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Loi Climat allemande

Un peu plus d’ambition

Anna Pettini

Inondations à Lübeck en janvier 2019, © Maren Winter, Shutterstock

10 septembre 2021

« Insuffisant » : dans un verdict rendu public le 29 avril 2021, la Cour constitutionnelle allemande estime la dernière loi Climat de 2019 trop peu ambitieuse.

Le gouvernement Merkel a déjà posé de nouveaux objectifs – reste à déterminer comment les atteindre. Dans un contexte où les Verts n’ont jamais été aussi haut dans les sondages, à quelques mois des élections, le climat se dessine comme l’enjeu qui pourrait faire pencher la balance.

Une décision « révolutionnaire »

Quatre plaintes, portées par des citoyens et associations environnementales, sont à l’origine de la décision. Le tribunal de Karlsruhe leur a donné raison en jugeant les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre insuffisants. Une décision qui fait grand bruit en Allemagne : c’est la première qui remet en question la politique gouvernementale aussi frontalement. Surtout, un tribunal peut difficilement être plus sévère envers un gouvernement. Avec une argumentation juridique simple. Les objectifs climatiques votés en 2019 ne sont « pas conformes aux droits fondamentaux » car ils repoussent à post 2030 la grande partie des réductions d’émissions, et donc, des efforts à faire.

En reportant cette lourde charge, le calendrier voté ne serait pas assez ambitieux, car il priverait les enfants et petits-enfants de l’actuelle génération la liberté d’exercer leurs droits fondamentaux. Les juges de Karlsruhe réclament donc une loi plus ambitieuse avec un étalement des échéances, afin que la jeunesse ne soit pas impactée de plein fouet après 2030. Pour cause, les politiques publiques allemandes prônaient jusqu’à présent la remise à plus tard de grandes mesures structurelles. Une logique qui a longtemps dominé dans l’appareil législatif (et dans la plupart des pays), mais qui ne passe plus aujourd’hui.

L’accord de Paris en ligne de mire

Flashback, décembre 2015. Nous sommes à la COP21, à Paris. Presque tous les chefs d’État du monde sont présents, parmi eux Barack Obama, Xi Jinping, et les européens, Angela Merkel y compris. Le moment est fort, la conférence aboutit sur la signature de l’Accord de Paris, un texte qui prévoit de contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique à hauteur de moins 2 degrés par rapport à la période dite « préindustrielle », donc les années 1850-1900, prises comme base par les experts.

Le texte a été signé par toutes les grandes puissances. Bien évidemment, s’il est signé aussi rapidement et facilement, c’est qu’il n’a rien de contraignant. Il s’agit plutôt d’une profession de foi des pays présents, qui disent, essentiellement  « nous avons compris qu’il fallait lutter contre le réchauffement climatique, nous allons essayer de faire de notre mieux. » Parmi les objectifs listés pour y arriver, se trouve la réduction des gaz à effets de serre, pour parvenir à la fameuse neutralité carbone. Cette dernière est une condition sine qua non à la lutte contre le réchauffement climatique.

C’est précisément là-dessus que tourne le débat sur la loi Climat allemande. Car l’Allemagne a fait partie des premiers pays à mettre en œuvre l’Accord de Paris. Le gouvernement allemand se targuait, en 2016, d’être l’un des premiers à avoir « des objectifs ambitieux » avec son Plan Climat 2050, qui a tracé la voie pour ladite loi retoquée. Voilà aussi pourquoi la décision du tribunal constitutionnel a fait l’effet d’un coup de tonnerre au sein du gouvernement. D’autant que les Verts enregistrent des résultats records ces dernières années, gagnant toujours plus de sièges aux élections régionales. De quoi faire trembler les conservateurs allemands qui préparent la succession d’Angela Merkel, en poste depuis presque 16 ans.

« Climat neutre 2035 » : une manifestation à vélo par Fridays for future le 8 mai 2021 à Berlin, © timeckert, Shutterstock

La coalition divisée sur la question

La Bundesklimaschutzgesetz, loi Climat allemande, a été votée en 2019 mais elle ne faisait pas l’unanimité dans le gouvernement, pour rappel constitué d’une coalition de sociaux-démocrates (SPD) et conservateurs (CDU/CSU). Ces derniers refusaient des contraintes de réductions de gaz à effet de serre sous la forme d’un échéancier par année et par secteur économique, argumentant que l’impact serait trop néfaste sur l’économie. Les sociaux-démocrates voulaient pousser ces contraintes jusqu’en 2050.

