verre compte 324 plaques de même gabarit qui ont la particularité de pouvoir s’ouvrir grâce à un modèle de poignée inventé par Jean Prouvé. Une demande explicite des membres du PCF qui ne souhaitaient pas travailler dans un immeuble où la seule aération se fait par la clim, comme c’était alors le cas pour la majorité des grands buildings américains.

Le siège du PCF à Paris, © Azzedine Rouichi, Unsplash

Estimant qu’une abondance de volumes dans un espace assez réduit aurait enlaidi le bâtiment, Niemeyer décide « d’enfouir » le foyer dans le sous-sol. Et pour la salle du Conseil, il édifie une coupole, large dôme blanc revêtu à l’intérieur de milliers de plaquettes blanches qui assure la circulation de la lumière et procure une bonne acoustique.

En région parisienne, Niemeyer construira également la Bourse du travail de Bobigny ou l’ancien siège du journal L’Humanité à Saint-Denis. Des commandes et des créations qui illustrent l’engagement communiste de l’architecte. Plus qu’un militant de parti, Oscar Niemeyer était connu pour refuser certaines commissions, demander parfois à être rémunéré comme un fonctionnaire et être à l’aise avec toutes les classes sociales. Lui qui déplorait que l’architecture soit souvent faite par et pour les gens les plus aisés a ainsi souvent été aperçu, accoudé au bistrot, en compagnie des ouvriers lors de la construction de Brasilia.

La sphère de Leipzig, dernière œuvre posthume du maître vient rappeler qu’au firmament des grands architectes, Oscar Niemeyer n’a jamais cessé de briller. La génération actuelle n’a pas oublié les enseignements de celui que l’on surnomme « le poète du béton ». Le jour de sa mort, Jean Nouvel, saluait, quant à lui, la disparition du « Matisse » de l’architecture.

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