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Communication non-verbale

L’art de la révérence

Jörg-Manfred Unger

L’un des 7510 étudiants vietnamiens inscrits dans une université allemande en 2018/19, © Shutterstock

31 mars 2020

Avant le Covid-19 : En France on se fait la bise en s’embrassant sur les joues, en Allemagne on échange une poignée de main. Dans beaucoup de cultures asiatiques, on fait la révérence, aussi à l’école et à l’université.

La révérence se caractérise par un léger mouvement de la tête vers l’avant, un bref abaissement des paupières et, tout au plus, d’une petite courbette, d’une inclination, voire même d’un pivotement du buste qui s’inscrit naturellement dans le mouvement de la marche.

Dans les pays d’Asie du Sud-Est comme le Laos, la Thaïlande ou encore le Vietnam, la révérence est une pratique qui va également de soi dans les écoles et les universités et qui se fait de manière tout à fait anodine : en entrant dans une pièce au début d’une conversation ou tout simplement en se croisant.

En réponse, les destinataires de ce geste s’inclinent à leur tour ; par conséquent, à l’école et à l’université les enseignants s’inclinent également selon la situation et leur degré de précipitation : tantôt à peine visible, tantôt prononcée, tantôt en toute hâte, tantôt en toute tranquillité. La révérence mutuelle s’accompagne d’un léger sourire qui ne dure qu’une fraction de seconde. Un avantage en ces temps de pandémie : ce type de contact entre individus est largement exempt de virus.

Malentendus interculturels

Les différents codes sociaux peuvent cependant rapidement mener à des malentendus. Par exemple lorsqu’un étudiant vietnamien, tout juste arrivé dans une université allemande, a assisté à l’un de ses cours pour la première fois en début de l’année unversitaire.

À la fin du cours l’étudiant s’est incliné en passant devant son professeur, une manière pour lui de témoigner sa reconnaissance par un geste qui lui est familier et qu’il a pratiqué chaque jour à Hanoi. Contre toutes attentes, la réaction du professeur a été brutale : « S’il vous plaît, ne refaites plus jamais cela devant moi ! ». Irrité et quelque peu embarrassé l’étudiant a quitté la pièce ; il ne lui semblait pas avoir commis une quelconque erreur. Les autres étudiants avaient tapé du poing sur la table.

Contrairement au Vietnam, le fait de « s’incliner » a, en Allemagne, une toute autre signification et laisse une marge d’interprétation qui peut s’accompagner de risques non-négligeables, tels que des contresens et des malentendus, et impliquer des connotations négatives : notamment le fait de (devoir) se comporter comme « un serviteur » et avec soumission.

Dans le contexte interculturel, la communication est multi-dimensionnelle et demande non seulement un haut degré de sensibilité mais aussi une certaine connaissance de ces marges d’interprétation potentielles. La communication non-verbale est, à ce titre, naturellement bien plus affectée que le langage parlé, qui est connu pour déjà donner lieu à des malentendus. 

Chapeau – Hut ab !

La situation décrite en devient absurde. En effet, en faisant une courte révérence, le jeune homme veut simplement dire : « Je voudrais vous remercier. C’était un très bon cours, très instructif ! » – une manière non-verbale de dire « Chapeau – Hut ab ! ».

Le fait de faire une révérence courte ou à peine suggérée à son interlocuteur n’est justement pas le signe d’une attitude de soumission et de dévotion dans les pays asiatiques. Elle ne signifie pas non plus que la personne faisant la révérence se sent faible ou vulnérable. Elle doit être interprétée de manière bien plus positive, comme un geste d’attention, un signe de respect et de prise en considération de l’interlocuteur. Dans le contexte scolaire et universitaire, il s’agit d’un signe d’appréciation et de gratitude.

Est-ce que l’enseignant voulait délibérement heurter l’étudiant ? Bien sûr que non ! Il a, très certainement inconsciemment, interprété la révérence de l’étudiant comme l’expression d’un comportement de soumission. Ce n’est évidemment pas ce à quoi un professeur allemand s’attend, bien qu’il aurait pu le formuler et surtout l’expliquer d’une manière différente et plus aimable.

PS : La bise entre enseignants et élèves est bien évidemment tabou en France, en Allemagne la poignée de main est inhabituelle.

Traduction : Camille Naulet

Jörg-Manfred Unger est directeur du projet dokdoc.eu et enseigne le français à l’Université de Bonn. 

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