Finalement, le compromis voté allait jusqu’en 2030. Neutralité carbone jusqu’en 2050 oui, mais les objectifs n’étaient posés que jusqu’en 2030, laissant les vingt années restantes à définir. Le retoquage de la loi a donc mis en lumière ces tensions dans la coalition. Le jour où le tribunal a publié sa décision, le ministre de l’économie et conservateur Peter Altmaier, twitte : « Le Bundesverfassungsgericht a rendu une décision importante et significative aujourd’hui. C’est une étape importante pour la protection du climat et les droits des jeunes. Et fournit une sécurité de planification pour l’économie. «  Et son collègue Olaf Scholz, à la finance, par ailleurs candidat tête de liste social-démocrate, de rétorquer : « Cher collègue @peteraltmaier, Si je me souviens bien, vous et la CDU/CSU avez empêché exactement ce que la Cour constitutionnelle fédérale vient d’admonester. Mais nous pouvons rapidement corriger cela. Vous êtes avec moi ? » Pour l’instant dans le même bateau, ils ont dû outrepasser les clivages et préparer une nouvelle loi.

Une nouvelle loi

Le gouvernement allemand a rarement été aussi rapide. En moins de deux semaines après la décision du tribunal, la ministre de l’environnement, Svenja Schulze, a présenté le 12 mai de nouveaux objectifs en matière de réduction : l’Allemagne devrait atteindre la neutralité carbone d’ici 2045, et plus 2050 comme le prévoyait l’ancien texte. D’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de 65 % par rapport au niveau préindustriel, et plus 55 % selon la loi précédente.

Des objectifs clairs, mais les moyens pour y arriver restent vagues. Le gouvernement a pourtant défini les efforts dans chaque secteur, tous ont été augmentés, certains modérément, comme pour l’agriculture ou les déchets ; certains plus drastiquement, comme le transport. L’énergie, qui devra notamment sortir du charbon et accélérer la part du renouvelable, et l’industrie, récoltent la première place. Or il faut d’abord que cette nouvelle loi soit approuvée par le Bundestag, et il ne reste plus que 6 semaines avant la dernière séance plénière. Ensuite, il faudra prendre des décisions difficiles pour contraindre les secteurs à se plier aux objectifs. Mais ce sera au nouveau gouvernement de s’en charger.

Liens :
Journée mondiale de l’environnement 2021 : 18 projets soutenus par le Fonds citoyen franco-allemand ; La course contre le temps

Mise à jour :
juillet 2021 : inondations dévastatrices en Allemagne

Un conseil citoyen pour le climat

À l’image de la convention citoyenne pour le climat, en France, et d’autres conventions comme en Irlande ou au Royaume-Uni, l’Allemagne aussi s’est dotée d’un conseil citoyen pour le climat (Bürgerrat Klima). L’objectif est de trouver des solutions pour appliquer l’Accord de Paris, grâce à la participation de 160 citoyens allemands choisis au hasard, censés représenter la société allemande.

Différence, et pas des moindres, avec la France : ce conseil citoyen est à l’initiative de plusieurs associations issues de la société civile, et pas du gouvernement. Leurs conclusions ne seront présentées au nouveau gouvernement qu’en automne prochain, après les élections. Leur rapport n’aura d’ailleurs pas de caractère contraignant, il faudra donc que chaque mesure soit évaluée au cas par cas par le gouvernement. Ce dernier pourra toujours refuser d’en adopter certaines, comme l’a fait Emmanuel Macron avec les mesures de la convention pour le climat.

Contrairement au président français – qui s’était engagé à reprendre les propositions de « son » conseil citoyen « sans filtre » (ce qu’il n’a pas fait) –, le gouvernement allemand, lui, n’a rien promis. Si les Verts, die Grünen, ont indiqué être favorables aux conseils citoyens, le ton est plus mesuré à la CDU. Paul Ziemiak, son secrétaire général, a déclaré : « Les conseils citoyens peuvent compléter la démocratie parlementaire. En fin de compte, les décisions doivent être prises dans les parlements, car eux seuls sont légitimés par le peuple. »  Simple faire-valoir pour les institutions… ou réel instrument de démocratie participative ? Il faudra attendre pour savoir quel sort sera réservé aux conclusions du conseil citoyen allemand.

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