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Politique de l’énergie française vs allemande

Pas d’atomes crochus

Adrien Pagano

En 2022, la France compte encore 56 réacteurs nucléaires ; en Allemagne, les trois dernières centrales seront arrêtées en fin d’année. © iStock

13 février 2022

Le 12 octobre 2021, Emmanuel Macron a annoncé son programme « France 2030 » visant à relancer l’industrie française grâce à des financements ciblés dans les secteurs de l’énergie, de l’espace, des transports et de la santé d’ici 2030. Le nucléaire en fait partie. Le 2 février 2022, la Commission européenne accorde un label « vert » au nucléaire et au gaz, malgré les protestations.

De petits réacteurs nucléaires appelés Small Modular Reactors (SMR) font partie de la liste des technologies concernées. Contrairement à l’Allemagne, la France mise donc sur le nucléaire comme énergie d’avenir.

Avec cet investissement, la France souhaite renforcer la compétitivité de son industrie à l’horizon 2030. Le développement de nouvelles technologies, par exemple pour la production d’hydrogène, y joue un rôle central. Mais sur les 8 milliards d’euros dédiés au secteur de l’énergie, un milliard sera également investi dans les SMR.

Le nucléaire en France

Les SMR sont des réacteurs à eau pressurisée tels que la France en construit déjà depuis les années soixante-dix. Avec une capacité comprise entre 200 et 300 mégawatts, ils sont bien moins puissants que des réacteurs classiques (à titre de comparaison, l’EPR de Flamanville, dernier des trois réacteurs construits dans cette ville, aura une capacité de 1600 MW). Cette petite taille constitue un atout. Elle permet de pré-fabriquer les composants en usine et de les assembler sur place.

L’industrie nucléaire espère ainsi éviter à l’avenir les retards considérables accumulés sur de nombreux chantiers de construction en Europe ainsi que l’explosion de leurs coûts. Ces réacteurs pourraient être déployés directement là où les besoins en électricité se font le plus sentir, comme dans les zones industrielles. Le nucléaire civil deviendrait ainsi bien plus compétitif. 

Ces réacteurs sont encore en développement et devront être homologués – l’objectif d’une mise en service dès 2030 est donc très ambitieux. Mais l’avenir de la filière nucléaire française reste par ailleurs flou. Le vieillissement du parc nucléaire mènera bientôt à la fermeture de nombreuses centrales. Pour garantir la sécurité d’approvisionnement du pays en électricité, la durée d’exploitation de certaines d’entre elles a déjà été prolongée au-delà des 40 ans prévus lors de la construction.

De nouveaux réacteurs européens à eau pressurisée (EPR) sont à l’étude depuis plusieurs années, mais la décision de les construire a toujours été reportée. Le 9 novembre 2021, le Président de la République Emmanuel Macron a finalement annoncé que de nouvelles centrales verraient le jour. Le nombre de réacteurs et les emplacements ne sont pas encore définis : il s’agit à ce stade d’une simple déclaration d’intention. Mais avec le plan « France 2030 » et l’annonce de nouvelles centrales, le gouvernement français montre son soutien à l’industrie nucléaire et promet de la soutenir en cas de réélection.

La transition énergétique en Allemagne

En 2002, la coalition au pouvoir entre le parti social-démocrate (SPD) et les verts (Bündnis 90/Die Grünen) décida pour la première fois de sortir du nucléaire. Mais huit ans plus tard, le cabinet Merkel II revint sur cette décision et prolongea la durée de vie des centrales allemandes. Ce n’est qu’après l’accident nucléaire de Fukushima que la sortie fût à nouveau actée et rapidement mise en œuvre. Les trois dernières centrales nucléaires allemandes s’arrêteront en décembre 2022. L’Allemagne aura fermé 17 centrales en l’espace d’environ une décennie.

