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« Dernière génération »

Blocages contestés

Yasmine Guénard-Monin

« Collé pacifiquement » le 22 février 2022 à Nuremberg, © Letzte Generation, Chrissi

26 juin 2022

En Allemagne, des activistes écologiques se radicalisent. Ils se collent la main sur les routes pour bloquer le trafic et ont même saboté des pipelines : la « Letzte Generation » se veut plus radicale que ses prédécesseurs pour faire face à « l’urgence climatique ». Mais ses méthodes soulèvent des critiques.

Depuis 2022, des images font le tour de l’Allemagne : à Berlin d’abord, puis à Hambourg, Francfort ou Munich, des activistes écologistes bloquent carrefours et autoroutes, sous les injures et les menaces des automobilistes. Certains se sont fixé la main ou le pied au bitume avec de la colle forte, obligeant la police à s’acharner sur le sol et sur leur peau nue à l’aide de dissolvant pour les déloger. Sur les affiches noires brandies par les activistes se détache le nom de leur groupe, à la résonance apocalyptique assumée : « Letzte Generation », la « dernière génération » – sous-entendu, « à pouvoir encore empêcher l’effondrement climatique ».

Désespérés par l’ « indolence » des dirigeants allemands face à la crise climatique et déçus par l’inefficacité des actions utilisées jusque là par les mouvements écologistes, plus de deux cents activistes se sont réunis fin 2021 dans ce nouveau groupe qui se veut plus radical, pour être plus alarmant. A l’instar des mouvements écologistes Fridays for Future, Ende Gelände ou Extinction Rebellion, dont beaucoup de ses membres sont issus, Letzte Generation prône la désobéissance civile, une transgression volontaire et non-violente de la loi afin d’attirer l’attention médiatique et de faire pression sur une politique. Ses membres ne sont pas des militants (qui défendent leur cause au sein d’un parti) mais des « activistes », car ils recourent à l’action directe.

La manifestation de Fridays for future le 25 mars 2022 à Aix-la-Chapelle lors de la mobilisation internationale du mouvement, © Shutterstock

Prêts à la prison

Mais, s’écartant des manifestations joyeuses de lycéens et des happenings colorés et photogéniques d’Extinction Rebellion, Letzte Generation se présente comme le sursaut désespéré de personnes inquiètes pour la survie de l’humanité. « Il ne nous reste que deux à trois ans pour quitter le chemin fossile de l’anéantissement », peut-on ainsi lire sur le site Internet du groupe, à côté de citations du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat GIEC. Le groupe a troqué le vert de l’espoir pour les martiaux noir et rouge, et pris pour logo une flamme barrée, allusion à la planète qui se consume. Il se distingue par une rhétorique volontiers insurrectionnelle, par l’ampleur des perturbations qu’il provoque et par la détermination de ses membres, qui n’hésitent pas à mettre en péril leur intégrité physique, ni à aller en prison.

Letzte Generation est issue d’un acte lui-même radical : une grève de la faim menée en août-septembre 2021 à Berlin par une poignée d’activistes écologistes. Ils réclamaient un entretien avec les principaux candidats à la chancellerie et la promesse que le prochain gouvernement convoquerait un conseil citoyen visant à définir des mesures immédiates contre la crise climatique. Ils ont obtenu de rencontrer le socialiste Olaf Scholz, alors futur chancelier, mais aucun engagement politique. Comme ils l’avaient promis, les activistes ont alors enclenché ce qu’ils ont nommé « le soulèvement de la dernière génération ».

« Essen retten Leben retten » le 4 février 2022 à Hambourg, © Letzte Generation

Letzte Generation a dénombré 254 mises en détention au cours de sa campagne « Essen retten Leben retten » (« Sauver la nourriture, sauver la vie »). Pendant cinq semaines, les activistes ont bloqué des infrastructures associées à la consommation d’énergies fossiles, d’abord des autoroutes, puis des ports et des aéroports. Leur but : obtenir du gouvernement allemand une loi pour interdire aux supermarchés de détruire leurs invendus alimentaires encore comestibles, sur le modèle d’une loi française de 2015. Mis sur pause en raison de la guerre en Ukraine, les blocages (et les arrestations) ont ensuite repris, cette fois pour empêcher la construction de nouvelles infrastructures d’énergie fossile, qui « financent la guerre et la destruction de notre société », d’après Letzte Generation. Mi-avril, les activistes ont commencé à saboter des pipelines de gaz et de pétrole, car le gouvernement n’accédait pas à leurs revendications.

Des critiques venant de la sphère politique

Les blocages ont assuré à Letzte Generation une attention médiatique peut-être au-delà de leurs espérances. Et des réactions contrastées : tandis que le tabloïd conservateur BILD a relayé les plaintes des automobilistes exaspérés et condamné le caractère illégal des blocages, à l’autre extrême, dans le quotidien de gauche taz, die Tageszeitung, un éditeur a jugé les blocages fascinants, « car il suffit de si peu pour interrompre un quotidien qui semble autrement sans alternative ».

Côté politique, les méthodes de Letzte Generation ont surtout soulevé les critiques. La chaîne de télé ARD, le parti politique conservateur CDU, les libéraux et les socialistes ont condamné l’attaque au droit. Même parmi les Verts, la voix de la ministre de l’Environnement Steffi Lemke, qui a qualifié la désobéissance civile d’ « absolument légitime », est apparue dissonante. Le ministre de l’Agriculture vert Cem Özdemir a lui jugé que les blocages « (nuisaient) à notre objectif commun ».

20 avril 2022 : blocage à Francfort-sur-le-Main, © Letzte Generation

Letzte Generation suscite d’autant plus d’inquiétudes que la radicalisation embrassée par le mouvement et son approbation de la destruction matérielle semblent être des tendances de fond des activistes écologistes allemands. « Nous avons épuisé le répertoire classique de protestation mais nous restons à des lieues de nos objectifs », a ainsi déclaré la porte-parole allemande de Fridays for Future Carla Reemtsma, annonçant « un élargissement de (leurs) formes de protestation, comme à Letzte Generation. »

Des figures connues d’Ende Gelände et Extinction Rebellion ont aussi dit réfléchir à des formes d’interventions directes visant à perturber des infrastructures polluantes et les empêcher de rejeter des gaz à effet de serre, sans attendre une évolution de la loi. Tant que le monde ne s’acheminera pas vers une limitation du réchauffement climatique à 1,5° C par rapport à l’ère préindustrielle, conformément à l’accord de Paris, Letzte Generation pourrait bien faire des émules.

Jeunesse en colère :

Conformistes ou activistes, Sur les barricades
Militants de « Dernière Rénovation » en France (Le Parisien sur youtube)

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