À l’exception du parti d’extrême droite AfD et hormis certains appels sporadiques à la prolongation des centrales nucléaires allemandes dans les rangs des libéraux (FDP) et des conservateurs (CDU/CSU), les partis politiques allemands soutiennent aujourd’hui encore la sortie du nucléaire. Angela Merkel y voit toujours une bonne décision. Les opérateurs des centrales nucléaires comme PreussenElektra et RWE ont pris en compte les fermetures des centrales dans leurs programmations à long-terme et souhaitent suivre le calendrier à la lettre.

La méfiance allemande vis-à-vis du nucléaire ne date pas d’hier. En 1980, la petite commune de Gorleben en Basse-Saxe est devenue mondialement célèbre à la suite de protestations massives contre un projet de stockage géologique profond des déchets nucléaires hautement radioactifs prévu à cet endroit. Aujourd’hui encore, des sites de stockage intermédiaires ou encore des transports de matières radioactives font l’objet de manifestations parfois spectaculaires et inimaginables en France. Du point de vue allemand, les SMR ne résolvent pas la question des déchets, ils engendrent encore plus de convois dangereux et augmentent le risque de prolifération nucléaire. Ils ne réduisent donc pas les risques mais les diffusent sur le territoire.

Contrairement à la France, l’Allemagne souhaite donc clore définitivement le chapitre du nucléaire civil. Mais certaines questions subsistent. Bien que la sortie du nucléaire soit actée de longue date, deux usines situées à Lingen (Basse-Saxe) et à Gronau (Rhénanie du Nord-Westphalie) exportent aujourd’hui encore du combustible nucléaire et de l’uranium enrichi à l’étranger – en contradiction totale avec la politique nucléaire allemande. De plus, la décision de sortir du charbon à l’horizon 2038 n’a pas mené à ce jour à un déploiement plus rapide des énergies renouvelables. La sécurité d’approvisionnement pourrait donc être menacée à l’avenir, en particulier dans les Länder du sud disposant de moins de capacité éolienne.

Un marché entre gaz et nucléaire

À l’automne 2021, les prix du gaz se sont envolés sur fond de reprise économique et à cause du faible niveau de remplissage des réservoirs européens. Cette hausse a impacté ensuite les prix de l’électricité. La France s’est saisie alors de cette occasion pour souligner le caractère crucial de l’électricité nucléaire. Le gouvernement français s’est associé à neuf autres pays pour appeler une nouvelle fois à intégrer le nucléaire dans un règlement européen connu sous le nom de « taxonomie » et qui répertorie les activités vertes dans l’Union européenne. La France espère ainsi attirer de nouveaux investissements dans une industrie fortement endettée et que l’État ne peut plus financer. Par ailleurs, le soutien à une filière incarnant l’ingénierie française, considérée qui plus est comme garante de la souveraineté énergétique du pays, est hautement symbolique.

L’Allemagne s’oppose à cette idée. Elle a commandé un rapport sur l’impact du nucléaire sur l’environnement et s’est associée au Luxembourg et à l’Autriche pour empêcher le nucléaire d’obtenir un tel label. Pourtant, l’Allemagne souhaite elle-même l’obtenir pour le gaz. Car la crédibilité de la sortie du nucléaire et la réussite de la transition énergétique comme modèle allemand dépendent des centrales électriques au gaz comme technologie de transition. Le jeu des alliances européennes jouant en sa défaveur, la coalition allemande entre CDU et SPD a dû accepter un marché en 2021 : l’inclusion du gaz contre celle du nucléaire.

Le nouveau gouvernement sous le chancelier Olaf Scholz s’est fortement opposé à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie. Mais la Commission européenne a finalement retenu tant le gaz que le nucléaire, comme « technologies de transition » et à certaines conditions. Il sera par exemple nécessaire de justifier d’avancées concrètes dans la construction d’un stockage géologique profond pour les déchets nucléaires. L’Autriche a annoncé un recours juridique et le ministère allemand de l’environnement n’a pas exclu de s’y associer. A cette occasion, le nucléaire a profondément divisé l’Allemagne, la France et l’Europe. Entre renaissance et sortie complète, les trajectoires semblent aujourd’hui encore irréconciliables.

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